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Rencontre avec St Graal : « Ce sont des histoires qui restent gravées dans la peau »

Crédit : Ilan Brakha

Tourner la page tout en chérissant les souvenirs, bons ou mauvais : voilà l’esprit du nouvel EP de St Graal, Les extraordinaires histoires d’amour de St Graal. Neuf titres comme une plongée dans un journal intime, à la fois singulier et universel.

Sorti le 27 septembre 2024, Les extraordinaires histoires d’amour de St Graal est le deuxième projet de St Graal, alias Léo Meynard. L’artiste de 27 ans a compilé dans ce grand EP de neuf titres ses souvenirs amoureux, dans un savant mélange de pop française, de rock et de sonorités électroniques. De l’amour adolescent à l’amour de soi, en passant par le besoin de plaire ou certains moments de vie plus douloureux, cet opus se déploie tout en sensibilité et en énergie communicative. Une invitation à embrasser ce qui a été, pour mieux appréhender la suite de l’histoire.

On n’a pas l’habitude d’entendre que « les histoires d’amour qui se terminent un jour sont les plus belles de toutes », comme tu le chantes dans le premier titre…

C’est pour ça qu’on a fait une direction artistique (DA) autour du tatouage. Ce sont des histoires qui restent gravées dans la peau. Je trouve que ce qui nourrit vraiment une personne, c’est d’avoir ces histoires d’amour passées qui vont faire que l’actuelle sera d’autant mieux. Parce que c’est comme ça qu’on apprend à se connaître, à rencontrer aussi des gens formidables.

C’est prendre le contre-pied et se dire : mes histoires d’amour, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, je les adore. Et je trouve que c’est les plus belles, parce que ce sont celles qui ont un goût de nostalgie, quelque chose qui reste un peu en tête. De temps en temps, on se demande : tiens, qu’est-ce qu’il ou elle devient ?

Les thèmes peuvent être assez tristes, ou comme tu le dis, nostalgiques. Mais dans l’énergie, c’est plutôt pop rock, ça bouge… C’est un mélange important pour toi ?

Un de mes rêves, ce serait de réussir à faire une musique triste, larmoyante, mais où les gens dansent dessus. Ce serait vraiment un kiff ultime ! Mon ADN, c’est ça aussi. J’ai été élevé à coups de Green Day, BB Brune… Il y a ce truc très adolescent dans ma musique, c’est un BPM assez élevé. Je viens du milieu électro house, donc faire danser les gens en live, j’adore ça. Et je ne veux pas essayer de ressembler à quelque chose d’un peu tendance, autant être moi à 100 % pour faire ce que j’aime.

Dans cet esprit musical adolescent, on peut penser au titre « Playboy ». C’est le dernier clip que tu as sorti, tourné dans un vestiaire de sport. Qu’est-ce que tu as voulu raconter avec ?

Toute la DA a été faite avec Ilan Brakha, un vidéaste que j’adore et un très bon ami. Ça parle des relations que j’ai pu avoir avec des garçons. Je sais que dans mon attitude, je ne corresponds pas au cliché que les gens un peu fermés d’esprit peuvent se faire des hommes gays ou bi. J’avais envie de démystifier ça, de déconstruire la masculinité à travers les vestiaires de sport, que moi j’ai toujours trouvés super gays ! (rit) C’est tellement hétéro que ça en devient gay…

Au début, je me suis dit : est-ce qu’on ne prend que des body builders, est-ce qu’on fait un truc poussé à l’extrême ? Mais ça me semblait être une fausse route, il fallait qu’on prenne tous types de corps, essayer de représenter tout le monde. C‘est aussi ça qui est important, en tant qu’artiste on peut faire passer des messages. Juste le faire, et que ça soit dans la normativité, sans vouloir exacerber un côté pseudo bienveillant. Donc on a ouvert une figuration très large, on a plein de gens très différents qui ont postulé et c’était trop cool !

On a aussi cette question du rapport au corps dans « Oversize ». C’est une thématique importante pour toi ?

Carrément. Depuis le collège, j’ai toujours été en surpoids. C’est une période très compliquée pour tout le monde, je ne suis pas le seul. Mais pour parler de moi, je trouvais ça cool d’utiliser ce mot « oversize ». À l’époque, je m’en faisais tellement du regard des gens que mon corps ne m’appartenait plus. J’avais toujours un regard extérieur sur mon corps, au lieu de juste vivre avec lui.

Ça a été très dur d’écrire le texte, c’était long. Je ne voulais pas faire du plan-plan, trop de body positivisme. Je voulais aussi rappeler quelque chose : ce serait mentir que de dire que je me sens tout le temps bien dans mon corps. Ça m’arrive de me dire que je suis moche. Je voulais être très honnête par rapport à tout ça.

J’avais envie de parler de sujets qu’on n’a pas forcément l’habitude d’entendre de manière assez crue ou terre-à-terre.

St Graal

Sur tes réseaux sociaux, tu parles du titre « Arnica » comme de « la seule chanson qui n’est pas une chanson d’amour, c’est l’inverse », puisqu’elle parle d’une agression sexuelle. Ça a dû être difficile à écrire aussi…

Oui, ça a été compliqué à écrire et surtout, ça a mis du temps. Au début, je ne voulais pas écrire sur ce sujet. Et à un moment, j’ai fini ma thérapie et je me suis dit : je pense que j’ai peut-être les bons mots, maintenant, pour en parler. Je voulais en parler car ça a un peu formaté mes relations amoureuses par la suite, ce qui s’est passé. C’est une histoire d’anti-amour, qu’on nous impose et qu’on ne choisit pas forcément.

Je voulais en parler, même si c’est dans Les extraordinaires histoires d’amour de St Graal. C’est pour ça que sur la pochette, il y a barré « monstrueuses » et « étranges ». Ce sont de vraies idées qu’on avait eues. Dans cet EP, j’avais envie de parler de sujets qu’on n’a pas forcément l’habitude d’entendre de manière assez crue ou terre-à-terre. « Arnica », ça l’est, on comprend dès le début. Je l’ai d’abord jouée en concert, et j’ai vu que les gens réagissaient bien. Certains venaient me parler à la fin, ils se livraient beaucoup.

Il y a une référence à « L’aigle noir » de Barbara dès le début de la chanson. C’est un titre qui a pu t’inspirer ?

J’ai même un tatouage « L’aigle noir ». Évidemment, ça m’a énormément inspiré. Barbara, c’est l’une des artistes de la chanson française qui me parle le plus. Mes parents l’écoutaient beaucoup, ils m’avaient parlé du sens de cette chanson, il n’y avait pas de tabou chez nous. J’ai fait une amnésie traumatique pendant longtemps, et quand je me suis souvenu de cet incident, j’ai directement pensé à cette chanson. Ça m’a aidé dans un certain sens, de me dire que je n’étais pas seul.

Tu évoquais des personnes qui venaient te voir après tes concerts pour en parler. On fait forcément un lien avec ton parcours d’avant, quand tu étais aide médico-psychologique. Tu as encore cette volonté d’aider ou de soulager les gens ?

Oui, j’ai fait ce métier parce que j’ai un gros syndrome de l’infirmier. (rit) Moins maintenant, j’essaie de m’en préserver pas mal. Et les concerts, c’est le moment parfait pour rencontrer les gens. C’est pour ça que je connecte beaucoup. Parfois, en live, je parle pendant cinq minutes à une personne et on se tape des barres en plein concert, alors qu’il y en a mille à côté. Ça permet de créer quelque chose d’assez réel avec le public. Et puis je n’ai pas envie de mettre de masque, de faux apparat. J’ai envie d’être moi-même à 100  %, parce que je pense que c’est aussi comme ça que les gens s’identifient.

On parle pas mal du rapport au corps depuis tout à l’heure, de tes tatouages notamment. Tu en as beaucoup, c’est le thème de la pochette de l’EP… Est-ce que c’est aussi une manière de te réapproprier ton corps ou ton histoire ?

C’est une thérapie, en fait ! (rit) Oui, totalement. J’aime dessiner des trucs sur mon corps, ça permet de le décorer. Je me dis que notre corps ne vit qu’une fois, autant le décorer avec nos expériences. J’aime bien cette idée, ça permet d’avoir quelque chose d’un peu unique. Et il y a complètement cette idée de réappropriation du corps.

Sur la pochette, avant « extraordinaires », certains adjectifs sont barrés, tu le disais. L’EP ne devait pas s’appeler comme ça au début ?

Je voulais que ce soit « Les histoires… de St Graal », mais on n’arrivait pas à trouver l’adjectif exact. Au début, on voulait mettre « désastreuses », mais il y a déjà Les désastreuses histoires des orphelins Baudelaire. Donc on a essayé de trouver des trucs, « monstrueuses » et « étranges » sont ressorties… On ne les a pas gardées, mais je les ai laissées sur le dessin car il y a aussi des histoires monstrueuses, il y a aussi des histoires étranges.

La dernière chanson vient clôturer l’EP en miroir avec la première, dans un côté un peu cinématographique… Comment t’est venue cette idée ?

Je voulais que quand les gens voient la tracklist, ils se disent : il y a quelque chose qui commence et quelque chose qui finit. Je vais d’un point A à un point B en racontant plein d’histoires, c’est un peu chronologique. On commence par l’amour adolescent, ensuite il y a « Je t’emmènerai » qui est un amour hyper romantique. Puis « Oversize », c’est l’amour de soi, où tu as du mal avec ton propre corps. « Resto Basket », où tu essaies d’impressionner l’autre. « L’amour à trois », tu testes des choses…

C’est vraiment cette idée de parler de plein d’histoires tout en ayant ce fil rouge. C’est un peu un synopsis de l’EP, cette première chanson : il y a les histoires de cœur, les histoires de cul, les histoires d’amour… Mais celles que je préfère, c’est celles qui se terminent un jour.

J’ai sorti quelque chose qui me tenait à cœur et que je pense être moi à 100 %.

St Graal

C’est ton deuxième EP après Le cœur qui cogne en 2023. Comment vois-tu ton évolution artistique, depuis ?

Déjà, au niveau de mon écriture : j’écrivais beaucoup sur des choses qui ne m’arrivaient pas, avant. J’écrivais sur les autres, j’inventais des petites histoires. Sur ce projet, j’ai réussi à parler de moi. Au niveau de la direction artistique, mon premier EP était un peu une carte de visite sur ce que je savais faire… Là, elle est plus claire, plus nette, plus précise, avec ce côté club rock. J’ai sorti quelque chose qui me tenait à cœur et que je pense être moi à 100 %.

Beaucoup de personnes t’ont découvert avec « Les dauphins » en 2021. Avant ça, c’est quoi ton parcours ?

St Graal, ça existe depuis que j’ai 19 ans. Avant « Les dauphins », j’ai fait un peu d’études de musique, quatre ans d’opéra au conservatoire à Angoulême, d’où je viens. J’ai aussi fait des petites études d’impro jazz. Mais j’ai très vite arrêté car ça ne me plaisait pas. Ensuite, j’ai travaillé dans la vie active : j’étais AMP, aide médico-psychologique. Je m’occupais de personnes en situation de handicap mental. Ça me plaisait énormément, mais à un moment, la musique a pris le dessus. J’ai fait des DJ set pendant longtemps, lors de shows drag. Ça a commencé comme ça, St Graal. Puis j’ai vite mis du chant, des synthés, de la guitare… Et voilà !

Et pourquoi ce nom, St Graal ?

Il y a plusieurs raisons. La première, c’est Sacré Graal des Monty Python. J’étais un grand fan de ce film. Je l’ai d’ailleurs revu il y a pas longtemps, et je me suis dit que c’était pas ouf (rit). J’adorais aussi l’artiste St Germain, qui fait de l’électro jazz. Et « saint quelque chose », je trouvais ça stylé ! Puis j’ai toujours voulu faire une quête dans mon projet, mettre des petits indices à droite à gauche… À un moment donné, dans un album, il y aura peut-être un mystère, j’aimerais construire quelque chose avec des sens cachés.

St Graal – EP “Les extraordinaires histoires d’amour de St Graal”

St Graal sera en concert à Paris à la Maroquinerie (concert complet) le 19 novembre et à la Cigale le 2 avril, puis en tournée à partir du mois de janvier.

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