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« Parallax » : Kornél Mundruczó refait son devoir de mémoire

Nurith Wagner Strauss

Le réalisateur hongrois Kornél Mundruczó (White god, La lune de Jupiter, Pieces of a woman), présente «  Parallax  » jusqu’au 18 octobre Ateliers Berthier. Après Evolution (2021), il poursuit son travail de mémoire de la Shoah auquel il entremêle cette fois avec maladresse la question des identités.

En 2021, Kornél Mundruczó présentait Evolution en sélection officielle à Cannes. Un film aussi fort qu’éblouissant sur le travail de mémoire de la Shoah. On y suivait le parcours d’Eva, la grand-mère née dans un camp, de Lena, sa fille en quasi exil à Berlin et de Jonas, le petit fils. Trois générations et trois façons de parler de la Shoah mais aussi, plus globalement, de vivre ou non son identité juive. «  Parallax  » reprend les grandes lignes du scénario de ce film signé Kata Wéber en les adaptant aux nécessités du théâtre. On retrouve successivement dans un appartement du ghetto de Budapest Eva, Lena et Jonas. Au fil des années, Eva finit par s’éteindre, Lena renoue avec son identité juive tandis qu’à 20 ans, Jonas semble vouloir dépasser la question de l’identité, qu’elle soit religieuse ou sexuelle.

Faussement rebelle

Avec sa troupe du Proton Theatre, Kornél Mundruczó transpose son drame au théâtre avec une certaine ingéniosité. Bien que les trois parties du spectacle se passent dans le même décor, le metteur en scène parvient à figurer le passage du temps et de ses effets. En dépit des éclipses, on comprend sans peine les évolutions du rapport au lieu et à l’histoire personnelle de la famille.

En metteur en scène de théâtre et de cinéma aguerri, Mundruczó sait également créer quelques beaux tableaux. A la fin de la première partie, il déverse pendant de longues minutes des trombes d’eau sur le décor. Hypnotisant forcément. L’usage de la caméra en début de spectacle avant que le décor ne «  s’ouvre  » n’est pas sans intérêt non plus (si on évite les problèmes techniques intervenus lors de la première).

Mais tout ce talent est au service d’un propos souvent creux ou faussement scandaleux. Ainsi, lorsque Jonas revient à Budapest à l’occasion du décès de sa grand-mère et qu’il transforme la soirée en sex party avec quelques connaissances. Le passage se veut assurément audacieux tant sur le fond (critique du gouvernement d’extrême droite hongrois, traitement des personnes LGBTQIA+) que sur la forme (acteurs nus simulant des rapports sexuels, godemichés, etc.). Mais qui, en 2024 à Paris, peut vraiment se dire choqué ou surpris par ce passage  ? Dans le théâtre public hongrois, cela le serait peut-être. Mais la pièce, coproduite par des institutions européennes dont la plus à l’est est à Vienne, n’y sera surement pas montrée. A quoi bon cette mise en scène du scandale si aucun risque n’y est associé ? L’ensemble s’avère faux et, pire, ennuyeux.

©  Nurith Wagner Strauss

Parallèle maladroit

Ce sentiment d’ennui relatif est renforcé par un malaise lorsque la pièce entremêle les questions d’identité juive et sexuelle. Au cours de leur vie et pour des raisons tout à fait différentes, Eva et Lena ont un rapport ambivalent à leur judaïté. Successivement, elles l’ont cachée, assumée puis revendiquée. Elles incarnent des générations qui ont connu la Shoah ou qui sont les descendantes directes des survivants. Pour elles, le poids de l’histoire, mais aussi de son silence, a laissé des marques importantes qui ont rendu le rapport à la mémoire très compliqué.

Jonas incarne une nouvelle génération, élevée à Berlin et loin de la figure de la grand-mère qui ressasse parfois son vécu. Et pourtant, on peine à croire qu’il puisse aussi facilement mettre sur le même plan son refus de se dire gay et juif. Il faudrait creuser, accorder plus d’importance et d’épaisseur à ce personnage. Qu’est-ce qui, dans le contexte de 2024, pourrait pousser un jeune européen d’origine juive à refuser l’histoire et surtout, l’héritage de la Shoah ? Malheureusement, la pièce ne lui donne pas l’occasion d’en dire plus et s’arrête à l’instant où elle pourrait commencer à vraiment déranger…

«  Parallax  » de Kornél Mundruczó d’après un texte de Kata Wéber aux Ateliers Berthier de l’Odéon-Théâtre de l’Europe dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Jusqu’au 18 octobre. Durée : 1h50. Spectacle en hongrois surtitré en français. Informations et réservations : ici

Rédactrice "Art". Toujours quelque part entre un théâtre, un film, un ballet, un opéra et une expo.

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