MUSIQUE

La French Touch en dix albums

Crédit : Eva Duc

Véritable phénomène générationnel, la French Touch a su imposer ses codes sur la scène musicale internationale. Retour sur un mouvement qui a permis à la France de se décomplexer en affirmant son identité sonore.

Motorbass – Pansoul (1996)

Dans les années quatre-vingt-dix, Étienne de Crécy et Philippe Cerboneschi travaillent en tant qu’ingénieurs du son au studio Plus XXX à Paris. Naturellement, une amitié se crée et c’est dans la nuit des raves naissantes qu’ils vont forger leur amour pour l’électronique. En parallèle, Philippe Cerboneschi prend le pseudonyme de Zdar et s’essaie à la production, puis monte Motorbass avec de Crécy. Le nom du groupe fait référence à la « Motor City » de Détroit, ville d’origine de la techno. Le « Bass » quant à lui évoque l’instrument du même nom, typique de la house de Chicago.

Pansoul puise dans des disques jazz, funk et soul agrémentés de voix et d’instruments. Résultat d’une expérimentation réalisée sur dix titres, l’album parcours diverses ambiances. Nous pouvons citer « Ezio » qui dépeint une atmosphère onirique sur neuf minutes ou encore « Neptune » imprégné d’une instrumentale jazzy. Le morceau « Wan Dence » quant à lui baigne dans une house filtrée, sonorité caractéristique de la French Touch.

L’album fait l’objet de critiques élogieuses, notamment dans les magazines Mixmag et Muzik en Angleterre. En France, les Inrockuptibles décrivent Pansoul comme étant le meilleur album de l’histoire de la house française. Forts de ce succès, les deux producteurs entament la création d’un second opus qui ne verra pas le jour. Étienne de Crécy se consacre à une carrière solo avec l’album Superdiscount. De son côté, Philippe Zdar entreprend de nouveaux projets parmi lesquels figure Cassius.

Daft Punk – Homework (1997)

Difficile d’évoquer le sujet de la French Touch sans mentionner Daft Punk. Après des débuts tumultueux dans la pop rock au sein de leur groupe Darlin’, Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo se familiarisent avec le monde de l’électronique lors des raves parties. Le jeune duo s’assure une certaine renommée dans l’underground grâce à ses lives auxquels viennent s’ajouter trois maxis publiés sur le label écossais Soma Quality Records. Parmi eux figurent « Alive » et « Rollin’ & Scratchin’ », parfaits représentants de la culture rave de l’époque. Le troisième titre, « Da Funk », va quant à lui marquer un tournant dans la carrière du groupe. Plus accessible, il explore un aspect dansant et funky.

Dès lors, ce groove va gagner du terrain avec des morceaux tels que « Around The World », « Burnin’ » ou encore « Revolution 909 ». Majoritairement composé dans la chambre de Thomas Bangalter, les deux comparses baptisent leur album Homework accentuant ainsi l’aspect « do it yourself » de leur musique.

À sa sortie, le disque est un savant mélange de house, de techno et d’électro. Daft Punk créé le son d’une époque en puisant dans le passé. Le groupe excelle dans l’art du sampling et pioche dans des sonorités soul, funk et disco qu’il prend plaisir à maltraiter. Le morceau « Teachers » sert d’ailleurs d’hommage à tous les DJs, musiciens et producteurs les ayant influencés. Grâce à son équilibre entre mainstream et underground, Homework parvient à faire cohabiter les deux sphères avec un son fédérateur. Écoulé à plus de deux millions d’exemplaires à travers le monde, ce disque impose Daft Punk comme un ambassadeur du son French Touch.

Air – Moon Safari (1998)

La rencontre entre Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin se fait au lycée par l’intermédiaire d’Alex Gopher, un ami commun. Ensemble, ils montent le groupe de pop rock Orange sans réel succès. Suite à cela, chacun quitte la formation pour se consacrer à ses études et ce n’est qu’en 1995 qu’ils se retrouvent. Il s’agit là d’une période charnière puisqu’elle voit l’émergence d’artistes électroniques comme Motorbass, Daft Punk, La Funk Mob, Dimitri From Paris ou encore Étienne de Crécy.

Témoins privilégiés de cette scène musicale effervescente, les deux amis forment Air. Un duo qui se démarque par des racines pop plutôt que house, mais dont la présence d’éléments électroniques font le lien avec le mouvement French Touch. La signature sur le label Source ainsi que la publication d’une compilation intitulée Premiers symptômes va définitivement lancer leur carrière. Forts de cette expérience, les deux musiciens livrent Moon Safari, un album à la fois moderne et vintage.

La musique du duo se nourrit aussi bien du rock progressif de Pink Floyd que de la pop aérienne des Beach Boys. S’il y a autant de richesse dans la musique de Air c’est avant tout grâce à la diversité des instruments. Guitare électrique ou acoustique, basse, batterie, piano, orgue, tambourin et bien sûr synthétiseurs (modèle Korg MS-20 et Minimoog en tête de liste) donnent une certaine profondeur aux productions.

Cette douce orchestration est accompagnée par la voix de Beth Hirsch sur « All I Need » et « You Make It Easy ». De la même manière, Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel prêtent les leurs, imbibées d’effets vocoder et talk-box sur « Remember », « Kelly Watch The Stars », « Sexy Boy » et « New Star In The Sky ». Facile d’écoute et immersif, Moon Safari s’avère être une excellente porte d’entrée pour les non-initiés à la musique électronique.

Cassius – 1999 (1999)

Bien avant de connaître le succès en tant que Cassius, Hubert Blanc-Francard dit « Boombass » et Philippe Zdar œuvraient sous le nom de La Funk Mob. Les deux hommes ont notamment travaillé sur les premiers disques de MC Solaar. Arborant un style musical entre house et hip-hop instrumental, le duo publie le titre « Les Tribulations extra-sensorielles de La Funk Mob » sur le label anglais Mo’Wax.

Ce maxi leur assure un certain succès et le duo se renomme alors Cassius en référence à Cassius Clay (nom de naissance de Mohamed Ali). « Foxxy » est le premier titre à sortir sous ce nouvel alias et lance officiellement l’aventure. Porté par un groove chaleureux, le morceau illustre parfaitement l’univers proposé par l’album.

Les singles « Cassius 1999 Remix » et « Feeling For You » vont donner une toute autre envergure au disque, le propulsant dans les charts européens. 1999 présente des influences funk/disco et jazz mises au service d’une house music dansante. Véritable pierre angulaire qui porte les marques de cette French Touch, le duo jouit d’une notoriété internationale. L’album est publié par Virgin dans plusieurs pays européens ainsi qu’aux États-Unis sous le label Astralwerks.

Laurent Garnier – Unreasonable Behaviour (2000)

DJ précurseur de la house et de la techno en Europe, Laurent Garnier débute sa carrière dans un club de Manchester du nom de l’Haçienda. En parallèle, la boîte de nuit le Rex Club située à Paris organise les soirées Jungle. Ces fêtes en l’honneur de la musique électronique voient grand nombre d’artistes déchainer les foules soir après soir. C’est dans ce contexte que notre frenchy va creuser le sillon en étant à l’initiative des soirées Wake Up. Très vite, le Rex Club devient le repère incontournable de l’électro dans la capitale.

Auteur d’une riche discographie, Unreasonable Behaviour est un album référence dans la carrière de l’artiste. Il porte les marques d’une techno industrielle voire hardcore par moment comme le laisse entendre « The Sound Of The Big Babou ».  Autre morceau phare, « The Man With The Red Face » mélange sonorités organiques et synthétiques. Le saxophoniste Philippe Nadaud délivre une performance free jazz accompagnée de synthétiseurs à la mélodie entrainante.

Cette association atypique donne une toute autre dimension à l’album, notamment lors des lives. Le long-format est aussi marqué par « City Sphere » et « Last Tribute From The 20Th Century », à la profondeur spatiale. Véritable déclaration d’amour à la musique électronique, Unreasonable Behaviour traverse avec succès l’épreuve du temps et reste l’un des albums les plus aboutis de l’artiste. 

DJ Mehdi – Lucky Boy (2006)

Compositeur autodidacte, Mehdi Faveris-Essadi débute sa carrière dans le groupe Ideal J aux côtés notamment de Kery James. C’est d’ailleurs à cette période qu’il prend le nom de DJ Mehdi. À seulement quinze ans, sa maitrise du sample et sa culture musicale font de lui un producteur hors pair. Cette aventure le mène à travailler avec d’autres groupes cultes du rap français tels que Mafia K‘1 Fry et 113. Ses productions étant de plus en plus remarquées, il attire la curiosité d’un certain MC Solaar qui le convie à travailler sur son album Paradisiaque. C’est à cette occasion que Mehdi rencontre Philippe Zdar et Boombass de Cassius. Son amitié avec les deux hommes le rapproche de la scène électronique et notamment de Pedro Winter.

Cette relation fraternelle va être à l’origine du label Ed Banger sur lequel sort Lucky Boy, son deuxième album. Hybride, le disque impose le producteur comme un trait d’union entre deux mondes opposés  : le rap et l’électro. L’artiste exprime ses influences électro-funk sur « I Am Somebody » et « Hot-o-Momo ». Son passé de producteur hip-hop se ressent avec les titres purement instrumentaux que sont « Saharian Break » et « Wee Bounce ». Puis, il démontre sa technicité du sample avec « Always Be An Angel » et « Constellation ».

Au beau milieu de toute cette expérimentation, « Signatune » se révèle être le titre porteur du projet. À tel point qu’une version remixée par Thomas Bangalter verra le jour ainsi qu’un clip réalisé par Romain Gavras. Malheureusement, cette ascension se stoppe brusquement un soir de septembre 2011. De fait de son avant-gardisme et de l’homme qu’il était, DJ Mehdi reste une source d’inspiration et une figure emblématique de la French Touch.

On ne peut que vous conseiller la série documentaire DJ Mehdi  : Made In France disponible sur Arte qui retranscrit parfaitement ce parcours hors du commun.  

Justice – Justice (2007)

La deuxième partie des années 2000 est symbole de renouveau pour la scène électronique française. À une période où la French Touch, telle que le monde l’a connue, n’a plus la côte, de nouveaux artistes indiquent la direction à suivre. C’est par exemple le cas de Vitalic et son titre « La Rock 01 » ou Jackson And His Computer Band. Cette nouvelle génération voit l’arrivée de Justice, duo composé de Xavier de Rosnay et Gaspard Augé. Remarqués par le titre « We Are Your Friends » ils se voient signer sur le label Ed Banger.

Leur premier album, sobrement intitulé Justice ou selon les versions, est porteur d’un nouveau son. Celui de la French Touch 2.0. Le premier single « Waters Of Nazareth » illustre parfaitement cette nouvelle tendance. Durant près de cinq minutes, distorsions et effets saturés s’entremêlent. Le tout pour un rendu, il faut l’avouer, difficile à la première écoute. Dans la même veine, les titres « Stress », « Phantom » et « Genesis » débordent d’une énergie rock. Au milieu de cette dureté, les influences disco de nos deux producteurs ponctuent le disque de douces mélodies. Notamment sur le tube « D.A.N.C.E », « The Party » et « Valentine ».

Il y a là le fil conducteur de l’album : faire cohabiter des ambiances opposées au sein d’un même disque. Justice se démarque donc par un son mais aussi par une image. Le duo remporte aux MTV Europe Music Awards la récompense du meilleur clip pour le titre «  D.A.N.C.E  ». Réalisé à partir du travail de So-Me (graphiste attitré du label), il met en lumière le savoir-faire français dans son ensemble. Plus que jamais, la French Touch est à la fois sonore et visuelle.

Sébastien Tellier – Sexuality (2008)

Comme beaucoup d’artistes, Sébastien Tellier se découvre une passion pour la musique dans l’enfance. C’est par le prisme de son père, guitariste dans le groupe de jazz rock progressif Magma, qu’il développe sa fibre artistique. Dès l’âge de six ans, le jeune garçon se perfectionne au contact de ses premiers instruments. Voyant son potentiel, son père va le pousser à devenir musicien. Suite au visionnage d’un clip de Air, il se décide à proposer ses premières chansons au label Source. Cette démarche instinctive lui donne raison, permettant à l’artiste de signer sur la structure naissante de Records Makers. Sébastien Tellier devient l’un des visages du label sur lequel il publie ses premiers disques à partir de 2000.

Bien qu’un premier succès se fasse ressentir grâce au hit « La Ritournelle » présent sur son album Politics, il faut attendre 2008 pour qu’il se révèle aux yeux du monde. Cette même année, sa participation à l’Eurovision met un nouveau coup de projecteur sur l’artiste. Auteur du titre « Divine », il représente la France. Profitant d’un certain engouement, il sort Sexuality dans la foulée. Disque au titre évocateur, le musicien y exprime son penchant pour l’amour charnel. Épaulé par Guy-Manuel de Homem-Christo et Éric Chedeville, tous deux fondateurs du label house Crydamoure, l’artiste livre un répertoire de chansons pop modernes.

À la fois mélancolique et contemplatif, l’album surprend par son orchestration. Sébastien Tellier nous ouvre les portes d’un monde rétro-futuriste (« Sexual Sportswear ») fleurtant avec la variété (« Elle », « L’amour et la Violence »). D’autres titres, plus eighties dans les sonorités (« Kilometer », “Fingers Of Steel »), jouent avec des notes de synthés entêtantes. Puis, en 2010, sort l’album Sexuality Remix. Un disque remanié pour les clubs signant l’apparition de SebastiAn, Kavinsky ou encore Boyz Noise rapprochant un peu plus Sébastien Tellier du monde de l’électronique.

Kavinsky – OutRun (2013)

L’univers musical de Kavinsky est nourri d’influences cinématographiques. Son album OutRun se présente d’ailleurs comme tel. En témoigne les bandes noires horizontales sur la pochette, et les titres « Prelude » et « Endless » en guise de générique de début et de fin. Le disque regroupe des titres parus sur des maxis plusieurs années auparavant. Parmi eux, le célèbre « Nightcall » devient le symbole du film Drive, accentuant ce lien avec le cinéma. Ce succès propulse Kavinsky, l’imposant comme une figure incontournable de la synthwave.  

OutRun bénéficie d’un soin tout particulier dans sa production. Le disque compte l’apparition de Guy-Manuel de Homem-Christo (moitié de Daft Punk), SebastiAn ou encore Sébastien Tellier. Porté par les tubes que sont « Roadgame » et « Nightcall », l’album fait le récit d’une balade nocturne sur fond de synthétiseurs criards. On y perçoit les influences des bandes-sons de films, notamment du côté de Giorgio Moroder et John Carpenter.

Le disque arbore un côté grandiose et se permet quelque touche de fantaisie en samplant le générique de Dragon Ball Z sur « Rampage ». Dans la même veine, Havoc membre du duo Mobb Deep apparait sur « Suburbia ». Une façon pour Kavinsky de rendre hommage à la culture hip-hop des années 1990.

Gesaffelstein – Aleph (2013)

C’est dans l’adolescence que Mike Lévy forge son amour pour la musique électronique. Deux influences majeures ressortent de ses écoutes  : Computer Love de Kraftwerk et Gesamtkunstwerk de Dopplereffekt. Ce dernier est d’ailleurs à l’origine de son nom de scène. Gesaffelstein étant une contraction entre Gesamtkunstwerk et Einstein, alliant ainsi son goût pour l’électronique et les sciences. Le producteur lance sa discographie avec deux EP confidentiels que sont Vengeance Factory et Modern Walk. Sorte de synthèse de ses plus grandes inspirations, ces projets sont annonciateurs de la noirceur qui va définir son personnage.

L’artiste puise sa force dans une techno industrielle et martiale. Son premier album Aleph porte les marques d’un son brut. Les titres clubs et puissants que sont « Duel », « Hate Or Glory » et « Trans » participent à construire son identité. Ce long-format est aussi l’occasion d’explorer d’autres facettes de sa musique. On découvre un aspect cinématographique et inquiétant sur «  Wall Of Memories  », «  Nameless  » ou «  Piece Of Future  ». Dans cet univers dystopique, la musique de Gesaffelstein y règne en maître et impose ses codes.  

D’autres temps forts de l’album montrent la polyvalence du producteur avec les morceaux « Obsession » et « Hellifornia ». Ces titres rappellent sa participation à l’électrique Yeezus de Kanye West sorti la même année. À l’occasion de cet album, le rappeur s’est constitué une équipe de frenchies dans laquelle Gesaffelstein a pu collaborer aux côtés de Daft Punk et Brodinski. Une affiliation bel et bien réelle et au-delà de la musique puisque les pochettes d’Aleph et Yeezus se font aussi écho.

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