Crée en 2018, la pièce Banquet Capital de Sylvain Creuzevault revient à la MC93 jusqu’au 6 octobre. L’occasion de rattraper un spectacle qui n’a rien perdu en énergie ou en pertinence.
En 2015, Sylvain Creuzevault créé Le capital et son singe d’après Karl Marx. En 2016, à l’issue d’une manifestation contre la loi « Travail », le metteur en scène se retrouve dans un square entouré de manifestants débattant des suites à donner à leur action. Subjugué par la similitude entre cette scène et certains passages de sa pièce, il décide alors d’en remonter une partie en version « simplifiée ». Allègement du texte et de la forme mais maintien du dispositif « banquet », en référence à ces réunions où les intellectuels et ouvriers pouvaient se retrouver et échanger
Réunis autour d’une table à l’issue d’une manifestation en demi-teinte, quelques figures de l’histoire française (et quelques stations de métro) s’écharpent. Auguste Blanqui, Raspail, la fratrie Barbès, Baudelaire et, en observateur, Engels. Certains sont députés, d’autres chefs de « clubs », poètes ou simples ouvriers. Nous sommes en 1848, en Allemagne, Karl Marx publie Le Capital. En France, la monarchie est renversée au profit de la IInd république mais les monarchistes sont majoritaires à l’Assemblée Nationale fraichement élue et le peuple continue d’occuper la rue.
Radicaux versus modérés
Même au sein d’un même bord politique, les débats font rage. Faut-il désormais faire confiance au processus démocratique et à la représentation nationale ? La démocratie peut-elle accomplir son œuvre de justice sociale dans une société dont toute la structure demeure profondément capitaliste et dominée par la noblesse et la bourgeoisie ? Ne faudrait-il pas au contraire durcir le ton des manifestations, prendre les armes voire prendre l’Assemblée ? Radicaux versus modérés, l’opposition éternelle.
Dans un époustouflant travail de création collective, Sylvain Creuzevault et ses habituels acteurs s’emparent et incarnent les tourments de l’histoire politique française ; Aux arguments politiques ils mêlent les analyses marxistes et livrent un spectacle qu’on peine à qualifier tant il regorge de qualités. Banquet capital est pertinent, politique, drôle, jouissif, complexe et, probablement, nécessaire.

Pari de l’intelligence
Quel plaisir pour des spectateurs de se retrouver face à une pièce pariant sur leur intelligence, leur capacité à comprendre des concepts économiques et politiques parfois ardus, à supporter le débat souvent véhément. On ressort convaincus que les chicaneries des républicains d’il y a 180 ans sont une page essentielle de l’histoire de France. Qu’en dépit des échecs et horreurs des régimes dits communistes de l’Europe de l’Est, la grille de lecture marxiste demeure l’une des plus redoutables pour analyser les développements du capitalisme.
À sa création en 2018, la France n’avait pas encore connu les gilets jaunes ou la NUPES. Si le texte de Banquet capital n’a pas du tout été modifié, le contexte dans lequel il est joué a, lui, profondément évolué. Le public de 2024 n’est pas celui de 2018. Tant mieux ? À l’heure où le risque de censure politique dans les milieux culturels devient réel, on ne peut que se réjouir que des institutions continuent de programmer ces spectacles et, surtout, que les spectateurs soient aussi nombreux pour cette reprise.
Banquet Capital à la MC93 de Bobigny jusqu’au 6 octobre. Durée : 1h40. Tarifs : 9-25€.