Avec son premier long métrage documentaire, Rue du conservatoire, Valérie Donzelli ensoleille le genre en y insufflant les échos autobiographiques dont elle a le secret.
Suivant les doutes et ambitions de l’actrice et metteuse en scène Clémence Coullon, Rue du Conversatoire capte le montage de sa « variation » libre du Hamlet de Shakespeare avec les élèves du Conservatoire national supérieur d’art dramatique de Paris. Rencontre.
La venue de Valérie Donzelli au conservatoire a engendré la réalisation d’un court métrage avec votre promotion. Diriez-vous que cet exercice vous a convaincu de lui proposer de capter le montage de votre pièce ?
Clémence Coullon : J’avais déjà vu des films de Valérie. Et quand j’ai su qu’on allait la rencontrer, ça a été une très grande joie d’envisager de travailler sous son regard. Après, Valérie est arrivée et a dit lors de sa master classe qu’on allait faire un court métrage. Je me suis dit « Wow, quelle énergie ! ». On a donc fait le court métrage et j’ai adoré ! C’était magnifique, d’une grande douceur, enfin d’un grand amour du cinéma avec seulement une petite caméra. Avec peu tu as fait un court métrage de folie !
Y a-t-il des éléments de son cinéma qui vous touchent particulièrement ?
C.C : Valérie ose toujours mettre de l’intime, du coup elle s’ouvre et je trouve ça d’un grand courage. Elle donne une partie de soi et cela nous touche en plein cœur. Il y a aussi sa façon de filmer, très originale. Mais il y a aussi les silences entre ses personnages, c’est très difficile à manier.
Valérie, à l’inverse de vos précédents films, vous apparaissez moins dans Rue du conservatoire. Vous choisissez toutefois de vous faire apparaître au travers d’archives de votre jeunesse, ou encore via des scènes de vos anciens films. Était-ce un moyen de créer une passerelle entre votre histoire et celles des élèves du conservatoire ?
Valérie Donzelli : J’ai l’impression que ce qui m’a paru tout de suite évident, c’est d’être en miroir avec Clémence. J’ai passé le conservatoire au même âge et je l’ai raté. Elle, elle va le quitter pour devenir metteuse en scène. Enfin, il y avait beaucoup de points communs entre nous. Moi, maintenant, je suis metteuse en scène et elle me demande de venir immortaliser sa dernière année et en même temps de la regarder mettre en scène, donc à une place où elle choisit de regarder. D’une certaine façon, elle avait envie d’être regardée durant ses derniers instants.
C’était intéressant car ça me rappelait la jeune fille que je pouvais être à cet âge-là. Je me suis un peu identifiée à Clémence et je trouvais ça beau de pouvoir regarder les premiers pas d’une metteuse en scène et de voir les doutes par lesquels elle passe.
En tant que cinéaste, évidemment, je connais les épreuves qu’on traverse quand on fait un film. Il y a la confiance, puis le syndrome d’imposture totale, en se demandant qui ça va intéresser, puis de nouveau la confiance. Ce sont des montagnes russes perpétuelles. Donc je savais que ça serait un sujet riche pour mon film documentaire. Ce qui était intéressant, ce n’était pas le résultat de la pièce mais le chemin pour y arriver et toutes les péripéties que la mise en scène suppose. C’est naturellement que je me suis mise à exister dans le film comme un souvenir. Et puis on s’envoyait des messages, donc je savais qu’il y aurait un lien. Ça s’est fait dès le premier message qu’elle m’a écrit, où elle m’a proposé un café pour m’expliquer ce qu’elle voulait faire.
Tout au long du film, des ponts entre la mise en scène cinématographique et théâtrale sont faits, entre l’ours et le filage, notamment. Pour toutes les deux, est-ce qu’au cours du tournage vous avez pu percevoir des liens entre vos approches de la mise en scène ?
V.D : Je me souviens qu’on discutait à propos du « switch » [dans Hamlet(e), Hamlet meurt à la moitié de la pièce, ce qui entraîne une redistribution des rôles, ndlr] et de ta peur qu’il ne fonctionne pas. Je te disais que c’était normal car tu étais à un endroit du travail où les choses n’étaient pas vraiment inscrites.
Tu me disais « Il ne faut pas leur dire [à la troupe,ndlr] que je doute. », et ça je le comprenais. Puis tu me disais aussi « J’avais la foi, mais là je suis obligée de le faire ». C’est vrai que lorsque l’on met en scène, à un moment donné, on ne peut plus reculer, car on a embarqué trop de gens avec nous. On doit aller au bout. Et l’idée d’aller au bout de cette espèce de traversée incertaine et bien parfois, quand on n’a pas la fougue mais que le découragement, c’est très dur.
À plusieurs reprises, Clémence, on vous voit réfléchir et tester des choses avec votre troupe, notamment avec la comédienne Chloé Besson, qui interprète un personnage comique. Est-ce important pour vous d’affranchir les répétitions d’une forme de verticalité ?
C.C : Oui, c’est vraiment quelque chose que je souhaite. Je veux une direction d’acteurs où le comédien ou la comédienne trouve par lui-même. Après, je ressens des choses et je me demande comment je vais l’amener naturellement à l’endroit que je souhaite. Parfois, j’ai des idées et le comédien ou la comédienne me dit que physiquement il ne les trouve pas. Ce qui vient des acteurs est toujours mieux que l’idée de départ.
Pour parler de votre pièce, vous avez dit préférer le terme de « variation » à celui de « réécriture ». Est-ce que filmer les répétitions était un moyen pour vous de lui donner justement une nouvelle variation ? Dans la mesure où le film, comme la pièce, croque les rouages de la fiction.
C.C : Je sais que lorsque j’ai proposé l’idée à Valérie c’était vraiment dû à la peur que tout cela se termine. Qu’il y allait avoir une vie après le conservatoire. Par conséquent : qu’est-ce qu’on garde de ça ? Car on ne garde rien du théâtre, en vrai. Et d’un coup, d’avoir son regard, ça m’a permis de me dire que dans 40 ans ça aura existé. Mais oui c’est une variation, c’est vrai, je n’avais jamais perçu le documentaire comme ça.
Valérie, vos films, malgré leurs thèmes parfois graves, jouissent toujours d’une certaine fantaisie visuelle, qui passe notamment par les décors intérieurs. Composant ici avec les espaces du conservatoire, comment avez-vous mené cette réflexion autour des lieux ?
V.D : Je n’ai pas vraiment mené une réflexion sur l’espace parce que le décor était déjà là. Je ne l’ai pas changé. C’est marrant car lorsque l’on a fait le court métrage, pour le coup j’étais vraiment intervenue. On avait tourné dans une annexe du conservatoire, je vous avais fait des coiffures avec des petits nœuds. J’avais rapproché le court métrage de l’univers de mes films.
Ici, ça n’était pas vraiment mon univers, à l’exception des incursions en super 8… Je crois, à vrai dire, que le super 8 est devenu une réappropriation du décor. Quand on filme en super 8, il y a tout de suite une nostalgie. Il y a du super 8 dans tous mes films. J’ai d’ailleurs fait un court documentaire dans le cadre d’une case d’Arte nommée Square Artist. Il se nomme Le Cinéma de maman et parle de ma mère mais également du deuil impossible. Il est composé uniquement en images super 8 qu’elle avait faites elle-même. En plus, j’ai tourné sur Rue du conservatoire avec sa caméra. Donc le super 8 m’a permis de me réapproprier le décor avec une signature plus personnelle.
Le dispositif réduit de la réalisation, avec un téléphone portable, puis une seule caméra et un ingénieur son, participe quelque peu à cette fantaisie, dans la mesure où vous deviez presque recréer les décors vous-mêmes à certains moments…
V.D : Pour le coup, c’était vraiment une affaire de budget. On n’avait vraiment pas d’argent. La pièce était programmée fin février et on s’est rencontrées en novembre, donc l’idée c’était de faire avec les moyens du bord. Cette restriction est devenue un cadre qui a défini le film. C’est bien, car j’aime bien travailler comme en architecture : composer avec les contraintes et en faire une force. J’ai donc réfléchi à comment faire un film à la fois beau et cinématographique sans être trop cru. J’ai eu la caméra du conservatoire et on s’est retrouvés à bidouiller. Parfois, je n’avais pas d’équipe car je n’avais pas les moyens de les payer et ne souhaitant pas non plus avoir trop de matière, on a organisé le film en filmant deux jours par semaine.
Clémence, dans votre pièce vous choisissez de ne pas inclure le monologue « Être ou ne pas être ». Pour justifier ce choix, vous dîtes que ce retrait permet au public d’entrevoir la liberté dans la création. Pour toutes les deux, est-ce que vous aviez prévu que le film quitte en quelque sorte de son statut d’archive personnelle pour devenir une adresse à l’intention des spectateurs et spectatrices ?
V.D : Je savais que le film s’adresserait aux spectateurs, je ne savais juste pas par quel biais. J’ai fabriqué le film dans l’idée que je racontais quelque chose et raconter, c’est s’adresser aux autres. L’idée n’était pas de créer un souvenir, même si ça l’est car ça marque notre rencontre. Ce qui me plaît dans mes films, c’est de partir de mon nombril et de faire un zoom arrière pour le rendre le plus universel possible. J’espère que les gens seront touchés à des endroits et que ça leur parlera.
Enfin, parmi tous les intervenants du film, on compte également l’ancienne directrice du conservatoire, Claire Lasne-Darcueil, qui terminait sa mandature au moment du tournage. Dans le film, elle se montre très heureuse de constater une ouverture dans les profils des élèves du conservatoire et est optimiste concernant l’avenir du théâtre et du cinéma, justement portés par cette nouvelle génération. Est-ce que vous partagez toutes les deux ce constat et cet optimisme ?
V.D : Complètement. En passant du temps avec la promotion, j’ai vu que ça n’était plus le conservatoire que j’ai connu. C’est tout le travail qu’a fait Claire quand elle a pris les commandes de ce lieu. Elle a parlé du conservatoire partout, dans les banlieues, dans les écoles publiques pour leur dire « Cette école, elle est à vous ».
Elle a même créé des classes préparatoires au concours gratuites, car les cours de théâtre coûtent cher. Quand j’ai passé le concours, c’était majoritairement des gens issus de la bourgeoisie, blancs, parisiens… Alors qu’aujourd’hui, on voit bien que Claire a permis une vraie diversité à tous les endroits. C’est génial, car tout le monde peut avoir envie de jouer. Ça va forcément influer sur le théâtre et le cinéma de demain et c’est très bien. C’est vraiment son geste politique, Claire est quelqu’un de structurellement politique. Elle a toujours défendu cela et ça n’a pas dû être facile. Ce sont des choix politiques qu’elle a fait. C’est elle qui a changé cela et non ses prédécesseurs.
C.C : Ça a beaucoup bougé. Mais il faut que ça bouge encore. Ce monde est tellement bourgeois et Claire a vraiment dit « Arrêtons avec ces privilèges », elle a ouvert les portes. Elle a fait un sacré travail. Ça donne de l’espoir pour la suite. Il faut que ça bouge et on se battra pour ça.
Rue du conservatoire de Valérie Donzelli (Diaphana, 1h20), sortie le 18 septembre.