Florence Andoka publie une biofiction dédiée à Chantal Akerman. Rêve Akerman est un exercice littéraire qui brode d’imaginaire les lignes biographiques et filmographiques de la cinéaste.
Autrice et critique d’art, Florence Andoka écrit pour et sur les pratiques artistiques. Ses livres ont pour sujet la vie réelle de femmes artistes. Après Rouge Kusama (2024) dédié à Yayoi Kusama et Rendre chair (2022) à Alice Neel, Rêve Akerman est sa troisième biofiction. Forme littéraire hybride, la biofiction (ou fiction biographique) combine documentation et création pour rendre compte de la vie d’une icône.
Rêve Akerman paraît aux éditions de la variation. Il redonne corps à la cinéaste belge Chantal Akerman (1950-2015). Fille d’une rescapée de la Shoah et descendante d’une famille juive polonaise, elle réalise son premier court-métrage, Saute ma ville, en 1968. Elle a dix-huit ans. En 1976, sort Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles, consacré « meilleur film de tous les temps » par la revue Sight and Sound.
Plutôt que sur l’objectivité, Florence Andoka mise sur une enquête introspective et personnelle. Elle s’appuie sur des évènements biographiques de la cinéaste mais laisse aussi libre cours à l’écriture pour penser les nuances d’une existence et rendre un sentiment plutôt qu’un puzzle factuel. Ainsi, l’autrice prend soin de tendre l’oreille autant à ses rituels, à ses états d’âme qu’à ses pensées.
Faire son travail de regard
Par l’oeil et la main
Captive qui capte ce qui vient
Enfermée dans son besoin de regard
Sur le monde
Et les autres
Comme elle-même
Rêve Akerman de Florence Andoka
Une vie qui s’écrit encore
Comment ne pas figer les contours de l’être auquel on dédie un texte ? Comment dire le fracas d’une vie non-contradictoire avec l’immense liberté d’un regard ? Florence Andoka n’appose pas de qualificatifs en chaîne pour épingler l’artiste. Pour discuter, avec elle, plutôt que de la définir, elle use du tutoiement. Elle s’adresse directement à elle. Notamment au travers d’une question, sans résolution, écrite en lettres capitales :« Qui es-tu ? ».
Ce livre est bref comme un passage furtif dans la vie de celle qui savait « faire [des] film[s] sans histoire », buvait beaucoup de cafés serrés avalés net et fumait d’innombrables clopes. Les scènes narratives, entrecoupées de vers libres, cherchent à capter la fragrance et l’atmosphère de la vie de cet être. En retraçant le fil de sa filmographie, Florence Andoka zoome sur des scènes entêtantes et inoubliables des films de Chantal Akerman, ces « objets d’amour suscitant un désir sans fin ». Les corps, si tendres, de ces deux femmes dans Je, tu, il, elle. Le magnifique plan à 360° de La Chambre où la cinéaste mange une pomme.
Assumant la position de funambule entre réel et imaginaire, l’autrice dessine un portrait vivant. Elle reprend méthodiquement des dates clés de sa vie, invente des moments qui n’ont pas existé, improvise quelqu’une des ses pensées. Chantal Akerman habite plusieurs villes, rencontre des gens qui comptent, lit des livres marquants, pense à sa relation fusionnelle avec sa mère. Florence Andoka dit aussi ses activités, somme toute, banales. Faire les courses. Discuter avec un réceptionniste. Préparer les repas. Passer parfois, des jours entiers au lit, sans aucun désir. Regarder, avec intensité, les visages dans la rue. Prendre des traitements médicamenteux pour reprendre des forces. Penser à celle qu’on aime.
Tu ne sais pas si c’est de l’amour, tu n’y crois pas entièrement à l’amour, mais tu crois aux présences qui font du bien et aux attentions qui font plaisir. Quand une femme te plaît, tu ne peux pas t’empêcher de rêver sa garde-robe, d’être attentive à la manière dont elle entoure son corps de vêtements et d’objets.
Rêve Akerman de Florence Andoka
Rêve Akerman est un titre adéquat. Comme dans un rêve, on ressort de cette lecture, les idées embrumées sans bien savoir qui était qui et l’ordre dans lequel les choses se sont passées. Finalement, cela a peu d’importance. Ce qui reste ? L’impression d’avoir partagé un moment, privilégié, avec cette femme qui a légué de si belles images.
Rêve Akerman de Florence Andoka, éditions de la variation, 15euros.