COMPÉTITION FRANCE – Après un passage remarqué au CEFF en juin dernier, le réalisateur Hakim Atoui présente Les Liens du sang dans la sélection française en compétition d’Off-Courts Trouville. En mêlant les codes narratifs, ce court métrage bouscule, émeut, amuse. Rencontre.
Banlieue toulousaine. Ali et Leila viennent déjeuner chez leur mère, à la retraite, qui vit seule dans un pavillon. Seule, c’est que le frère et la sœur pensent : la porte s’ouvre sur Elyo, un humanoïde souriant. Le robot semble apporter à leur mère une aide non-négligeable. Rapidement, ils intègrent que sous ses aspects mécaniques et quelques peu mal maîtrisés – la mère a égaré la notice – Elyo connaît tout ou presque de leur vie et de leurs goûts. Le déjeuner débute, la discussion s’approfondit, et les reproches enfouis percent bientôt la couche des apparences. Les Liens du sang explore la pluralité des relations familiales, et les paradoxes qu’elles affichent. Avec pragmatisme, créativité, et tendresse, Hakim Atoui dresse le tableau d’une mère et de ses deux enfants – devenus adultes – qui, tant bien que mal, tentent de s’aimer.
Peux-tu nous raconter le chemin jusqu’à la compétition d’Off-Courts avec Les Liens du sang ?
Les Liens du sang, c’est mon deuxième court métrage. Avant ça, j’ai fait un long métrage documentaire [La Première marche], mais un peu par hasard, parce qu’il n’était pas financé, ni produit. Ça a quand même fini par être un long métrage de cinéma en 2020. À l’époque, j’écrivais déjà des projets de fiction, mais qui ont mis des années à se financer.
J’ai tourné ma première fiction l’année dernière, en Bretagne. C’est une histoire de science-fiction, et une éclipse qui ne finit jamais. En parallèle, j’étais un peu frustré de voir que les financements prenaient beaucoup de temps. Alors, j’ai parlé à deux amis avec qui j’avais été en classe, et qui sont producteurs. Ils m’ont dit : « Ah, mais tu ne veux pas faire un court avec nous ? ». J’en ai donc lancé un deuxième en parallèle [Les Liens du sang], avec l’envie d’être un peu plus fun dans l’écriture. Et finalement, il s’est fait très vite. On a tourné en février de cette année. Voilà, on a un peu enchaîné les deux.
Sinon, je suis scénariste pour des séries télé. C’est comme ça que je gagne ma vie. Pour moi, la réal, c’est un peu un autre monde, dans le sens où quand t’écris, tu es seul·e. Même dans les séries télé, tu es très souvent seul·e, et tu es un peu préservé·e de la pression du tournage. Alors quand tout d’un coup, il y a 30 personnes et une équipe technique… C’est un peu fou.
Lors de la discussion après la projection, tu disais ne pas avoir fait d’école de cinéma. Peux-tu nous parler de ton parcours ?
J’ai toujours voulu bosser dans le cinéma, mais je ne savais pas comment faire. Je viens d’une famille de médecins, donc c’était soit médecine, soit droit. J’étais un peu perdu. Après le lycée, j’ai fait une prépa, parce que tout le monde en faisait une. J’ai choisi une prépa économique. Je trouvais que c’était la plus ouverte sur le monde. Il y avait des cours de philo, de géopolitique, etc. Après la prépa, je me suis dit que j’allais intégrer une école de commerce. C’était la suite logique.
Par contre, à côté, j’ai toujours travaillé dans le ciné. Les stages et les premiers jobs, je les ai faits dans les secteurs qu’on a après une école de commerce. C’était de la vente de films, des stratégies marketing, du marketing de sortie de films, que ce soit en vidéo ou en télé.
Je travaillais chez Warner, chez StudioCanal, chez Canal… Et en fait, chez StudioCanal, j’ai commencé à lire tous les projets qu’on recevait, et qu’on triait selon si on les acceptait ou non. C’était il y a dix ans, hein ! Et je me disais : « Mais je peux écrire au moins aussi bien ! Je vais faire ça, et dans un an, je ferai mon premier long. » (rires). Spoiler alert, ça n’est toujours pas le cas : je n’ai toujours pas fait de premier long.
Et quand as-tu décidé de changer de trajectoire ?
J’ai très vite senti que c’était une espèce d’autoroute, et je me suis dit qu’il fallait que je m’extraie de ça très vite. Je n’ai bossé qu’une seule année dans le monde du marketing (après l’école). Ensuite, j’ai basculé. Je voulais être plus proche de la fabrication des films. Ce que je savais faire, et qui me semblait être le plus concret pour apprendre un peu plus, c’était la production.
Il y avait cette formation à la Fémis, l’atelier Ludwigsburg-Paris. C’est une formation assez courte, centrée autour de la production européenne. Elle s’articule entre l’Allemagne, la France et l’Angleterre. Je savais déjà que je ne voulais pas produire, mais je me disais que je pourrais y rencontrer des gens, et que ce serait intéressant. La formation est accessible par concours, mais ce n’est pas la formation de quatre ans en production. C’est moins compétitif. Il faut être assez jeune – ne pas avoir plus de trente ans -, et avoir déjà travaillé. Ils montent des promos avec une vraie complémentarité. Tu as des gens qui viennent du cinéma, d’autres du droit, d’autres des ventes, d’autres du marketing… Tu apprends autant des interventions que des gens. Il n’y a pas d’examen ; c’est surtout conversationnel, avec des personnes qui travaillent là-dedans.
Et cela t’as mené à ton premier film, La Première Marche…
À l’époque de cette formation, mon long métrage documentaire était déjà fini. On a eu un distributeur au début de cette année-là. Par contre, c’est à la Fémis que j’ai rencontré mes deux co-producteurs sur Les Liens du sang : Stéphane Marchal de Yukunkun, et Thibaut Amri d’Avant la Nuit.
Je n’ai donc pas fait d’école d’écriture ou de réalisation. Ce tournage-là, c’est mon deuxième, mais c’était littéralement la deuxième fois que je mettais les pieds sur un plateau de tournage ! Après, le système français est très bien fait. Il y a beaucoup de projets qui sont envoyés dans chaque session de financement, mais il y a quand même de la place pour les gens qui ne viennent pas du monde du cinéma. Ça, c’est bien. J’ai même l’impression qu’à certains endroits, c’est valorisé. Et puis, je pense que les gens qui font une école de ciné sortent en ayant déjà fait tellement de courts qu’ils ont envie de passer à des longs. Alors que ceux qui n’ont jamais fait de court métrage peuvent se dire : « Faisons déjà des courts, et voyons si c’est ce qui nous plaît ou pas. »
Comment et quand t’es venue l’idée, l’envie, de réaliser Les Liens du sang ?
Il y a eu plusieurs conversations avec Stéphane, mon producteur. On se disait que ce serait sympa de faire un projet ensemble. Je pense qu’on avait envie de s’amuser dans l’écriture et dans le tournage. La comédie nous attirait. Moi, le slasher me plaisait. Je ne savais pas du tout comment on fabriquait ça, mais je trouvais ça drôle de faire un slasher de série B, où les gens mouraient de manière un peu absurde, avec des effets spéciaux faits, parfois, de bric et de broc.
Et puis, un jour ma tante m’a expliqué qu’au Japon, il y a des robots qui vivent avec les personnes âgées, et qui s’occupent d’elles. Je me suis dit que ce serait drôle de partir de cette crainte de la solitude palliée par un robot. En développant cela, j’ai pensé à ce qu’il pouvait se passer si ce robot devenait un robot-tueur qui fait l’exact opposé de sa mission initiale.
Au lieu d’aider, il devient en fait une source de danger…
Au début, j’avais l’idée qu’il tue cette femme, mais un peu par accident. Il y avait le paradoxe de ramener quelqu’un qui est censé vous aider et qui, en fait, finit par vous tuer sans faire exprès. Là-dessus, j’ai collé une autre couche qui me semblait intéressante, la famille. On arrive alors sur l’idée que le robot puisse tuer toute une famille en voulant protéger son propriétaire. J’ai grandi avec ma mère et ma sœur. Comme dans beaucoup de familles, je pense, il a pu y avoir l’idée que ce n’est jamais assez, qu’on n’est jamais assez présent. Je trouvais ça plus intéressant d’en faire une fratrie, où les enfants ne sont plus très présents, plutôt que de rester sur une femme seule avec un robot.
Dans l’idée de cette fratrie, je voulais qu’il y ait un enjeu autour du déjeuner, et que l’enjeu caractérise la problématique de relation imparfaite entre la mère et les enfants. Ils n’arrivent pas à être trois adultes autour d’une table. Ils restent, même à 50, 40, 30 ans, une mère et deux enfants, alors qu’ils ont envie d’être ces trois adultes. Du coup, j’ai voulu qu’ils viennent tous les deux avec une annonce qu’ils n’arrivent pas à formuler, qu’ils découvrent le robot à ce moment-là, et que cela devienne un déjeuner où chacun meurt à la fin.
Pour le final des Liens du sang, je voulais un top shot avec une immense mare de sang faite de leurs trois sangs qui se mélangent. Pour des raisons techniques de tournage, on n’a pas eu cette grande mare. Pourtant, ce top shot, ça a été l’une de mes premières images. C’était une manière de se dire que finalement, ils finissent ensemble : ils peuvent être contents. Bon, c’est compliqué de gérer le sang sur un tournage, mais c’était l’idée (rires). En tout cas, voilà la logique de l’écriture.
Quel a été le processus de fabrication des Liens du sang ?
On a vraiment pu faire une bonne préparation. On a eu six jours de tournage à Toulouse, où on a pu faire les effets spéciaux tels qu’on les voulait. Évidemment, c’est jamais assez, mais je m’estime très chanceux d’avoir pu bénéficier de ces moyens là pour du court métrage. On a également pu caler trois semaines de montage en Belgique avec un très bon monteur belge, John Pirard. On a fait l’étalonnage là-bas.
Une fois qu’on s’est mis d’accord sur le scénario, ça a coulé. Le tournage était génial. La post-prod, un peu plus compliquée. Je sortais d’un tournage tellement chouette que les ajustements de montage ont été plus durs à encaisser. Sur un tournage, il y a beaucoup de choses qui marchent… dans ta tête. Tu vois les scènes sans effets spéciaux, et tu te dis : « Ça ne marchera jamais, c’est catastrophiquement mauvais » (rires).
Je n’avais jamais monté de comédie. Le rythme est compliqué, j’avais rajouté plein de détails qu’il a fallu sacrifier. On s’est dit qu’on allait tenter une version qui serait horrible avec le montage, mais ne comprendrait que ce qui est follement indispensable. On enlevait des scènes entières, en se demandant pour chaque phrase si elle servait à quelque chose. Ça a donné quelque chose de beaucoup plus court, que j’ai montré autour de moi. Et ça a marché. Les gens le trouvaient génial. Pour moi, ça a vraiment été un crève-cœur pendant quelque temps, mais j’ai décidé de faire quelque chose qui me plaisait. J’ai rajouté de la matière là où c’était pertinent.
John était dans une logique de « On tente tout », et moi aussi. Il fait du montage depuis 25 ans, et son expérience était très utile. Je n’y croyais pas, mais il suffisait d’un twist, d’un champ-contrechamp, et ça fonctionnait.
On a eu de bonnes conditions. Les gens ont été payés pour l’intégralité des jours de tournage qu’ils ont fait, ce qui est légal, mais qui n’est pas le cas tout le temps (rires). Honnêtement, on a pas vraiment eu de souci au niveau des moyens. Je le vois par rapport à d’autres projets que j’ai, qui ont mis du temps à se financer, ou qui sont en train de l’être de manière très difficile. Là, j’ai le sentiment qu’au-delà de la qualité, c’est un projet qui est assez facile d’accès pour le public. Ça discute beaucoup, les enjeux sont clairs. Le mélange des genres joue en notre faveur.
Comment s’est déroulé le casting ?
Pour la mère, c’était rapide : il n’y a pas beaucoup de comédiennes arabes de 65 ans. L’année où on a casté Saadia [Bentaïeb], elle jouait dans Anatomie d’une chute. Je me souvenais aussi d’elle dans Jusqu’à la garde de Xavier Legrand, où elle m’avait marqué. On lui a proposé le rôle. Elle était très touchée par l’histoire des Liens du sang, parce que ça lui rappelait sa propre histoire avec sa mère et son frère. Elle a été à fond dès le début.
Et puis, il y a eu Myriem [Akheddiou]. On cherchait une actrice belge. Je me souvenais d’elle dans les films des frères Dardenne. Elle a lu le scénario, et m’a dit ne vouloir qu’une seule réponse avant de dire oui. Je pensais qu’elle allait avoir peur que les effets spéciaux soient cheap. Mais non. Elle m’a simplement demandé : « Selon toi, les personnages sont premier degré ou non ? ». Bien sûr, ils l’étaient tous. Elle a accepté.
Djanis, je l’avais vu dans Tu mérites un amour d’Hafsia Herzi. Je l’avais trouvé incroyable. On échangeait pas mal, on avait bu des cafés ensemble, on parlait sur Insta. Et en fait, le rôle d’Ali dans Les Liens du sang étant beaucoup plus réservé, je n’avais pas pensé à Djanis initialement. J’avais en tête un autre comédien, que j’avais vu au théâtre. Et puis, le tournage a été décalé. Ce comédien n’était plus disponible. Je me suis dit que je n’allais pas en chercher un autre dans la même veine. J’ai préféré aller vers quelqu’un de différent pour qu’il n’y ait pas de comparaison.
Comme Les Liens du sang évolue en slasher, les installations étaient parfois longues. Les acteur·rices avaient leurs micros, et moi, le retour. Parfois, j’entendais ce qu’ils se disaient en étant dans une autre chambre. J’étais mort de rire la moitié de la journée, juste en les écoutant.
Et pour le rôle d’Elyo, le robot ?
Pour Adrien Dantou, qui joue Elyo, on cherchait un danseur. Adrien a mille casquettes : il est danseur, comédien, réalisateur, mannequin, voire plus. J’avais un peu peur qu’il soit frustré par le rôle, parce qu’il est très présent à l’image mais parle peu. Autour de la table, il a quelques petites interventions. On s’est vus à Paris, on a pris un café. Je pense que ce qui l’intéressait aussi, c’est qu’en tant que réalisateur, il avait entre autres envie de voir comment le projet se faisait. C’était plus pour ça que pour lui-même, sous le masque.
D’ailleurs, le premier jour du tournage, il s’est rendu compte qu’il était claustrophobe (rires). Une fois qu’on lui a mis le masque, qu’on lui a collé les yeux, qu’on a placé les lentilles, il a pris conscience qu’il allait devoir passer huit heures dedans. Ça lui a un peu fait peur, et finalement, il a été super de bout en bout.
La danse, c’était parce que le masque cache les réactions faciales. C’était donc important qu’Elyo soit inquiétant dans ses mouvements. Et en même temps, ce que je me raconte avec cet humanoïde, c’est qu’il est censé être là pour rassurer les personnes âgées. Je ne voulais pas qu’il soit trop robotique, mais il devait être aussi rassurant qu’inquiétant. Il ressemble trop à un être humain pour ne pas être inquiétant.
Ton film parle beaucoup d’amour : le frère et la sœur, la mère et ses enfants… Le personnage de la mère est particulièrement ambivalent : ses enfants lui reprochent d’être étouffante, mais savent qu’elle veut les voir heureux.
Oui. Je ne voulais pas qu’elle soit méchante. Dans un court métrage, c’est parfois un peu dur de caractériser des personnages quand on a envie de montrer des moments où ils sont insupportables. En même temps, il faut que les spectateurs puissent avoir, même en vingt minutes, une affection pour eux. Je pense que dans toutes les relations, qu’elles soient familiales, amicales ou amoureuses, il y a une partie de chacun qui est adorable, et une partie qui est vraiment détestable. Et parfois, quand on regarde une relation de l’extérieur, on se dit que telle personne est très gentille. On ne comprend pas comment elle peut ne pas être aimée, ou comment des gens peuvent se disputer. J’ai donc vraiment essayé de chercher comment chacun pouvait avoir ces deux facettes.
Pour les enfants, c’était facile de rapidement caractériser le fait qu’ils ne soient pas allés voir leur mère. C’est ce côté un peu ingrat de savoir qu’elle est en difficulté, mais de ne pas lui rendre visite. En même temps, c’est elle qui leur dit de ne pas venir et, quand ils viennent enfin, elle leur reproche de ne pas l’avoir fait plus tôt. C’est ce reproche constant que je trouvais assez percutant à creuser.
Malgré sa dureté, le personnage de la mère est, par moments, réellement touchant. Lors du dialogue final, elle parvient à dire à sa fille qu’elle est belle, alors que Leila souffrait de sa joue gonflée – qui a été un non-sujet durant tout le repas.
Déjà, il y a eu des imprévus ! Par exemple, la joue gonflée de Leila n’était pas dans le scénario. La comédienne a eu une rage de dents deux jours avant le tournage. Sa joue était complètement déformée. Elle est venue avec, et en fait, on a fait toute la scène du déjeuner en deux jours. Ensuite, on a eu quatre jours pour faire les coups de couteau, le sang, les cascades, le feu, les scènes en haut, etc. Il a donc fallu garder cette continuité, parce que la joue de Myriem a dégonflé pendant la semaine (rires). On lui mettait du coton dans la bouche. Mais la bouche n’était pas prévue. Pour moi, la fin boucle avec le début, quand elle lui lance cette remarque désagréable : « Ton coiffeur n’est pas un psychothérapeute. ».
C’est un peu une réparation. Il y avait d’autres liens mais, pour garder un rythme de comédie, on a dû faire quelques ellipses. Est-ce que la mère a vu la joue de sa fille, ou non ? Là n’est pas la question. En fait, elle est tellement obsédée par la manière dont eux devraient être avec elle qu’elle ne les regarde pas.
Et puis, ça n’est jamais manichéen. Dans le film, les personnages passent précisément treize minutes autour de la table. C’est beaucoup, et pourtant, on ne voit pas tout. Lorsqu’Ali dit à sa mère qu’elle est « horrible », mes producteurs m’ont fait remarquer qu’ils ne la voyaient pas être horrible. Je leur ai répondu qu’il fallait faire confiance aux spectateurs.
Elyo est dysfonctionnel. Tu faisais le lien avec les relations familiales.
Je pense qu’absolument chaque relation est dysfonctionnelle. Ici, il s’agit d’une famille de classe moyenne. La mère a une retraite d’institutrice. Si elle achète un humanoïde, il est forcément un peu cheap. Elle le dit elle-même : il est de premier prix, mais ça lui suffit. Je voulais qu’il soit dysfonctionnel, et qu’elle ne comprenne pas vraiment les dangers qu’il peut représenter.
Ton scénario mélange les registres. On passe du rire aux larmes, et chaque genre apporte des éléments de référence très précis.
Oui. En fait, puisqu’il n’y a pas d’enjeu autre que de s’amuser quand on fait des courts métrages, je me dis que c’est l’endroit où l’on peut essayer de faire des choses que l’on ne nous autoriserait pas forcément à faire ailleurs.
Quand j’écris une comédie pour une série télé, il faut que ce soit une comédie de A à Z. Il peut y avoir des moments de drame, parce qu’évidemment, tout ce qui est tragique est comique, et tout ce qui est comique est un peu tragique. Tout cela est très lié. Mais ce qui est sûr, c’est qu’on ne va pas t’autoriser à faire et comédie, et drame, et slasher, et un peu de série B, en vingt minutes. S’il y avait un endroit où je pouvais faire ça, c’était dans un court.
Pour Les Liens du sang, il y avait aussi un enjeu financier. Avec Stéphane, on savait qu’il fallait de l’argent pour faire ce film et le faire bien. On s’est demandé si le mélange des genres serait accepté au niveau des chaînes de télé et des financements. On a aussi réfléchi à la manière d’injecter du slasher dans la partie comédie, et de la comédie dans la séquence slasher à la fin. Pour moi, jusqu’au tournage, c’était une comédie et un slasher. Et en fait, entre les deux, s’est intercalée une phase de drame qui n’était pas du tout prévue.
Il fallait donc crééer des personnages ambigus, qui puissent être outranciers, et drôles, tout en pouvant être plus retenus et touchants. Par exemple, quand la mère pleure à la fin du déjeuner, je voulais que le public se questionne sur la teneur de ses larmes : en fait-elle trop ? Finalement, la comédienne, Saadia Bentaïeb, l’a tellement bien joué au premier degré que les spectateurs sont profondément touchés.
Peux-tu nous parler des enjeux du format court pour Les Liens du sang ? On sait que le budget et les moyens techniques peuvent être particuliers.
On a eu de la chance. Je pense qu’il y a beaucoup de projets assez dramatiques dans le court métrage français. D’ailleurs, au CEFF et ici, Les Liens du sang est la seule comédie de notre sélection (ici, de la sélection France 2). J’ai l’impression d’avoir également ressenti ça au niveau du financement. En fait, ça a été assez simple. On a envoyé ça en région, et on a eu coup sur coup la métropole de Toulouse et l’Occitanie. C’était chouette. On a aussi eu une aide d’OCS, qui sont très branchés comédie et slasher. Enfin, on a bénéficié de l’aide au programme et l’aide à la diversité du CNC.
Pour l’aide à la diversité, j’avais envoyé une note d’intention en expliquant que, selon moi, la diversité ne veut pas forcément dire : raconter des sujets de diversité. C’est aussi une diversité à l’écran, et une diversité de sujets. C’est vraiment intéressant d’avoir une famille arabe au cœur d’un slasher et d’une comédie – d’un film de genre, donc -, et qu’en fait, leur identité arabe ne soit pas le sujet. Le sujet, c’est une embrouille de famille qui finit en slasher. Peu importe leur identité. Je pense que c’est très cool de créer de l’imaginaire avec des personnages de diverses identités de genre, origines, etc., et d’aller dans tous les genres du cinéma, jusqu’aux comédies musicales. Cette aide m’a sincèrement fait plaisir.
Le scénario fait écho a ton histoire personnelle. Tu penses que c’est important, voire inévitable, pour un·e cinéaste ?
Ce n’est pas un copier-coller de ma famille ou de nos relations. Cela dit, c’est marrant, parce que quand j’étais plus jeune et que j’imaginais travailler dans le cinéma, je trouvais les gens insupportables à raconter sans cesse leur propre histoire. Je pensais : « Raconte autre chose, tu peux écrire n’importe quelle histoire sur l’univers. Raconte des choses qui ne sont pas toi. » Et finalement, je pense que tu t’en rappelles tout le temps d’une manière ou d’une autre. Il y a un truc un peu psychanalytique à voir qu’on explore telle chose de telle manière.
Là, pour ce court-métrage, j’ai l’impression d’avoir pris 10 % de ma vie pour créer une dynamique en trio, puis 90 % de fiction pour extrapoler, pousser les curseurs de chaque personnalité et inventer leurs interactions. Les personnages sont très loins de nous. Quand on écrit des personnages, il faut pouvoir se rapprocher émotionnellement de chacun et se dire que d’une manière ou d’une autre, on les connaît et on les comprend. C’est important d’avoir de l’empathie envers eux.
Pourtant, quand tu écris pour des séries, les personnages ne viennent pas de ta propre histoire !
C’est vrai, en tant qu’auteur de séries, je travaille sur des personnages qui sont très éloignés de moi. Et j’ai parfois l’impression que ce que les gens vivent, c’est universel, peu importe l’âge, l’origine, ou la classe sociale. On vit tous et toutes des choses très similaires dans nos vies, dans nos relations familiales, amicales, amoureuses. On peut toujours trouver des accroches plus ou moins éloignées.
Maintenant que le film appartient au public, quel ressenti gardes-tu de ton expérience avec Les Liens du sang ?
C’était marrant à faire (rires). Et c’est vraiment sympa d’être ici. La sélection est très chouette, J’ai beaucoup aimé voir les autres courts métrages. C’est quand même très bien fait, tout ça. Dans chaque film, je vois des éléments qui m’inspirent, m’intriguent. Je trouve ça vraiment joyeux de voir les projets des autres.