LITTÉRATURE

« Des montagnes de questions » – Mission traduction

© éditions la Contre Allée

Précis hybride sur l’art de la traduction, Des montagnes de questions de Stephanie Lux décrit la vie envoutée par les mots dans un texte émaillé de références à des paroles qui l’ont éveillée. Un livre réjouissant et inattendu.

« J’apprends à ne pas traduire des mots, mais une intention ». Traductrice littéraire de l’allemand et de l’anglais, Stéphanie Lux est intello et sportive, féministe et lesbienne, transfuge de classe et de langue, écrivaine et libraire. Elle a notamment traduit des ouvrages de Christine Wunnicke, Clemens J. Setz et la tétralogie de Tamsyn Muir, Tombeau scelléDes montagnes de questions est son premier ouvrage en tant qu’écrivaine dans la collection Contrebande chez La Contre Allée qui laisse la parole à celles et ceux qui font de la traduction, leur métier

Après une enfance passée en Lorraine, Stéphanie Lux étudie à Nancy. Puis, elle part un an à Leipzig dans le cadre du programme Erasmus. Quand elle revient, elle prépare l’agrégation d’allemand, qu’elle n’obtient pas. Elle repart alors en Allemagne – à Leipzig puis à Berlin – où elle vit actuellement depuis près de vingt ans. Stephanie Lux déplie sa trajectoire en mêlant récit de vie et coulisses de la pratique de la traduction.

Comment montrer les « coutures de la traduction » ? L’autrice a à coeur de rendre visible les conditions matérielles propres à sa vocation précaire bien que privilégiée. Elle raconte ses stages, sa candidature pour le programme Goldschmidt, son premier contrat chez Gallimard, ses hésitations, ses engagements, son coming-out, ses projets, ses déménagements, sa prise de conscience d’une politique du langage, son bilinguisme.

Traductrice du futur, objectif féministe

Stéphanie Lux propose une conception militante de la traduction. Traduire n’est pas trahir mais s’engager. Cela demande de faire des choix. Quels livres mettre en lumière pour ne pas reconduire les biais de représentation ? Comment ne pas émousser la puissance qui se trouve dans la langue source ? Quand prendre des libertés vis-à-vis du sens ou de la forme ?

Consciente du bien-fondé d’une pensée collective et féministe, Stéphanie Lux voit le bénéfice de la mise en réseau des esprits :« Onze cerveaux ont plus d’idées qu’un seul ». La traduction demande du temps en solitaire, mais elle est le fruit d’un travail d’équipe. Tel un voyage cosmique, Stéphanie Lux traduit à bord d’un vaisseau en co-pilotage avec l’auteur.ice. D’autres font partie de l’expédition : les chargé.es d’édition, les correcteur.ices, les personnes amies.

Enfin, elle lutte, avec acharnement, contre l’invisibilisation du travail de la traduction. « Ce que je dois le plus souvent contredire, c’est cette croyance qu’en tant que traductrice, je m’efface derrière un texte. Je ne peux pas m’effacer. Je ne suis jamais invisible, et même : on ne voit que moi. Les mots que les lecteurices lisent en traductions sont ceux que j’ai choisis. » Elle s’attache au fait que le nom de la traductrice soit constamment mentionné et s’oppose à l’invitation systématique faite à la traductrice de rester dans l’ombre.

« Écrire avec mes mots à moi, sans m’appuyer sur ceux des autres, m’est longtemps resté impossible ». C’est une réussite. Stéphanie Lux transmet l’effort et le plaisir qu’il y a à passer d’une langue à l’autre. Écrit au féministe générique, Des montagnes de questions livre un récit d’aventure intellectuelle, galvanisant.

Des montagnes de questions de Stéphanie Lux, éditions de la Contre Allée, 16euros.

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