LITTÉRATURE

« Bonbons à l’anis » – Encapsuler l’expérience

© Philippa Schmitt / Brook éditions

L’expérience intime de la déception, de l’amour, de la solitude est le terreau de la poétesse Cecilia Pavón. Son recueil, Bonbons à l’anis, se fait sismographe des secousses existentielles rendues dans les circonvolutions de l’écrit.  

« Je ne veux pas vivre, je veux danser », « Je ne suis pas dark, je suis intense », « Ne pense pas à la poésie, pense à écrire qqchose de vrai ». Artiste et poétesse argentine, Cecilia Pavón écrit, à huit ans, son premier poème sur le soleil et les étoiles  ; jeune, elle lit les romans de Silvina Ocampo trouvés dans la bibliothèque parentale puis elle étudie le cinéma. En 1999, avec son amie Fernanda Laguna, elle transforme une ancienne pharmacie en un lieu alternatif et queer à Buenos Aires. Belleza y Felicidad est un espace où se réunissent des artistes d’avant-garde. On y produit des fanzines pour rien, on expose ses œuvres, vend des objets très peu chers ou encore on assiste à des lectures et performances. 

Déjà traduite dans plusieurs langues, Bonbons à l’anis est le premier de ses livres traduit en français. Il est préfacé par Chris Kraus, la fabuleuse écrivaine du livre I love Dick (traduit en français par Alice Zeniter). Ce livre réunit des poèmes et des nouvelles écrits entre 1999 et 2009. Méditations, morceaux de journal intime, dialogues, lettres adressées, récits de villes traversées, enchainements de pensées. Ce qui préoccupe l’autrice  ? De quelle façon l’écriture modifie la vie ou plutôt, s’imbrique, en elle. 

Dans ce recueil, la trajectoire de l’oeuvre est compliquée, compliquée dans le bon sens et inéluctablement. C’est la trajectoire compliquée d’une écriture qui apparaît comme tout à fait originale et nécessaire, composée sans l’aval d’aucune institution. (…) Elle n’a pas peur de révéler l’étendue de la tristesse et du ridicule des choses, et ce simultanément.

Préface de Chris Kraus

Lutter contre la solitude

Cecilia Pavón écrit, aussi bien, sur la quotidienneté que sur la rêverie, au travers de laquelle elle cherche à s’échapper de la réalité. Dans un montage littéraire, elle déclare son amour, rêve de rejoindre Berlin depuis Buenos Aires en un rien de temps, traverse la ville à vélo, vend des robes de marques qui coutent une fortune, théorise sur la musique expérimentale ou l’oppression des femmes, spécule sur l’avenir du couple, raconte la crise économique, les crushs partagés, l’orgasme inouï avec une nonne dans un couvent. Peu importe la linéarité, les textes se jouxtent les uns les autres, sautant d’une forme et d’un thème à l’autre. La poétesse ne raconte pas d’histoire, elle tend l’oreille à l’intention. Ainsi, elle encapsule la sensation brute dans des textes courts. Retenir un état d’âme. Saisir une ambiance.

S’éloignant de l’objectivisme poétique, Cecilia Pavón remet le je au centre sans pour autant le prendre au sérieux. Mais qui parle ? De quoi ce je est-il la marque ? Est-ce d’elle ou de la vie des autres dont il est question ? « Tout ce que j’écris m’a été raconté par mes amies. Je n’ai rien vécu de tout cela  ». Ainsi, elle fait valser l’identité. Constamment, elle rappelle – avec humour et endurance – que nous ne coïncidons jamais avec nous-même. Mieux vaut ne pas totalement se leurrer. « Personnage poétique fortement distillé », écrit Chris Kraus, le je apparaît comme un espace fictionnel libre et fragmentaire. Semant le trouble dans les identifications, elle invite même les lecteur.ices à « insérer leurs noms » à la place des personnes évoquées.

Je suis le puzzle

qu’un enfant a laissé

abandonné dans la cour

pour monter sur son nouveau vélo

Dans le monde, selon moi,

il n’y a pas d’histoires mais des taches

Bonbons à l’anis de Cecilia Pavón

Tour à tour, poétique, désopilante, tendre, sagace, Cecilia Pavón assume l’oralité, la prose, le langage texto, les références littéraires. Elle feint parfois l’indolence, pourtant, elle ne cesse de saisir les plus infimes détails du quotidien. Bonbons à l’anis est un recueil de poèmes en vrac qu’elle dit écrire pour lutter contre la tenace solitude.

Bonbons à l’anis de Cecilia Pavón, traduit par Marion Vasseur Raluy, Mona Varichon et Rosanna Puyol Boralevi, Brook éditions et Varichon&Cie, 18euros.

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