En janvier dernier, Poppy Fusée nous livrait avec Better Place , l’un des plus beaux albums de cette année 2024. À l’occasion des Francofolies de La Rochelle, nous avons pu échanger avec la chanteuse de son écriture de chansons comme des petits scénarios, de la langue anglaise qui lui transperce le cœur et de se sentir enfin à sa place sur scène. Rencontre.
Pauline Lopez de Ayora fait de la musique depuis bien longtemps. Après dix ans avec le groupe Part-Time Friends, elle quitte Paris et l’industrie pour devenir apicultrice en Normandie jusqu’au jour où les retrouvailles avec une vieille chanson lui procurent de nouveau des émotions. La voilà alors repartie avec un projet solo : Poppy Fusée. Après un premier EP, La Lune en 2022, la chanteuse nous dévoilait un superbe premier album Better Place en début d’année. Issue du Chantier des Francofolies, elle a pu présenter son live dans une salle de La Coursive et réaliser un intercale tout en émotion sur la grande scène, Jean-Louis Foulquier. Maze l’a enfin rencontré pour discuter des émotions que nous procure ses chansons, d’éclaircies au bout du chemin ou encore du cinéma et des clips qui l’ont beaucoup inspiré.
Le projet Poppy Fusée est-il né des dix ans de musique en groupe avec Part-Time Friends puis du désir de quitter le duo pour créer un projet perso ?
Alors pas vraiment… Quand j’ai quitté mon groupe, je voulais arrêter la musique. J’avais une lassitude. Je ne trouvais plus de joie à faire ce métier, à être sur scène, ça n’avait plus trop de sens. J’ai quitté le groupe et j’ai fait une formation pour devenir apicultrice, j’ai quitté Paris je me suis installée en Normandie et j’étais vraiment ok avec cette nouvelle vie. On avait fait trois albums, des belles tournées, je méritais une petite retraite (rires) ou en tout cas une autre vie. Je me suis autorisée à faire cette formation et à partir. Mais la musique m’a complètement rattrapé quand j’ai retrouvé cette chanson qui s’appelle « Pesanteur », le premier titre sorti, dans mes mails.
C’est une chanson que j’avais écrit il y a très longtemps avec un ami d’enfance (Clément Doumic de Feu Chatterton, ndlr) et ça m’a redonné des émotions que je n’avais pas ressenties depuis très très longtemps. Je ne savais pas s’il y aurait un projet solo, si j’avais les épaules pour ça ni le courage de recommencer à zéro mais j’ai quand même eu envie que cette chanson existe. Quand elle est sortie, il y a eu tellement de retours que je me suis dit c’est peut-être un signe que je devais y aller en solo ou au moins tenter, pour un album. J’ai recontacté mon ancien label et c’était reparti !
Ce qui est frappant en écoutant ton album, Better place, et toutes tes chansons, c’est la sensation d’avancer vers la lumière, comme un chemin qui irait chercher les éclaircies, tu en penses quoi ?
Oui, c’est juste ! L’album s’appelle Better Place. Il y a l’idée d’aller chercher mieux, d’aller chercher plus haut, dans les moments où on est pas très bien. Mais je pensais vraiment écrire un album beaucoup plus joyeux au départ, parce que je croyais avoir fait le deuil du groupe. J’ai sorti un EP juste avant cet album-là, qui parlait du deuil et qui s’appelait La lune. Dans le tarot, la lune, c’est la carte du deuil, du chagrin. J’étais allée chercher très loin dans les choses tristes, donc je m’étais dit, allez, on sort de ça. Et finalement pas du tout. (Rires) Mais ça me touche beaucoup que tu aies vu le fait d’aller chercher la lumière parce que c’est ça, j’aborde des sujets qui sont assez difficiles finalement mais si on n’écoute pas les paroles, on a temporisé avec des sonorités lumineuses.
C’est important pour toi d’avoir cette dualité textes et musique dans l’album ?
C’est quelque chose que je ne contrôle pas et dont je me suis rendue compte à la fin de l’album. Par exemple, si tu prends la chanson « Back From Hell » qui parle des enfers que j’ai traversés : je pense qu’au niveau des paroles, c’est le truc le plus vrai, le plus aligné avec moi que j’ai écrit et c’est très déprimant. Mais si tu écoutes distraitement la chanson, on ne dirait pas, parce que je pense que j’écris sur des choses qui sont déjà digérées.
Justement dans « Back From Hell » tu dis « Now I’m free » et l’album enchaîne avec une des plus belles chansons d’amour contemporaines, « For Better and For Worse ». L’ enchaînement dans l’album est sublime, l’amour après s’être libérée des Enfers. C’était évident quand tu as construit la setlist ?
« For Better and for Worse » a été une des chansons les plus dures à placer dans l’album. Je l’ai placé là parce que c’est comme s’il n’y avait pas de place pour l’amour avant, puis d’un coup il y a cette libération qui laisse place à quelque chose de plus lumineux. L’album est séparé en deux avec « In Between » qui est au milieu comme pivot. Au début ce sont des choses difficiles, mais c’était marrant de trouver l’ordre d’une setlist de chansons après les avoir écrites séparément. C’est ça que j’ai préféré, les mettre vraiment devant moi et réfléchir au chemin que je voulais. La première chose qui m’a sauté aux yeux c’est que j’avais une chanson qui s’appelait « It’s Over » et une qui s’appelait « Goodbye », deux au revoir.
Je me suis demandé ce que racontait ces deux au revoir. Où est-ce que je les mets ? Est-ce que j’en mets un au début et un à la fin ? Dans quel ordre ? L’album commence par « It’s Over » et se termine par « Goodbye » car ce sont deux au revoir très différents. Le premier est plein de ressentiments, où je me dis « c’est très bien qu’on ne soit plus ensemble parce que moi ça va super bien maintenant » et le dernier est beaucoup plus reposé, beaucoup plus sain, beaucoup plus « Namasté ». (Rires).
Dès les premières notes de « It’s Over », on se fait attraper par l’histoire que tu racontes et cette logique d’enchainements des chansons. Finalement, est-ce que Better Place ne serait pas comme un petit film ?
Oui, on peut le dire et je te remercie pour ça. Le cinéma est très important pour moi et je pense que j’écris mes chansons comme je pourrais écrire des petits scénarios.
Comme des petites histoires qui en forment une seule ?
J’aime beaucoup les images. La personne qui m’a le plus bouleversé dans la musique je pense que c’est Leonard Cohen, quand il chante une chanson tu peux fermer les yeux et tu peux te faire le film directement. Je trouve que c’est très imagé. Ça m’a beaucoup influencé dans ma façon d’écrire.
Tu as des références cinématographiques qui t’aident à composer ?
J’aime les films plutôt contemplatifs comme A Ghost Story (de David Lowery, ndlr). Et j’adore les films de Michel Gondry. En fait, j’aime bien à la fois le contemplatif et les films faits avec deux bouts de ficelles. J’adorerai que Gondry me réalise un clip un jour. Il faudrait que je tente un coup de poker parce que je n’ai clairement pas les moyens.
Musicalement, il y a une atmosphère dans tes chansons qui nous situe quelque part entre les étoiles, les nuages, la terre, l’eau… Comme un entre-deux entre les différents éléments, comment tu travailles ça au niveau des mélodies ?
C’est un mystère, c’est vrai que je ne m’en rends pas compte, mais c’est quelque chose qui revient beaucoup. On me dit souvent qu’il y a une sensation de flottement et je pense que c’est parce que moi j’ai ce truc là depuis que je suis enfant. J’ai un trouble de l’attention et je décroche dans les conversations, ça m’arrive même sur scène parfois je suis en train de faire une chanson et je continue de chanter mais on voit que je ne suis plus là. Je pense que ça traduit un endroit où je pars parce que c’est toujours un endroit où je plane, il y a un truc de fuite.
D’ailleurs les rêves récurrents que je faisais quand j’étais enfant, c’était Peter Pan qui venait me chercher et qui m’emmenait au pays imaginaire donc c’était voler ! Peut-être que ça donne un début de réponse, je ne sais pas. Mais en tout cas, oui, je fais de la musique planante, c’est ce que j’aime. Et je suis très influencée aussi par la musique de cinéma. Les BO m’accompagnent depuis très longtemps mais ce n’est pas prémédité, c’est vraiment sorti comme ça.
Tu parles des rêves, penses-tu que quand on est artiste, on a forcément cet imaginaire très fort que l’on traduit dans son art ?
Moi, j’ai cette impression. Depuis que je me suis fait diagnostiquer du trouble de l’attention, je comprends mieux. Je pensais que tout le monde avait ça avant. Et ça a été un grand soulagement aussi de mettre un mot sur ça, sur ces petits décrochages, sur le fait que moi j’adore écrire. Par exemple je pense que peut-être si je n’avais pas eu un trouble de l’attention, j’aurais pu écrire des romans mais j’ai une concentration qui est beaucoup plus réduite donc j’aime ce format court de la chanson, j’aime les poèmes, j’aime les choses rapides où toute une pensée est concentrée en très peu de mots.
Tu écrivais de la poésie quand tu étais enfant ?
J’ai commencé à écrire des poèmes très jeune. J’ai toujours aimé jouer avec les mots, les mettre ensemble, les faire rimer, les dire à haute voix aussi. Ça a toujours été présent.
Et la musique est arrivée comment dans ta vie ?
J’ai commencé aussi à aimer la musique très jeune. Ça a toujours été très important. À l’adolescence ça m’a carrément sauvé la vie. Je pense que j’étais une ado très dépressive. Mais c’est marrant, je ne me suis jamais dit que c’était possible pour moi d’en faire. J’en rêvais secrètement mais jamais je me suis donnée les moyens. Je n’ai pas pris de cours de chant, ni cours de musique, c’est vraiment venu beaucoup plus tard, après le bac.
J’ai fait encore une giga dépression et j’ai rencontré un garçon qui voulait faire un groupe de musique, Florent, avec qui j’ai partagé la scène pendant dix ans. Il n’avait pas de texte et moi par contre j’en avais plein et donc par hasard, je me suis retrouvée à l’aider à écrire des textes et puis finalement je me suis retrouvée sur scène. Et puis lui, il m’a vraiment aidé à prendre confiance. Il m’a dit « Tu chantes bien, c’est super ». Donc voilà, on s’est mutuellement aidés à vivre ce rêve et on a eu une très belle vie de groupe.
Dans ton projet Poppy Fusée, tu as fait quelques titres en français au début. Finalement, tu chantes en anglais dans ton album. C’est marrant car ça va un peu à l’encontre d’une époque où beaucoup d’artistes émergents assument enfin de chanter en français depuis quelques années…
C’était dur. En fait, c’est un choix qui a été dur à faire. Avec mon groupe, Part-Time Friends, on a chanté en anglais toute notre carrière. Et quand le groupe s’est terminé, je n’arrivais plus du tout à écrire en anglais. Le français est venu comme un petit relais finalement. Mais si je les aime beaucoup mes chansons en français, elles ne me traversent pas. Quand je les chante sur scène, ça ne me fait pas grand-chose. À part peut-être « Paranormal », mais sinon, je les trouve juste mignonnes. Et même, je remarque que quand je les ai écrites c’est mon cerveau qui travaillait, c’était rigolo, c’était comme un petit puzzle…
Alors que mes chansons en anglais, je sens que ça vient d’ailleurs. J’ai les larmes aux yeux de le dire. Si j’avais pu faire le choix du français, je l’aurais fait mais je ne peux pas. J’écris les chansons et après je vais les jouer pendant un an et demi sur scène, il faut que ça me fasse quelque chose d’abord à moi. Et malheureusement, c’est comme ça, c’est l’anglais. Et ce n’est pas le choix de la facilité que j’ai fait parce que ça me ferme énormément de portes c’est très dur d’être français et de chanter en anglais.
Dans l’industrie tu veux dire ?
Ouais vraiment c’est difficile c’est beaucoup moins mis en avant. Il y a des festivals qui ne te programment pas, certaines salles non plus et puis c’est dur quand tu te confrontes au public dès que tu sors des villes et que tu vas jouer, tu sors de scène et les gens te demandent : « pourquoi tu ne chantes pas en français ? ».
Il y a quelques années c’était le contraire, peu d’artistes chantaient en français…
Mais c’est trop cool que le français revienne et surtout qu’il revienne aussi bien, de façon aussi classe. Franchement, Zaho de Sagazan, c’est waouh ! Je n’ai pas du tout de culture musicale française mais il y a quelques artistes là maintenant qui chantent en français qui me transpercent le cœur donc c’est trop bien que ça revienne.
Si tu as été influencée par des artistes anglophones qui t’ont touché c’est peut-être plus facile, non ?
Mes parents n’écoutaient pas du tout de chanson française. J’étais bercée par la génération MTV / MCM. J’ai grandi au début des années 2000 j’étais au collège donc quand je rentrais à la maison, je jetais mon sac, j’allumais MTV et jusqu’au dîner je regardais des clips. C’était des choses très anglo-saxonnes donc c’est vrai que dans mon imaginaire l’anglais est le langage de la musique.
L’univers du clip t’as donc influencé dans la création ?
Les clips c’est très important. Je me bats avec mon label. Les labels pensent de plus en plus que ça ne sert à rien les clips. Et j’aime mon label, on travaille ensemble depuis dix ans, c’est ma famille, on se gueule dessus, on se dispute, on s’adore mais je me bats parce que je comprends que mettre autant d’argent dans un truc qui va faire 10 000 vues, ça fait chier mais en fait c’est trop important parce qu’après quand tu passes dans un média, ils reprennent les images. Je me suis battue pour avoir des clips et pas juste des contenus de qualité TikTok. Je suis très contente parce que j’ai un très beau clip pour « Pesanteur », pour « Better Place », pour « It’s Over »…
La scène est un endroit où tu te sens bien aujourd’hui ?
La scène est un endroit où je me sens bien maintenant, toute seule. Mais ça a été un parcours du combattant. C’est grâce au Chantier des Francos, d’ailleurs, que je me sens aussi bien sur scène aujourd’hui. Mais quand je suis arrivée à ma session l’année dernière au Chantier des Franco, seule sur scène, je leur ai fait mon concert, et après je me suis assise pour le débrief et je me suis effondrée en larmes. Je leur ai dit que je n’aimais pas être sur scène, je n’aimais plus ça et je me sentais coupable d’être sur scène sans Florent avec qui j’ai fait de la musique pendant dix ans parce que moi je continue et que lui non.
Ça a été tout un travail de devenir une personne qui prend toute la place parce que pendant dix ans j’ai été une demi-personne sur scène. Mais je me suis vu il y a deux jours là sur la grande scène et j’ai adoré chaque seconde de ce moment. Je me suis dit : « wouah je suis là et je suis prête à être là et c’est trop bien ».
Ça devait être assez impressionnant…
Il n’y a pas beaucoup plus impressionnant dans la vie, je pense, que de jouer là. Mais vraiment, je me suis dit : « chapeau à mon tourneur, chapeau à toutes mes équipes parce que je suis là et je suis prête à être là ». Et donc maintenant, j’adore être sur scène !