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« L’odeur des pins » – Une affaire de famille

© Bianca Schaalburg / L'Agrume
© Bianca Schaalburg / L'Agrume

Menant un minutieux travail d’enquêtrice, Bianca Schaalburg retrace le passé de sa famille liée au nazisme. Sa première BD, L’Odeur des pins, traverse le XXème siècle et ses bouleversements.

L’année dernière était présenté à Cannes La Zone d’intérêt qui obtenait le Grand Prix. Le film de Jonathan Glazer tirait le portrait d’une petite famille allemande tout ce qu’il y avait de plus classique dans les années 40. Classique à quelques éléments près : le père était le commandant d’Auschwitz et la résidence familiale était accolée au camp de la mort. Mais la vie de famille suivait son cours obstinément banal à deux pas d’un génocide.

C’est cette même « banalité du Mal » mise en exergue par Hannah Arendt en 1963 qui est à l’œuvre dans L’Odeur des pins. Le grand-père de l’autrice a petit à petit gravit les échelons tout au long de la guerre, enrôlé dès 1926 dans le NSDAP, le parti national-socialiste des travailleur allemands (le parti nazi) . Un petit rouage terriblement banal dans une mécanique bien huilée. Avec sa bande dessinée, Bianca Schaalburg s’interroge : quelle a été exactement le rôle de son grand-père pendant la guerre ?

© Bianca Schaalburg / L’Agrume

La vie des siens

Au 5 Eisvogelweg à Berlin, se trouvait la maison familiale de Bianca Schaalburg. Une maison avec vue sur des pins dans laquelle elle se rendait avec plaisir lorsqu’elle était enfant. Avec l’adolescence viennent les questions : « c’était comment mamie de vivre en 1939 ? » Ce à quoi sa grand-mère répondait invariablement d’un énigmatique : « on ne savait rien ». C’est en exhumant des placards photos et documents de l’époque que le vernis du passé de ses grands-parents se craquelle. La famille innocente qui ne savait rien devient peu à peu une famille bel et bien impliquée dans la guerre.

La première chose que découvre l’autrice, c’est que le 5 Eisvogelweg familial a en fait été récupéré par sa famille après l’expulsion des trois ancien·nes habitant·es juifs et juives de la maison, Margarete Silbermann, Clara Hipp et Carl Loewensohn déporté·es en 1942. Commence alors pour Bianca Schaalburg un minutieux travail de mémoire. En parallèle du passé de ses grand-parents, elle tente d’en savoir plus sur celui de ces trois personnes.

© Bianca Schaalburg / L’Agrume

Malheureusement, entre les non-dits familiaux et les archives disparues, l’autrice fait face à un vide. Alors elle rend hommage par l’imagination, comblant un vide béant. Pour faire naviguer les lecteur·ices entre les différentes époques (le Berlin nazi, le Berlin coupé en deux etc), Bianca Schaalburg recourt a un jeu de couleur selon les époques. Orange en 1939, bleu en 1963, violet en 2004.

En 1986, Art Spiegelman interrogeait son père sur son passé de survivant des camps ce qui donnait le chef-d’œuvre Maus . En 2024, après un tout aussi long travail de visite d’archives et d’enquête, Bianca Schaalburg livre une bande-dessinée documentée sur le passé sa famille. Avec L’odeur des pins, c’est le passé de millions d’Allemands qui ont fait le choix de faire comme s’ils ne savaient rien qu’elle retrace.

L’odeur des pins, ma famille et ses secrets de Bianca Schaalburg, traduit de l’allemand par Elisabeth Willenz, éditions L’agrume, 208 p., 26€

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