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Biches 2024 – OJOS : « C’est important de garder son âme d’enfant »

OJOS
© Adrian Murgida

À l’occasion de l’édition 2024 du Biches festival, on a pu échanger avec le duo OJOS quelques heures avant qu’ils n’enflamment la scène, comme ils en ont l’habitude. Rencontre.

Dix ans que Hadrien et Élodie travaillent en osmose, de l’architecture à leur premier groupe Holy Two à la naissance d’OJOS pendant le confinement. Ça faisait quelques temps que l’on suivait ce dernier projet, que l’on avait aimé leur deux EPs, Volcans (2021) et Discipline (2023), où ils mixent parfaitement le français et l’espagnol, des textes graves voire tristes et de l’électronique qui invite à la danse. En novembre dernier, ils avaient fait de la Maroquinerie une immense fête nous laissant un souvenir impérissable. Alors, quelques heures à peine avant de les retrouver une nouvelle fois sur la scène, cette fois du Biches festival, on a discuté avec eux de l’indiscipline paradoxale de leur projet musical, d’aller en concert pour danser et conserver son âme d’enfant et d’acceptation de soi-même par la musique. Une rencontre qui nous a encore prouvé leur osmose parfaite !

Ça fait longtemps que vous faites de la musique ensemble, vous aviez un autre groupe avant, Holy Two… Comment le projet OJOS est né ?  

Élodie : Pendant le confinement. Comme tout était à l’arrêt on a commencé à écrire de nouvelles chansons. On a ressenti une forme de lassitude de l’ancien projet.

Où vous chantiez en anglais, c’est ça ? 

Élodie : Il y a eu deux morceaux en français qui, personnellement, m’ont fait réfléchir au fait d’écrire et chanter en français.

Hadrien : Ça a été un peu un déclic, je crois.

Élodie : Et pendant le confinement, on a commencé à écrire des morceaux qui ne ressemblaient plus tellement à ce qu’on faisait avant. 

Hadrien : En fait, on ne se sentait plus trop légitime. Je pense qu’on avait un peu fait le tour de la question et on avait envie de renouveau. C’était la meilleure décision à prendre pour pouvoir avancer. C’était un peu une prise de risque parce qu’on repartait de zéro mais, en même temps, c’était hyper excitant parce qu’on avait tout à refaire. Et puis, je pense qu’on avait grandi, et surtout, on n’avait plus envie de faire les mêmes erreurs. OJOS c’est comme une renaissance.

Élodie : Et c’est plus proche de ce qu’on était à ce moment là parce qu’Holy Two est un projet qu’on a créé quand on était très jeunes. J’avais dix-huit ans et Hadrien en avait vingt-et-un.

Hadrien : Le confinement nous a permis d’avoir du temps pour créer. On est parti avec Elodie et un autre pote à Marseille comme en résidence de création. Et ça nous a permis aussi de développer le projet avec des petits formats en faisant du teasing que l’on a appelé des capsulas.

Le projet est né de ces petits moments où vous n’aviez rien d’autre à faire que créer ? 

Hadrien : Oui. Et il y a aussi un truc qui était un peu dommage sur la fin de Holy Two. On s’était rendu compte qu’on ne travaillait plus vraiment ensemble. Là, on avait vraiment envie de commencer le projet en étant hyper connectés artistiquement. L’idée c’était surtout de pouvoir bosser vraiment ensemble.

Élodie : Et tout faire du début à la fin tout seul. Avant, on bossait avec notre batteur, notre ingé son… Là, on voulait vraiment avoir la main sur tout. 

Hadrien : Et l’entourage professionnel a changé. Pour nous, c’était le meilleur moment pour repartir de zéro. 

Vous avez chanté en anglais, en français et en espagnol… Qu’est ce que ça change pour vous au niveau de l’écriture et de la composition ? Comment vous abordez ces différentes langues ?

Élodie : L’ espagnol a toujours été un peu une volonté. Sur Holy Two on avait un titre en espagnol et on trouvait ça cool. Puis, une porte s’est un peu ouverte je pense avec l’arrivée de Rosalia.

Hadrien : Même musicalement ça a donné naissance à des trucs un peu différents. 

Élodie : Pour le français, je me suis vraiment découvert un vrai plaisir à écrire en français. Maintenant ce serait impossible de revenir à l’anglais.

Tu as l’impression de te livrer différemment avec le français ? 

Élodie : Je pense que ce qui me faisait peur au début c’était le côté intime de parler en français et de raconter la même chose que ce que je racontais en anglais mais, en ayant l’impression que les gens le comprennent. Et puis surtout c’est ma langue natale, donc évidemment je la parle mieux.

Hadrien : Aussi, je pense que tu as vraiment découvert cette passion d’écriture et ça c’était aussi un moyen de ne plus se cacher derrière les mots et derrière la langue.

Élodie :  Ça a amené aussi autre chose. La langue française est quand même une langue très difficile à faire sonner, je trouve. Et je comprends la facilité qu’il y a à écrire en anglais et pourquoi à l’époque on a écrit en anglais. Mais le français amène des contraintes et quand tu commences un projet, avoir des contraintes c’est très intéressant.

Hadrien :  Après en terme de composition et de production, comme on s’est retrouvé tous les deux, on a aussi essayé de s’améliorer.

Élodie : C’est vrai que la prod c’est un truc que l’on avait pas du tout avant. On s’est vraiment forcé à le faire.

Vous parlez de vous deux et du fait de travailler ensemble. C’est important d’être à deux pour créer ?

Élodie : En fait, on crée rarement à deux. En revanche, ce qui est important et là où moi je serais incapable de faire de la musique toute seule c’est le recul et le fait d’avoir un avis extérieur.

Hadrien : Dernièrement on a commencé à faire un peu de la prod pour d’autres artistes, séparément ou ensemble, et ça c’est nouveau aussi. Ça nous a permis de développer un autre aspect de la créativité et de nous donner plus confiance. Là, on est en train de préparer l’album et on l’a produit, écrit et composé à deux. C’était vraiment important.

Élodie : Mais c’est vrai qu’on se rend compte aussi grâce à cet exercice de faire de prod pour d’autres gens que l’on se connait par coeur musicalement.

Hadrien : C’est vrai que ça fait dix ans qu’on bosse ensemble parce qu’à la base on était en école d’architecture et déjà là on travaillait ensemble sur des projets. Et même si on bosse pour d’autres, personnellement je n’ai pas d’autres projets comme OJOS où on peut travailler tous les aspects. C’est une chance.

Vous avez nommé votre dernier EP, Discipline, c’est assez marrant car il se dégage plutôt quelque chose de sauvage et colérique dans votre musique…

Élodie : Complètement ! Et justement c’est ça qui nous faisait rire. Il y a un petit smiley à la fin de Discipline qui sourit un peu méchamment. C’était le décalage entre la discipline qu’on impose aux gens – une thématique qui revient dans les textes – et le fait qu’on ne s’en impose pas du tout à nous-même. 

Hadrien : Ça nous faisait rire de donner un titre d’EP contraire alors qu’il parle du fait d’être indiscipliné ou en tout cas d’essayer de ne pas forcément correspondre à un schéma de pensée défini et puis d’être plutôt libre. On essaie d’être un maximum libre dans nos choix. C’était un petit clin d’oeil.

Et surtout vous voir sur scène c’est assister à de l’indiscipline ! 

Hadrien : C’est cool que tu le ressentes comme ça. Le live nous a permis de beaucoup développer le projet. Les premiers partenaires qu’on a pu avoir pour le live c’est Wart. C’était une stratégie comme une autre, ça nous a ouvert des portes et selon nous c’est quand même important de pouvoir avoir une vraie proposition live.

Élodie : Puis l’idée était aussi d’avoir une proposition vraiment différente en live même dans l’attitude. Même si finalement on fait de la musique un peu électronique avec beaucoup de bandes. Donc, les morceaux sont assez proches de ce qu’ils sont sur l’EP mais le fait d’avoir une attitude différente en live ça permet d’amener le concert vers autre chose. C’est important de voir un concert sans avoir l’impression d’écouter l’album.

Hadrien : Le live nous a permis sur l’album de pouvoir retravailler les morceaux. Ce soir on va jouer un titre pour la deuxième fois et peut-être que ça va nous donner des idées.

Élodie :  Mais c’est vrai que pour l’EP on avait beaucoup travaillé comme ça. Il y a des morceaux qu’on jouait depuis vraiment longtemps et qui ont pas mal bougé ou se sont ajustés avec les concerts. 

C’est un endroit où vous vous sentez bien la scène ? 

Élodie : C’est ce que j’aime le plus au monde personnellement. 

Hadrien : Je veux dire entre le studio et la scène il n’y a même pas à choisir. Enfin on est beaucoup plus à l’aise sur scène.

Élodie :  L’un comme l’autre sont très plaisants mais, sur scène, j’ai l’impression d’être une autre personne et j’adore ça. C’est euphorisant.

Hadrien : Carrément ! Et puis, même si on n’a pas encore fait de grandes tournées, on n’a jamais vraiment fait de pause de concerts pendant plusieurs mois. On a toujours essayé de continuer à tourner alors qu’on sait que c’est compliqué pour beaucoup d’artistes à notre stade de développement de pouvoir tourner autant. C’est un long chemin mais en tout cas cest sûr qu’on se sent carrément vivants sur scène.

Dans « Moindre paradis », Élodie tu chantes : « J’fais semblant de parler des autres pour parler de moi ». Pourtant dans l’EP, on a le sentiment que tu parles autant des autres que de toi, non ? 

Élodie : Oui c’est drôle parce que finalement Discipline c’est ça aussi la discipline que j’impose aux autres et la discipline que je m’impose.

Hadrien : Mais c’est vrai que tu peux utiliser aussi d’autres sujets sur la vie et la position des gens pour pouvoir parler de toi et inversement.

Élodie : De toute façon on sait que faire de la musique c’est un des métiers les plus mégalos du monde. Je ne parle que de choses qui me sont arrivées donc ça parle pas de moi mais ça parle quand même de moi même s’il y a aussi des morceaux qui parlent plus directement de moi. Mais c’est une phrase que je trouvais marrante.

Est-ce que c’est essayer de rechercher l’universalité dans ce qui t’arrive pour que ça parle aux autres aussi ?

Élodie : Alors c’est ça aussi mais dans le cas très précis de cette chanson c’était plus ce truc de quand tu es un peu triste et que tu poses des questions aux gens pour qu’on te pose des questions en retour, comme une recherche d’attention.

Hadrien : C’est hyper touchant quand on reçoit des messages de gens qui nous disent qu’ils se retrouvent là-dedans et de voir que ça peut avoir un impact aussi chez les autres et qu’il y a d’autres personnes dans la même situation. C’est hyper gratifiant.

Il y a un autre paradoxe. Vos textes sont assez durs finalement et il y a cette très belle phrase comme un aveu à la fin du même morceau « Moindre paradis » : «  Je chiale dès que j’écris  »  alors qu’en live tout parait très joyeux comme si une opposition se créait entre les textes et la musique puis la scène… 

Élodie : L’idée du live c’était quand même d’amener un truc un peu festif à ces morceaux qui sont quand même globalement assez tristes et c’était un des enjeux du live justement. « La mort et ses amis » qui est je pense le morceau le plus triste de l’EP on l’a amené vers un truc plus électronique. Le but c’est de faire danser les gens. Moi c’est pour ça que je vais voir des concerts, c’est pour danser. J’adore la musique calme mais j’adore l’écouter chez moi. En concert, j’ai besoin qu’on bouscule.

Hadrien : C’est vrai qu’on aime cet espèce de paradoxe qu’il peut y avoir entre la proposition musicale et la profondeur du texte. C’est un mélange d’émotions. Après il y a plein d’exemples de morceaux qui peuvent traiter de sujets graves ou tristes mais sont mis en lumière avec des musiques peut-être plus joyeuses. 

Élodie : Ce n’est pas parce qu’on a été triste à l’instant T où on l’a écrit qu’il faut absolument que tout le monde soit triste au moment où il l’écoute.

Hadrien : C’est peut-être aussi une sorte d’exutoire pour pouvoir passer à autre chose, utiliser la musique pour se faire notre propre thérapie, essayer de danser plutôt que de se morfondre.

Vous évoquez d’ailleurs beaucoup l’acceptation de soi. Est-ce que le fait d’avoir sorti ces morceaux, de les offrir aux autres, ça aide à s’accepter ? 

Élodie : Ça aide à améliorer l’image que tu rends et ça aide à s’accepter dans le sens où l’acceptation des autres c’est une forme d’acceptation de soi. À chaque fois c’est toujours stressant de sortir un EP parce qu’il y a toujours l’idée de se demander : est-ce que ça va plaire ? Personnellement, je suis hyper dépendante de l’avis des gens. La musique m’a fait un bien fou parce que j’étais tellement timide avant et je n’avais pas confiance en moi. Faire de la musique ça m’a énormément ouvert mais effectivement il y a quand même cette idée de développement personnel.

Hadrien : Voir que ça peut aider les autres ça aide encore plus à pouvoir s’accepter soi je pense. C’est aussi tout ce travail de communion puis d’échange avec les autres qui permet de pouvoir plus se comprendre soi.

Élodie : Et c’est en ça aussi que le live a un intérêt fou car tu as un retour direct avec les gens. Je peux me permettre d’être débile sur scène car je suis portée par le regard des gens et si je pense qu’il y a un impact sur ce que ressentent les gens à ce moment-là, ça me permet d’aller encore plus loin.

Hadrien : D’ailleurs ça me rappelle un truc. L’été dernier, on est parti jouer au Canada dans un festival complètement perdu où c’était la fête, un peu comme le Biches. À la fin du concert, il y a un cuistot qui faisait de la poutine et des frites pour le festival, un grand gaillard aux allures de vrai dur. Il s’avance vers nous avec les larmes aux yeux de fou et il nous dit qu’il a pleuré pendant tout le concert. Ça a révélé des choses chez lui, c’est le plus beau des compliments. 

Élodie : Au Canada aussi, ils ont une expression qu’ils nous ont sorti justement après ce concert et qui m’avait fait rire. Au lieu de dire « c’est trop bien », ils disent « c’est débile ». Je trouve ça vraiment parlant et ça représente ce qu’on fait. J’ai envie que ce soit débile.

Hadrien : C’est un peu une espèce de folie d’enfant que l’on n’a pas trop envie de perdre. Parfois ne serait-ce que faire des choix dans les compos qui peuvent être un peu débiles, enfin on aime bien jouer avec certains outils, et je pense que c’est important de ne pas trop se prendre au sérieux. 

Élodie : C’est un truc que l’on essaie de garder depuis le début, la dimension second degré dans la musique.

Créer de toute manière, c’est garder une part d’enfance, non ? 

Élodie :  Et c’est aussi arrêter de réfléchir, pour moi.

Hadrien :  Puis, c’est important de garder son âme d’enfant, c’est une qualité. Et même en concert. On adore aller voir des concerts et puis complètement oublier, le temps d’un instant, que l’on est des adultes

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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