CINÉMA

FESTIVAL D’ANNECY 2024 – « Reise der Schatten » : Être néant

Reise der Schatten © FREIHÄNDLER FILMPRODUKTION GMBH

COMPÉTITION – LONGS MÉTRAGE – CONTRECHAMP – La sélection Contrechamps du Festival d’Annecy abrite en son sein de déroutants objets. Reise der Schatten, du Suisse Yves Netzhammer, est l’un de ceux-ci. Embarquez pour une odyssée surréaliste aux portes du néant.

Reise der Schatten (traduisez, Le Voyage des ombres), est le premier long métrage de l’artiste suisse Yves Netzhammer. Connu pour ses dessins numériques et ses lignes abstraites, le néo réalisateur déploie ici un univers visuel dont il est bien difficile de faire la synthèse. 

Deux silhouettes mouvantes, modelées à l’image des pantins articulés en bois, semblent vivre une vie de couple banale. Une très belle séquence, au début du film, voit ces deux pantins exécuter ce qui s’appare à un ballet de natation (dé)synchronisée, avant de s’étreindre – comme deux pantins lisses peuvent le faire. 

Et puis, l’un des deux meurt. Tout ne disparait pas alors, au contraire. De la mort de l’un s’engendre le chaos de l’autre. Car le voici embarqué dans une aventure faite de sang, de collier de larmes et de singe articulé. Voilà qui est posé. Impossible donc de faire la synthèse de l’odyssée surréaliste dans laquelle celui – ou celle – qui reste se trouve embarqué·e. De la défaite d’une forme – le pantin mort – en surgit tout un tas d’autres, révélées par l’animation 3D colorée d’Yves Netzhammer. 

Parfois difficile à suivre, Reise der Schatten touche pourtant le spectateur qui s’accroche. D’abord en raison de sa très belle partition musicale, et de l’architecture sonore globale du film. Le monde halluciné du réalisateur possède une profondeur sonore franchement plaisante. 

D’ailleurs, cette importance donnée à la musique et au son, confère à Reise der Schatten une dimension expressive qui se pose en contrepoint des lignes qui ne connaissent brisée du monde d’Yves Netzhammer.

Et, alors que le parti pris esthétique de Reise der Schatten, résolument anti-naturaliste, produit une mise à distance des sentiments du pantin qui reste, l’émotion parvient tout de même à poindre ici et là. Le pantin, esseulé après la mort de son comparse, souffre. Mais il ne l’exprime pas. C’est plutôt le film, par la répétition de gestes, la mise en relation de signes, ainsi que par son architecture sonore, qui vient esquisser les contours de la douleur de la perte. 

Le film d’Yves Netzhammer possède donc une puissance évocatrice rare. Et si Reise der Schatten n’a pas de distributeur – et a peu de chances d’en trouver en raison de sa complexité – il a pourtant toute sa place au cinéma. Le comité de programmation d’Annecy l’a bien compris. 

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