On se souvient de Morgane Imbeaud, de son timbre clair et réconfortant comme l’était l’âme vocale du groupe Cocoon. Depuis, l’autrice-compositrice et chanteuse poursuit sa route sur un chemin singulier et sensible. Le 10 mai dernier marquait la sortie de son deuxième album solo, The Lake.
Dans ce disque-miroir, composé à quatre mains avec Robin Foster, Morgane Imbeaud a quitté le cocon folk pour sortir de sa zone de confort et composer une fresque intime dans laquelle elle se confie sans filtre. Il y a là des déchirures de guitares électriques, saignées de réverbe, des beats en écho, une voix au premier plan, plein fer, tout en velours. Phobique de l’eau, c’est pourtant sur les berges du lac de Servières, au cœur du Massif central, que Morgane Imbeaud a cherché l’inspiration… et à éteindre quelques incendies. Rencontre.
The Lake s’ouvre sur « Nothing’s real », une chanson enregistrée avec Chris Garneau. C’est plutôt rare d’ouvrir un album avec un duo. Comment as-tu pris cette décision ?
Oui, c’est vrai que cela peut sembler inhabituel d’ouvrir un album avec un duo. On m’avait même déconseillé de le faire. Autour de moi, les avis étaient mitigés mais j’ai pris le temps de réfléchir et, finalement, j’ai décidé que cette chanson serait l’ouverture de The Lake. Pour moi, elle exprime vraiment mes émotions et prépare le terrain pour le reste de l’album, comme une grand porte. Je me suis dit que je m’en fichais des conseils conventionnels, c’est mon album, c’est mon œuvre artistique. C’est une décision qui me plaisait énormément.
Cet album explore des thèmes tels que l’amour, l’évasion, et l’acceptation de soi. Comment ces thèmes se manifestent-ils dans ta musique ?
Pour chaque chanson, j’ai vraiment cherché à exprimer une émotion particulière que j’ai moi-même du mal à nommer. AvantThe Lake, les mots m’ont longtemps manqués pour décrire ce que je ressentais vraiment. Je crois qu’il y a un côté inconscient qui m’empêche de le faire, donc je reste dans cette sphère un peu mystérieuse. Pour ce qui est de l’amour, c’est quelque chose que je n’ai jamais osé aborder dans mes chansons, car je trouvais souvent les expressions de l’amour dans la musique un peu artificielles. Pour moi, l’amour ne se limite pas seulement à une relation amoureuse avec un partenaire, mais plutôt à tout ce qui m’entoure et que je trouve beau.
Cela va de pair avec la confiance en soi. SurThe Lake, j’ai travaillé avec des amis proches, ce qui a créé une atmosphère de confiance, et m’a permis de me dépasser. C’est un peu comme une deuxième famille, dans laquelle on se lance des défis pour progresser ensemble. Et l’acceptation de soi est essentielle, car je crois qu’on est mieux capable d’aimer les autres quand on s’aime soi-même. C’est un défi, mais c’est aussi trouver un équilibre.
Les berges du lac de Servières semblent avoir joué un rôle important dans la création de ton nouvel album, The Lake. Peux-tu m’en dire un peu plus à ce sujet ?
Ce lac est mon préféré dans la région, en Auvergne. Il a toujours eu quelque chose de mystérieux. C’est un endroit sauvage, je sais que c’est un cliché, mais c’est vrai. Même s’il n’est pas énorme, à chaque visite, il offre un petit tableau différent, une histoire unique. Pour moi, c’est vraiment mon lac refuge, celui où je me sens bien.
Tu as composé l’ensemble de l’album là-bas ?
En fait, ça s’est passé entre Clermont et Camaray. Robin, qui est anglais, habite à Camaray-sur-Marais. Au départ, je ne savais pas que j’allais appeler l’album The Lake, mais au fur et à mesure de l’avancée dans la création des chansons, je pensais souvent au lac Servières. Plus tard, on a élargi notre horizon avec Camaray-sur-Mer, notamment pour évoquer la Bretagne et d’autres lieux. Mais finalement, l’idée du lac initial est restée présente, car je parle d’eau à plusieurs reprises dans les chansons sans vraiment y prêter attention. C’est seulement à la fin que je me suis rendu compte que l’eau était omniprésente. Alors que je suis une grande phobique de l’eau ! C’est vraiment étrange.
Est-ce que The Lake marque un retour vers toi-même, un retour vers tes émotions ?
Complètement, oui, c’est exactement ça. Je pensais l’avoir déja fait dans ma musique précédente, mais pour celui-ci, c’était vraiment différent. En fait, c’est la toute première fois que je fais exactement ce que je veux. C’est peut-être triste de dire ça, et c’est dommage que cela arrive tardivement, mais c’est vrai que je n’ai fait aucun compromis cette fois-ci. Avant, j’avais toujours un petit pas en arrière, j’écoutais beaucoup les autres, car j’adore l’échange et je ne me concentrais pas trop sur l’aspect financier. Pour moi, ce qui compte, c’est le partage. Mais cette fois, j’ai réussi à dire ce que je voulais sur tout, et travailler avec Robin a été parfait. C’est comme une nouvelle page qui se tourne, une véritable renaissance, si je puis dire. Donc, oui, c’est vraiment génial, je suis très contente.
Parlons un peu de ta collaboration avec Robin Foster.
Robin et moi, nous nous sommes rencontrés grâce à notre ancien tourneur, qui a eu ce bon pressentiment en nous disant que ça pourrait bien coller entre nous. Nous avons donc commencé à travailler à distance, car il vit assez loin. Et dès le début, ça a bien fonctionné. Je ne savais pas trop où cela nous mènerait, mais c’était une étape importante. Nous avons surtout beaucoup travaillé lorsque j’étais en clinique pour mon burn-out en 2021. Cela a été un moment difficile, mais aussi le début d’un vrai travail sur moi-même. Avec Robin, nous échangions chaque jour, et j’ai appris énormément de choses. J’avais même installé mon petit studio dans ma chambre à l’hôpital !
Nous nous sommes rencontrés pour la première fois en septembre 2022, et c’était presque étrange de se voir en personne. Nous nous connaissions déjà très bien sans nous être rencontrés physiquement. C’est la première fois que je rencontre quelqu’un avec qui ça matche aussi bien musicalement. C’est génial. On se dit souvent que nous avons co-composé The Lake, car il a apporté énormément à toutes les chansons. Les arrangements qu’il a faits sur mes lignes de basse, par exemple, ont complètement transformé la musique. Il est arrivé avec des instrus sur lesquelles j’ai écrit les paroles et les mélodies, et tout s’est déroulé de manière fluide, sans friction ni ego. C’était vraiment une collaboration exceptionnelle. Je souhaite à tout le monde de trouver quelqu’un avec qui chacun puisse être aligné, apaisé, sans ressentir la crainte du jugement.
Tu as évoqué ton burn-out. Est-ce difficile pour toi d’en parler ?
Non, cela ne me dérange pas du tout d’en parler. Je pense que beaucoup de gens ne comprennent pas vraiment, surtout les plus jeunes. J’ai eu de nombreux problèmes anxieux depuis mon plus jeune âge. J’ai été hospitalisée deux fois en psychiatrie, dont une expérience vraiment terrible. Je pense qu’il est important de dénoncer ces méthodes, car elles sont parfois proches de la maltraitance. Cela m’a fait grandir très vite. Après ces expériences, je pensais être une guerrière, mais finalement, j’ai complètement craqué. C’était quelque chose que je n’attendais pas.
À l’époque, parler de ces sujets était tabou, mais je vois une évolution positive aujourd’hui, avec de plus en plus d’artistes qui abordent la santé mentale. C’est important que cette parole se libère, qu’on puisse dire que cela peut-être de passage. Mon hospitalisation a duré trois mois, et ensuite, j’ai pu aller mieux. Je préfère encourager les gens à se faire aider plutôt que de rester dans la souffrance pendant des années. C’est une maladie, mais cela ne nous tuera pas. J’estime avoir de la chance, malgré tout. Beaucoup de gens sont dans la même situation aujourd’hui, et je pense que c’est quelque chose pour lequel il faut militer.
Tu as un projet en dehors de la musique lié à la santé, n’est-ce pas ?
Oui, tout à fait ! En fait, avec tout mon parcours, j’ai beaucoup appris sur moi-même et sur la santé mentale. J’ai vu de nombreux psys, expérimenté différentes méthodes… J’ai développé un atelier pour de jeunes volontaires en service civique, axé sur la tolérance et l’empathie. C’est assez difficile à définir, mais l’objectif est de les aider à mieux s’écouter mutuellement, à nommer leurs émotions et à explorer le pourquoi du comment. Je suis également en formation en PNL (Programmation Neuro-Linguistique), ce qui est passionnant et nourrissant à bien des égards, notamment dans ma façon de composer et dans mes interactions avec les autres. Je pense que si l’on nous enseignait ces bases dès l’école, le monde serait très différent.
Comment as-tu travaillé pour créer cette atmosphère de clair-obscur, qui semble être très présente dans ton travail ?
Eh bien, c’est vrai que j’ai un côté un peu… comment dire… paradoxal. Parfois on me dit que je suis très positive, que j’apporte de la lumière dans ce que je fais, et c’est vrai, je suis dans une phase où ça va encore mieux de ce côté-là. Mais en même temps, j’ai toujours été attirée par ce qui est un peu plus sombre, un peu plus complexe. Pour moi, il n’y a rien de plus beau que de voir quelqu’un se battre, lutter contre les difficultés de la vie. Je trouve ça inspirant de voir quelqu’un s’élever au-dessus de ses propres défis, comme s’il se mettait à pousser de petites ailes. C’est ce que j’adore explorer, et dans ma musique, c’est là que je voulais le montrer.
Avec Robin, par exemple, je trouve que c’est très bien représenté dans les montées en puissance de certaines chansons, comme « Seven Lives », « The Lake » ou « Nothing’s Real », où l’on ressent cette libération, cette ouverture. Au début, j’avais ce côté un peu timide, un peu renfermé sur moi-même. On me donnait souvent l’image d’une enfant sage, mais je réalisais que vouloir être parfait, ça n’a pas de sens. En musique, je pense qu’on peut exprimer cette dualité, cette tension entre la lumière et l’ombre, sans pour autant écraser les autres. C’est une manière de s’ouvrir, d’être en accord avec nos propres désirs, avec le monde qui nous entoure. Et même dans mes clips, c’est ce que j’essaie de transmettre : cette idée que la lumière est toujours là, même dans les moments les plus sombres.
J’ai lu que tu as aussi beaucoup été inspirée par le livre Devotion de Patti Smith.
Absolument ! Ce livre m’a vraiment marquée. C’est marrant, je connaissais bien sûr Patti Smith, mais pendant le confinement, je me suis dit qu’il était temps de combler mes lacunes sur sa vie et son œuvre. J’ai regardé plein de documentaires sur elle, et j’ai commencé à lire ses livres, dont Devotion. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai eu un coup de cœur pour celui-là. Il m’a inspiré pour la chanson « Patineuse », en fait. Il y a un petit conte dedans, avec un côté très libre, un peu sombre aussi. C’est l’histoire d’une jeune fille qui va sur un lac pour danser, s’imaginer des choses… J’avais cette scène en tête en permanence, et je me suis dit que c’était tellement beau. Elle n’a pas de musique, elle chante pour elle-même en patinant, et ça m’a vraiment touchée.
Ça m’a rappelé le bonheur incroyable d’être seule, de faire ce que l’on veut, tout en sachant qu’il y a quelqu’un pas loin, avec qui on espère passer la soirée. Je voulais absolument écrire là-dessus, et cette idée me trottait dans la tête depuis un moment. En fait, nous avons tourné le clip de « Patineuse » lundi dernier, et j’ai vraiment hâte de le voir ! Nous l’avons tourné en Auvergne, avec un circassien que j’ai rencontré à Paris. Il y a quelques temps, je suis allée voir un spectacle, Le Cabaret des Cadrons, au Cirque Électrique. J’ai vu ce gars sur des patins à roulettes, et j’ai tout de suite su que c’était lui. Il était magnifique. Je suis allée le voir, au culot, je lui ai dit bonjour, et il a accepté de faire le clip.
Tu sembles avoir une approche très spontanée dans tes collaborations, comme celle avec ce circassien. Est-ce quelque chose que tu fais souvent, travailler avec des gens rencontrés au hasard ?
Au final, oui, en fait. Au début, je ne pensais pas être comme ça, mais j’avoue que pour une timide, les réseaux sociaux étaient pratiques. J’ai pris un peu d’audace avec le temps. Ça avait marché pour un projet que j’avais réalisé à l’époque, Les Songes de Léo, un spectacle où j’avais écrit toute une histoire. Je rêvais d’avoir Christophe Chabouté, un auteur de BD que j’admirais. Je lui avais écrit sur Facebook, et il m’avait répondu. C’était vraiment génial. Pour The Lake, j’ai eu la chance de collaborer avec Fabcaro pour la pochette, c’est lui qui l’a réalisée. Il a aussi fait celle de Chilly Gonzales d’ailleurs !
Parlons de tes deux featurings sur l’album, ceux avec Chris Garneau et Lonny.
Chris Garneau est vraiment une figure spéciale pour moi. À l’époque de notre premier album avec Cocoon en 2007, Crush, il venait de sortir un album avec une pochette représentant un avion qui s’écrase. Ça a été le coup de foudre musical. Sa chanson « Relief », c’était comme une pluie battante préférée. On est restés en contact depuis, et à chaque nouvel album, je veux qu’il soit là. Je lui ai envoyé ma chanson en lui demandant laquelle il préférait, et ça a été ma petite favorite. Collaborer avec lui, c’est un rêve qui se réalise, car non seulement j’admire son talent, mais aussi l’humain derrière.
Pour Lonny, c’est une rencontre qui date d’il y a environ trois ou quatre ans, via des amis communs. Sa voix, c’est comme un murmure doux et unique, rien à voir avec la mienne. C’était important pour moi d’avoir cette touche féminine sur cette chanson.
Comment décrirais-tu l’évolution de ton identité artistique depuis tes débuts jusqu’à The Lake ?
C’est une excellente question. En fait, je crois que plus les années passent, plus je me libère. Ça a été dur de me réinventer. Après Cocoon, les gens me disaient « tu es encore là, tu devrais lâcher », je me disais « mais non, j’ai envie d’avancer encore ». Même dans la presse, c’est déjà arrivé qu’on me reproche de faire trop de choses. Alors selon les projets, je changeais de nom exprès. Je me disais que si je gardais le même nom, rien n’irait ensemble. Sinon il fallait que je reste dans un seul style, c’était un peu pénible. Au début, j’étais complètement une enfant, je ne savais pas où j’allais, je me laissais complètement porter. Aujourd’hui, je pense que c’est grâce à la clinique aussi, j’ai osé dire non. Pour The Lake, j’ai osé dire non à certaines directions artistiques, à un certain entourage que j’avais, à certains codes.
Avec des amis de Clermont, on a créé un collectif d’artistes qui s’appelle Bleu Nuit. Le but, c’est d’être de plus en plus indépendant avec nos projets, on peut faire la musique qu’on veut, on devient un peu tourneur, on essaie de se gérer au mieux. C’est une démarche que je trouve de plus en plus commune chez les artistes, cette volonté de s’affranchir des contraintes imposées par l’industrie musicale. Et ça, ça me plaît énormément. J’en ai eu un peu marre qu’on me dise tout le temps quoi faire, et je me suis dit « on a qu’une vie, je vais faire l’album avec Robin, je sais pas du tout où on va », on m’a dit « tu vas droit dans le mur », mais c’est pas grave, ce sera mon mur.