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Rencontre avec Johnny Jane : « C’est beau de cacher la tristesse dans une énergie à l’inverse très lumineuse »

Johnny Jane
Crédit :Manuel Harrau

Sorti mi-avril, le premier album de Johnny Jane, Attitude(s) se révèle un opus musicalement riche et rock. Le chanteur y assume ses références anglo-saxonnes et la liberté de ses textes. Rencontre avec un artiste inspiré et inspirant.

Celui qui doit son nom d’artiste à une chanson de Gainsbourg, elle-même issue d’un film réalisé par le chanteur, Johnny Jane a d’autres choses en commun avec cette figure tutélaire : le goût de la phonétique et des mots ou encore les références musicales multiples. Johnny Jane ose beaucoup. Il promène son spleen mélancolique dans les émotions post-ruptures amoureuses et les fêtes alcoolisées. Sa tristesse, il la chante avec le sourire dans des mélodies et rythmiques entraînantes. Quand les premières notes d’orgue des « Lois de l’univers » – morceau inaugural de ce premier album – commence, c’est tout un univers qui se déploie jusqu’à la dernière chanson. Nous avons rencontré le chanteur pour discuter de ce premier album, de ses différentes facettes, de la scène et surtout de sa liberté grandissante.

L’intro de ce premier album, Attitude(s) est assez étonnante. C’est important de parvenir à faire rentrer directement dans un album. Cette introduction musicale de quelques secondes d’orgue avant que la voix arrive et ce premier morceau en lui-même « Les Lois de l’univers » apparaissent comme une vraie présentation de ton univers. Comment as-tu pensé cette entrée en matière ? 

Elle n’a pas été pensée comme une intro mais ça faisait quelques temps que j’avais envie d’utiliser de l’orgue d’église. Il y a un ou deux ans en allant par hasard avec des potes revoir la cathédrale d’Orléans, j’ai entendu un organiste jouer. C’était assez dingue et je l’ai enregistré dans mon téléphone car je trouvais ça magnifique. Parfois, je fouille dans mes vocaux pour avoir des idées et je suis retombé dessus. Après j’ai fait des recherches sur les plateformes et je me suis intéressé à des morceaux d’orgue. Je suis tombé du morceau avec de l’orgue « Le Bal des Laze » de Michel Polnareff, et je me suis rendu compte que ça pouvait marcher de mettre de l’orgue d’église dans la pop alors que je ne connaissais que le thème de la «  Ballade de Johnny Jane  ». 

Et pour ce morceau, j’étais au piano et je composais en m’inspirant des fugues de Bach notamment la 543 que je jouais beaucoup quand j’étais jeune. Puis, je suis allé en studio avec un mec qui s’appelle Baptiste Leroy qui bossait sur l’album et c’est né comme un morceau en deux temps sans refrain, très intense avec beaucoup de traitement de voix et deux voix qui s’opposent une grave et une aiguë. On a saturé tous les instruments sauf l’orgue qui reste assez pur. Donc voilà, une intro avec la voix qui rentre, orgue-basse et après une deuxième partie où la voix est beaucoup plus criée, des guitares en plus et la batterie ensuite qui est un mélange d’ailleurs entre une boite à rythme et et une vraie drum jouée pour avoir une ambiance  des différents univers qu’on voulait développer. 

C’était il y a huit mois et ça faisait quelques temps que je n’avais pas fait de morceaux comme ça sans refrain. C’est devenu évident tout de suite que ce serait une intro d’album en l’écoutant. On rentre dedans et on comprend le ton et le thème de l’album. Je trouve que c’est un des meilleurs textes. C’est une période où j’avais déjà construit tout ce qui était pop dans l’album. Je fonctionne comme ça, d’abord avoir les titres plus sécurisés où on sait, avant de les faire, qu’il faut faire des couplets/refrain, qu’il faut chercher le refrain un peu catchy… Comme «  Bbye  », ce n’est pas du tout la même façon de travailler.

Quand on les a, on peut se libérer un peu avec des sons comme «  Les Lois de l’univers  ». Quelques mois après, j’ai fait «  another love story  », en anglais, sans refrain pareil puis «  1998  » aussi récemment. Ce sont des morceaux qui font intro et outro, et je pense que c’est la force de l’album, c’est d’avoir aussi une intro, une belle interlude, qui amène un morceau fort et une outro. Le but était de me dire si je fais un album, c’est un album avec un début, un milieu et une fin. 

Justement beaucoup de chansons de cet album tournent autour de la thématique de l’après relation amoureuse, la période post-rupture. Et il y a ces cinq morceaux, donc avec cette intro, «  another love story  », le morceau instrumental aussi «  <3  », «  Une Fleur  » et «  1998  » qui créent la structure, et qui sont complètement différents de tous les morceaux qui font ton identité depuis tes EPs… Comment ont-ils été pensé pour la trame de l’album ? 

Il y a une part de hasard, c’est plutôt spontané et pas totalement réfléchi. Je suis assez productif, donc j’ai beaucoup produit, et il y a aussi beaucoup de morceaux qui ne sont pas dans l’album. J’ai fait des choix, en me disant que pour que l’album soit complet et qu’il soit une unité et corresponde à toutes les facettes que j’ai envie d’aborder, à toutes les différentes influences, j’ai choisi les meilleurs dans chaque domaine.

Pour les thèmes, j’ai fait exprès de ne pas avoir les mêmes thèmes. Je savais que je voulais avoir un morceau solaire,, comme «  Bbye  », où ça ne parle pas de ça, car ça me manquait en concert. Je voulais un morceau qui parle de mon enfance, enfin de ma jeunesse comme «  1998  », un morceau en anglais que j’ai donc appelé « another love story  », mais il ne parle pas de ça, c’est un peu un jeu.

Et tout en gardant des morceaux, comme «  Justine  » ou «  Les Lois de l’univers  » où le thème reste quand même central sur mes doutes et mes relations. Mais c’est venu spontanément, en essayant de construire, on prend les meilleurs morceaux et on voit comment ne pas faire de doublons, parce qu’il y a des morceaux où parfois les accords peuvent se ressembler. Après, c’est sur une période assez courte, donc les influences ne bougent pas trop, c’est plutôt figé et c’est ce qui rend l’unité avec le fait de bosser avec les mêmes personnes qui aide.

J’ai fait exprès dans l’album d’enchaîner d’une façon assez discrète, les différents producteurs dans la même case, par exemple, celui qui a fait «  Plus rien à perdre  » c’est celui qui a fait aussi «  another love story  », c’est le côté beaucoup plus électronique des productions, c’est Balthazar. Baptiste et Saint Dx, c’est beaucoup plus rock : «  Les lois de l’univers  » et «  Attitude  », Renaud et Carl de Jersey ont un truc plus weird, électronique, mais encore un peu UK : «   Une Fleur  » et «  Kleenex  ». J’ai enchaîné tous ces morceaux-là pour avoir une sorte d’évolution cohérente de la musicalité pour créer un truc qui coulisse et peut être une boucle. La fin pourrait être le début. 

Johnny Jane, c’est un personnage ? 

En-tout-cas, c’est une partie de moi, mais ce n’est pas tout moi, ce n’est pas mon entièreté, donc c’est une forme de personnage. 

En général, je laisse de côté les noms des artistes mais là ça m’a interpellé, ton nom, Johnny Jane, est celui d’un personnage du film de Gainsbourg, Je t’aime moi non plus. Johnny est une jeune femme, androgyne qui vit une histoire avec un jeune homme homosexuel. Elle est interprétée par Jane Birkin et Gainsbourg avait repris son histoire dans la chanson «  La Balade de Johnny Jane  », quel est ton rapport avec ce personnage ? 

Alors, j’avais, déjà choisi ce nom de personnage avant d’avoir vu le film. Je l’ai vu il y a trois ans. C’était plutôt par rapport à la musique et les paroles car ça me ressemblait à l’époque, «  tu balades, tes cheveux courts, ton teint livide, tes baskets…  » Il y avait un truc un peu déprimant mais mélodieux, et ça pouvait me ressembler. Il y avait de la malice aussi. L’idée du personnage, avant même le nom Johnny Jane, c’est surtout l’idée d’avoir un pseudonyme, c’était pour moi une obligation parce que je ne voulais pas garder mon vrai nom.

Pour ce projet, je voulais faire un truc qui se détachait de moi volontairement. C’est quelque chose de très commun dans la musique actuelle, mais c’est vrai que dans la chanson souvent, les chanteurs et chanteuses, prennent leur vrai nom. J’avais l’envie de ne pas tout dévoiler, un peu comme la pochette. Les gens savent ce que je ressens et que je me livre entièrement dans mes chansons. Il y a une très grande part d’intimité. Ils le voient en concert. Je n’arrive pas sur scène masqué, mais ce pseudo Johnny Jane, c’est une protection surtout pour moi plus que pour les autres. 

Sur toutes tes pochettes, on ne te voit jamais vraiment…

Oui, je me cache par un masque, par les autres, par mes cheveux ou par du graphisme. Ce n’est pas dans ma nature d’être devant. Et c’est extrêmement plaisant pour ça d’avoir un groupe. Je n’ai jamais été un enfant chanteur. Je suis devenu chanteur par hasard. Enfin, je me considérerais toujours plus comme musicien. Et si les choses s’étaient passées autrement j’aurais pu être guitariste, bassiste, pianiste dans un groupe… Je n’avais pas ce truc absolu d’être devant comme ça. Prendre la place du chanteur, je vais faire des comparaisons nulles, mais c’est comme, par exemple, être enfant unique ou avoir des frères et des soeurs. C’est un rapport un peu différent. 

J’ai toujours grandi dans cette idée d’avoir des groupes et de faire de la musique avec des gens. J’ai mis du temps à comprendre que j’étais tout seul en tête du projet parce que je n’ai jamais fait de musique tout seul. Pour moi, c’est toujours plusieurs cerveaux. Sur l’album, on est dix cerveaux. C’est moi qui le porte et c’est mon histoire mais je bosse avec des gens. Même en live, qu’il y ait des moments où je laisse la part à un musicien qui n’a pas forcément fait les tracks, à les reprendre comme eux, ils le sentent, à faire des solos comme ils veulent les faire… C’est important que ça bouge. Je n’aime pas quand c’est trop figé. 

Pour toi, ta voix est un instrument comme un autre ? 

Je vois la voix comme un instrument et pas comme quelque chose d’absolu qui doit raconter des choses. C’est pour ça que le rapport au texte est parfois complexe parce que j’écris beaucoup en rimes et je fais des mélodies. Quand je les mets ensemble, je me concentre sur la phonétique. Et ça, c’est une vraie part de l’album où il y a une façon de travailler le texte avec la phonétique, pas pour me cacher, mais c’est comme si le sens était là, tellement cru que j’avais besoin de le ramener à une malice phonétique comme si la phonétique était dans la voix un instrument.

Comme le début de «  Justine  », «  je ne ressens plus rien depuis des mois, mes rêves sont éteints tout autant que moi.  » Il y a beaucoup de sons qui se répètent. «  Kleenex  », c’est pareil avec les «  ex  ». Il y a beaucoup de jeux et c’est une façon d’utiliser de la voix parce que le texte devient un instrument aussi.

Ça nous ramène encore à Gainsbourg… 

Oui, bien sûr Gainsbourg, mais c’est aussi issu du lettrisme. C’est un courant vraiment important des années 60. C’était hyper intéressant. Ils voyaient la poésie comme du son, d’abord, avant le sens et avant les mots. Evidemment, je ne vais pas commencer à faire des textes en onomatopée, mais je trouve ça intéressant de ne pas être que terre à terre avec le sens des mots et pouvoir en jouer. J’aime bien, justement, «  Justine  » car je trouve que c’est le bon exemple, elle a été faite deux ans et demi après «  Kleenex »et c’est plus abouti.

On peut dire que c’est un texte sport. Si on le voit comme une sorte de pratique où, comme on dit en jazz, il faut les accords les plus complexes, il faut les patterns de drum les plus complexes, en sept temps et pas en huit… Pour moi, «  Justine  », c’est ça. Là où «  Les Lois de l’univers  » est très personnel et il n’y a pas de recherche complexe dedans. C’est un texte que j’ai écrit rapidement comme un copié-collé de ce que j’avais écrit dans mon journal intime. 

Ce serait comme deux visages du personnage Johnny Jane ? 

Oui, il y en a beaucoup. Encore une fois, la pochette rappelle à des facettes. Et je pense que j’ai différentes facettes en moi. Tout à l’heure, j’étais à une exposition à la MEP sur Annie Ernaux. Dans sa littérature, il y a un rapport à la réalité et à l’observation qui amène une étude sociologique. Et je pense qu’en moi il y a plein de facettes différentes et je me reconnais dans plusieurs personnages. J’ai beaucoup de paradoxes, d’états et une psychologie assez complexe qui fait que je ne peux pas être toujours pareil.

Aurélien de Saint Dx me disait l’autre jour  que la plupart des gens me découvrent sur scène. Ils voient que je peux être à la fois très rock, piano-voix solo… Toutes mes facettes sont révélées en une heure sur scène. Je pense que la musique c’est un moment où justement je me délivre dans cette spontanéité. Pour revenir à Annie Ernaux c’est le rapport à la capture qui m’intéresse. Capturer une photographie, un texte, un moment. Les photographes capturent des moments un peu volés. Et la musique en tout cas, comment je la vois, c’est capturer un moment de ma vie, de mon intimité. «  1998  » est comme une photographie. 

J’ai fait des études de photos avant et c’était ça, capturer une émotion, un moment que je peux ressentir et qui me traverse. Les démos, je les fais très rapidement. Après par contre, je mets beaucoup de temps à les finir. Il y a un moment où l’arrangement est très fastidieux. Il y a même des morceaux comme «  Une fleur  » qui n’ont pas du tout été écrit. Le micro est ouvert et j’improvise. Il y a aussi beaucoup d’impro dans l’album.

Il n’y a pas que de l’écriture, c’est très spontané. C’est pour ça que les démos se font vite. Par contre, après, j’adore trouver les bons sons de chaque scénario. J’aime bien cette étape où on a plein de photos et c’est comme si on devait choisir le bon format, le bon négatif. Une photo sous-exposée, ça va tout changer, ça donne la couleur. Il y a le thème, mais on peut la mettre de plein de façons différentes. C’est un peu comme ça que je vois les choses.

Et dans cette capture de ces instants de post-rupture avec ces regrets, ces désillusions. Tu parles uniquement d’amours qui viennent de se terminer. Est-ce que tu es nostalgique de ces histoires ?

Non. Je suis mélancolique de nature comme beaucoup de gens. Ce n’est pas quelque chose de fondamental ou original. Mais l’amour ou la femme, en l’occurrence est toujours absente et déjà partie. C’est en lien avec ma façon d’écrire, en m’inspirant de choses, du réel parce que je n’ai jamais réussi à inventer des histoires. Je puise des choses de mon journal intime. Et les choses que j’écris dans mon journal intime sont toujours des moments où je suis un peu deep. Je n’ai jamais écrit quand j’étais heureux et amoureux et en paix. Ça ne me vient pas à l’esprit. Ou alors, des choses comme «  Une fleur  ». Mais pas l’amour. C’est une façon d’interpréter les choses.

Mais il ya aussi une seconde lecture : mon éducation musicale. Je n’ai jamais trouvé une chanson qui parle bien de l’amour heureux.Toutes les musiques que j’aime bien sont tristes comme Adèle «  Someone Like You  » que j’adorais quand j’étais plus jeune. L’amour, c’est triste. Dans la chanson, en-tout-cas, pas dans la littérature, ni dans la peinture ou dans la photo. Quand je faisais de la photo, j’adorais justement capturer des moments d’amour heureux mais pas une musique.

Comme si la musique était l’art de l’après ? L’art de poser les émotions avec plus de recul…

Je ne sais pas. Je pense que c’est codifié et ce sont des codes dont je n’ai pas encore réussi à m’émanciper. J’ai fait une seule chanson qui n’est jamais sortie où l’amour est positif. Mais il y a un jeu dedans qui peut être lié à la sexualité. Je ne me sentais justement pas légitime de la sortir, c’était maladroit. Je ne me rends pas compte à quel point la musique doit être comme ça ou si c’est parce que j’ai été déterminé à voir la musique sous ces codes-là. C’est une grande question.

Et l’autre inspiration, c’est la récurrence de la fête. Est-ce que ça t’inspire pour créer ?

Comment expliquer ? Je pense qu’il y a vraiment un truc où l’ivresse est un déclencheur de l’écriture. Pour beaucoup, dont moi. J’écris sur la fête parce que c’est naturel. Parfois, en rentrant de soirée, j’ai envie d’écrire et c’est ce moment-là que je capture car je suis désinhibé. Ça nous rend fort et très faible, la fête. Il y a une sorte d’invincibilité très éphémère puis après, on se sent plein de doutes. On est nul. J’ai beaucoup écrit en gueule de bois. Ça pousse l’écriture, on se sent nul, on a besoin de comprendre pourquoi on a fait ça ? Pourquoi on se comporte de telle façon ? Pourquoi on se détruit ?

Donc oui, j’écris sur la fête mais dans son sens le plus profond pas dans le sens de profiter de la danse. Je ne parle pas trop de danse, ni de mes amis. C’est surtout un rapport intime et la fête est un prétexte pour accéder à une sorte d’intimité plus secrète, une solitude pour s’évader dans cet espèce de tourbillon qui fait passer le temps, parce qu’on fuit quelque chose. Donc il y a ce rapport à la fuite, la fuite de l’amour, la fuite par la fête…

Ça peut être très simple, juste un état de haut et bas, passer de amoureux, heureux, à seul et triste et sans amour et en fuite par la consommation d’alcool… C’est encore une fois une question où je n’ai pas les réponse J’essaie encore de comprendre. En tout cas, c’est ce mélange-là entre un besoin de voir des gens et la solitude. Le mot fête rassemble et on peut le voir de différentes façons. Par exemple, «  Normal  », plein de gens la voient de manière joyeuse alors que pour moi, c’est une chanson triste. 

Musicalement, tu accompagnes souvent des textes tristes d’une mélodie joyeuse et entraînante…

J’oppose beaucoup, c’est encore mon côté paradoxal. Je n’étais pas comme ça quand j’étais plus jeune. Quand j’avais 19 ans, à cette époque-là, j’étais ton sur ton. J’ai rencontré une dame au FGO-Barbara. Une ancienne prof de danse incroyable. Elle m’avait dit que c’était beaucoup plus beau de faire une chanson triste et de la chanter en souriant. Et puis, il y a des choses que j’ai découvert avec le temps parce que quand je réécoutais les Strokes, je comprenais aussi plein de choses magnifiques. Les paroles étaient très dures, tristes et sombres mais avec une sorte de rythmique très légère. Même Lou Reed quand il chante avec les Velvet Underground. «  Pale Blue Eyes  », la rythmique est très douce alors que les paroles sont d’une tristesse absolue.

Je trouvais ça plus beau encore que ce que j’avais pu écouter dans mon enfance qui était trop ton sur ton. Récemment je suis tombé sur une chanson de Biolay d’un de ses premiers albums et ça m’a énervé, faire simplement 4 accords mineurs et poser sa voix grave dessus. J’ai trouvé ça trop attendu et évident. C’est beau de cacher la tristesse dans une énergie à l’inverse très lumineuse et légère. Moi, ça me libère un truc et ça donne aux gens envie de danser. Tout le monde y gagne. En concert, ils sont heureux et moi aussi.

Ça se voit dans ton live car ça crée une énergie partagée et une communion autour de tes textes… 

C’est aussi une volonté de lâcher ces choses-là avec plus d’énergie pour les ressentir et les partager. Si j’ai fait le choix de faire de la musique pendant une période de ma vie, c’est aussi pour la partager sur scène, jouer avec des musicien·nes. Et pour ça il faut que je sois généreux et que les gens aient envie de danser, de se lâcher. Déjà en tant que spectateur je n’aime pas les concerts statiques, sans bouger, seulement au piano… Cinq minutes c’est très bien mais pas plus. J’ai aussi adapté ma musique pour l’imaginer en concert.

Et c’est en faisant de la scène que je me suis rendu compte que c’était mou, lancinant. C’est mon évolution. Et en voyant les autres faire, en comprenant ce qui m’animait… L’influence rock anglais et américain qui est dans ma musique c’est le lâcher prise. Même si je ne suis pas toujours fan de tout, Johnny Halliday disait que le rock était animal. Ça réveille en nous quelque chose. Dans la chanson française, on ne lâche pas beaucoup prise. On est plutôt dans le contrôle. Parfois sur scène je chante faux et ce n’est pas grave. Les gens sont là pour voir des accidents et du hasard sur scène, c’est ce qui crée le moment unique. 

Tu es de plus en plus rock d’ailleurs, non ? 

Je dirais que je suis de plus en plus libre. Rock, je ne sais pas. Je compose sur un piano, j’écoute toujours Sébastien Tellier ou Billie Holliday… Il y a une phrase que j’ai lu dans le livre Le Cœur sur la table : «  C’est quand on comprend le plus précisément possible ce qui nous détermine qu’on est le plus libre possible.  » ça m’a fait comprendre pourquoi je faisais cette musique au départ.

Ça m’a permis de me libérer de ces choses-là de m’émanciper en faisant un truc beaucoup plus hybride qui ressemble plus à l’enfant que j’étais que mes premières musiques qui étaient dans le contrôle et pleine d’influences volontairement cachées. Aujourd’hui, je ne cache plus mes influences, j’assume totalement qui je suis et ce que j’écoute. J’ai plus de liberté dans la musique. Faisons ce qu’on a envie de faire sans se soucier du jugement des autres. Et c’est un vrai plaisir d’accéder à ça artistiquement. 

Tu as l’impression d’avoir atteint une sorte de plénitude actuellement ou une sorte de palier ? 

Sur scène, je dirais oui. Après musicalement la plénitude c’est compliqué. Il y a une sorte de concurrence qui est installée, il y a beaucoup de pression mais sur scène quand je suis avec mes musicien·nes on prend du plaisir, on rallonge les musiques… En 2022, je m’étais cassé une jambe et j’avais eu deux mois assis avec un plâtre et je voulais quand même faire un concert. J’avais fait un piano-voix et la guitares arrivaient petit à petit. C’était uniquement de l’improvisation. 

Tu penses continuer à pouvoir te renouveler dans ce projet ? 

C’est la grande question : le renouvellement ! J’ai plein d’idées. Mais c’est un danger. J’imagine des choses très «  concept  » ! Je veux faire des choses avec des saxophones, de l’orgue d’église et des voix vocodées ou une batterie dans une église ou cathédrale qui ferait une sorte de réverb. J’ai plein d’envies mais il faut que je passe par une phase de recherches, de vide, de curiosité. Il faut que je m’inspire. Je n’ai jamais fait de projets similaires. Je suis accro au renouvellement dans tout : la musique que j’écoute, ma façon de m’habiller… Et je n’aime pas être figé.

Je ne pense pas être capable de faire la même  chose. Je ne vais pas reculer maintenant, je veux aller encore plus loin. J’ai pu devenir fier de certains morceaux avec le temps mais d’en sortir et d’être directement fier c’était la première fois de ma vie. C’est fou de lâcher à ce point-là.

Et je pense que c’est aussi que pendant longtemps il y avait une soif de reconnaissance. Quand on est pas sûrs de ce que l’on fait, on a besoin que l’on nous dise que c’est bien et là plus du tout. Aujourd’hui même si je n’avais que 200 écoutes je serai content de l’avoir fait car c’était ce que je voulais faire. Mais faire mieux que ça, ça va demander du temps et de l’effort, beaucoup de travail et d’échecs. Rien n’est acquis. Il faut que je réfléchisse bien à ce que je veux faire.

J'entretiens une relation de polygamie culturelle avec le cinéma, le théâtre et la littérature classique.

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