Les punks de Fat White Family reviennent avec un quatrième album sophistiqué et scintillant. Forgiveness Is Yours vient agrandir la discographie de cette famille autodestructrice.
Fat White Family vient déverser son absurdité musicale, son humour noir aux pointes d’ironie tranchante avec ce tout nouvel opus Forgiveness Is Yours. Cinq années se sont écoulées depuis Serfs Up !, de nombreux projets avec les Warmduscher et Lias Saoudi. Le frontman du groupe a écrit un récit autobiographique aux côtés d’Adelle Stripe. Intitulé Ten Thousand Apologies : Fat White Family and the Miracle of Failure, il devient un best-seller en Angleterre. Tout ceci agrémenté de beaucoup de repos. Car oui, la famille des Fat White n’est pas si solide que ça. Entre déboires dûs à la drogue et à l’alcool, c’est au tour de Saul Adamczewski, guitariste du groupe et compositeur aux coté de Lias, de quitter le navire pour de bon, après plusieurs tentatives non concluantes.
Connus pour leur excentricité, leur état d’ébriété souvent au-dessus du raisonnable et leurs shows scéniques rock’n roll, Maze a voulu en savoir plus sur ce nouveau bijou rock aux notes post-punk et dansantes. Nous sommes donc allés rencontrer Lias Saoudi dans les locaux de Domino Record France. C’est un Lias sobre, au charisme étonnant, buvant un thé chaud qui nous attend pour échanger sur l’avenir du groupe, sur ce qui fait un homme aujourd’hui, l’intelligence artificielle et sur John Lennon. Une rencontre sans tabou et délirante. Attention tout de même, durant cette échange nous parlons de consommation de drogues assez détaillée dû au passif de notre interlocuteur.
Avec votre dernier album Serfs Up !, on pouvait ressentir une sorte de résignation. Avec Forgiveness Is Yours, c’est comme si plus rien n’avait d’importance. L’individualisme est devenu maître, comme sur le morceau « Religion For One », on peut percevoir l’album comme un testament. Est-il le dernier de Fat White Family ?
À chaque fois qu’on termine un album, on voit ça comme le dernier et qu’on n’en refera jamais plus. La différence ici, c’est que j’ai 40 ans et j’aime plutôt bien écrire, donc je ne sais pas encore combien de temps je vais pouvoir prolonger ma patience. Je préfère voir ça comme une finalité. Comme si on baissait le rideau. Ça ne veut pas dire nécessairement ce que ça veut dire, mais c’est au cas où. Je pense que l’album devrait avoir cette résonance. Mais c’est définitivement la fin d’un certain type de groupe. Ce ne sont plus les même musiciens, comme avec le départ de Saul. Ce n’est plus la même chose… Donc si ce n’est pas la fin définitive, c’est bien la fin de quelque chose.
Tu parlais de Saul Adamczewski qui est parti. Les drogues ont toujours été un sujet dans le groupe. Quel impact ont-elles eu sur ta vie ?
Si tu n’es pas clean, tu ne sais pas à quoi attribuer ta misère, tes inquiétudes ou tes peurs. Tout tourbillonne. Mais si tu es sobre depuis longtemps, tu connais l’effet que deux bières ont sur toi ou, plus intense, un gramme de cocaïne, neuf bières et un peu de tequila par exemple. Tu peux étudier cette balance chimique. Et une fois que tu as goûté à tout ça, tu découvres exactement l’impact que ça va avoir sur ton cerveau et ton corps. C’est le prix à payer.
Tu peux toujours avoir ton moment de folie, mais tu sais ce que ça va te coûter. Tu n’arrêtes pas d’essayer de te sortir de là par tous les moyens, mais tu sais que c’est une cause perdue. Je dis ça maintenant, mais je sais que je repenserai à cette conversation dans un futur proche où je serai défoncé et je me dirai : « Mon dieu, j’ai recommencé. » Mais au moins je le sais, et j’ai ralenti tout ça.
Est-ce que le fait d’avoir écrit 10 000 Apologies et l’album t’a aidé à sortir de tout ça ?
Ça m’a aidé avec tout. Écrire ce livre m’a aidé en particulier avec ma confiance en moi. Parce que je me sentais un peu inutile, j’écrivais tout le temps des paroles mais je me voyais toujours un peu à côté, jamais à long terme. Je n’avais pas vraiment de contrôle sur ma vie, et écrire est quelque chose que j’aime véritablement et que j’ai appris naturellement. C’est une activité que je n’avais jamais refaite depuis l’école, mais ça a été un moyen d’ordonner mes pensées. J’avais l’impression de découvrir une toute nouvelle partie de ma vie. Je pouvais utiliser cet outil pour analyser n’importe quoi et je pouvais être un artiste sans jamais quitter mon salon. Je voyais un futur au-delà de ça.
J’ai commencé à le lire. J’en suis encore au début, il y a un passage qui me fait penser à la chanson « Today You Become A Man ». Dans ce titre tu parles de ton père, est-ce que tu peux nous en dire plus ?
Je parle de mon père et de mon grand frère. C’est l’histoire de la circoncision de mon grand frère, exactement. Il avait 5 ans et mon père l’a emmené dans le vieux pays pour la faire faire. Façon berbère (rires). Mon grand frère nous a rabâché cette histoire pendant des années. Il pouvait être 3 ou 5 heure du matin, on était défoncés, à chaque fois apparaissait dans ces heures-ci l’histoire de sa circoncision.
Qu’est-ce qui fait de toi un homme aujourd’hui ?
Je ne sais pas ce qui fait de quelqu’un un homme. Je pense que tout le monde a sa propre bataille avec ça, avec ce que ça peut être. C’est comme la loyauté et la confiance, comme comprendre ce qui est nécessaire ou pas à mettre en œuvre dans ta vie. Au moins ça. Comme avec les effets de la drogue, ce qu’elle coûte et ce qu’elle produit sur toi. Parce que je ne pense pas que j’ai déjà eu un vrai engagement avec ça à nouveau… Jusqu‘à ce que je commence à écrire et que je minimise tout le reste que je pouvais apprécier. Je suis en couple maintenant et c’est vraiment sérieux. C’est dur d’abandonner ses anciennes habitudes, où tu dormais à droite et à gauche, et ça me manque de plein de façon différentes, mais il y a beaucoup d’autres choses que tu gagnes.
Tu as des racines algériennes et quand je t’écoute parler de cette chanson, je vois comme un écart entre vos générations : ton père semble très investi envers l’Algérie et ses racines…
Il l’est et il ne l’est pas. Mon père est un peu un hérétique. Il n’est pas musulman et c’est le seul de la famille à ne pas l’être. Il est dévoué à ce guru indien qui est mort il y a des années, Sai Baba. Donc tout le monde l’appelait « amesluv », qui signifie « fou » en berbère. Sinon il est très fier et très algérien. Tu ne peux pas venir de là et ne pas l’être. C’est tellement une culture différente, une tout autre façon de vivre. Donc à part les parures musulmanes, c’est vraiment le même cadre éthique. Après, est-ce que je suis venu à terme avec ça ? Comme ce que je fais tout le temps à travers ces sorte de jeux esthétiques.
Est-ce que tu aimerais embrasser plus tes racines ?
C’est assez drôle aujourd’hui, car pendant la pandémie, avec les progressistes du genre politique, tout le monde sortait les drapeaux. C’est comme si cette histoire de race était devenu un putain de ticket gagnant. Tout d’un coup, on était comme en 1930 en Allemagne, mais à l’inverse. Tout le monde cherchait désespérément quelqu’un dans leur famille d’une autre race, genre un troisième oncle (rires). C’était plutôt diversifié comme dire : « L’oncle de mon arrière grand-père est de Trinidad. »
Tout le monde était désespéré de trouver quelque chose pour pouvoir jouer la carte raciale. Ça me rappelle ce moment avec Elizabeth Warren aux États-Unis, où Trump l’a surnommée la « fausse Pocahontas » (rires). Donc à partir de là, je me suis demandé si je n’allais pas appeler l’album « Making the most of my race card » et m’habiller en arbitre avec des cartons rouges et le drapeau algérien. Aujourd’hui je deviens fou, c’est à moi de profiter de ma carte raciale, genre : merde, si c’est ce que tout le monde fait, alors je veux avoir un peu d’action.
Revenons à l’album. Il y a cette chanson qui m’intrigue. Est-ce que tu peux m’en dire plus sur « Polygamy is Only for The Chief » ?
Cette musique vient de Adam Harmer. C’est un mec adorable et un très bon guitariste. Il joue avec les Warmduscher et il a toujours été un peu dans le groupe, mais dans l’ombre de Saul. Il est surtout un très bon compositeur, mais c’est la première chanson qu’Adam écrit pour nous.
Pour les paroles, j’ai voulu faire l’opposé de ces courants progressistes et parler de masculinité toxique et insalubre (rires). C’est vraiment l’opposé absolu. Essayer de devenir un vilain de dessin animé, car je pense que cette masculinité est tellement hors d’atteinte. Ce n’est pas à nous d’être éthiquement sain.
Tu aimes provoquer ?
J’aime semer le désordre, taquiner et surtout rire plus que tout. Mais c’est marrant tout ce monde qui se précipite et panique à propos de la race et du sexe. Genre : « Non mec, c’est pour le chef. Seulement pour le chef » (rires). Je crois que c’est une phrase que j’ai trouvée chez Georges Bataille. Il y avait quelque chose comme ça dans L’érotisme de Bataille. À propos d’une vielle tribu en Afrique.
C’est un vieux truc anthropologique, sur comment leur tribu fonctionnait et pendant longtemps j’ai trouvé ça intriguant. Ces hommes qui vivaient carrément dans la jungle où ils étaient obligés de laisser les femmes au maître de maison. C’est vraiment une image horrible.
Ça me fait penser aux chansons que vous avez écrites sur Kim Jong-Un ou encore Goebbels. Mais sur cet album, il y en a une sur John Lennon…
C’est juste une vraie histoire. C’est à propos de quand j’ai rencontré Yoko Ono et qu’elle me disait que je lui faisais penser à son mari, comme si je ne savais pas qui c’était ou le groupe dans lequel il était.
C’était quand tu as rencontré Sean Lennon à New York ?
On travaillait ensemble à cette époque. Je pense que c’était pendant les session de Insecure Men. J’avais pris beaucoup de K (ndlr : kétamine) et Yoko est arrivée alors que je n’avais pas prévu ça. Elle est sortie de nulle part et j’étais déjà bien défoncé. Puis Sean lui a fait un massage. C’était vraiment un moment étrange.
Tu es fan de John Lennon ?
Évidement, j’adore John Lennon. Je pense que c’est la chose la plus triste qui ait pu arriver au rock’n roll. Quand tu es sous K, tu te sens léger, libre et là elle me parlait de John. « Tu me rappelles mon mari. » Ça m’a frappé, à quel point c’était triste. Parce qu’ils sont un peu comme la famille royale ou quelque chose comme ça. Ce ne sont pas des personnes réelles, ils sont un peu comme Jésus. Ils ont cette chose où tu ne penses à eux comme une entité tangible car ils font partie du paysage culturel. Mais quand tu es défoncé et qu’il y a cette vieille femme qui te parle de cet homme qu’elle a perdu, c’est juste tragique. C’est tout ce qu’il y a à dire.
Tu es plus Beatles ou Rolling Stones du coup ?
Beatles, définitivement. J’aime les Rolling Stones aussi, mais on aurait dû les laisser mourir depuis bien longtemps. Ils auraient dû mourir de cause naturelle plutôt que d’être assistés à vie pour du sexe périmé. Tu imagines si les Beatles avaient été encore là à faire des concert à la Mastercard Arena ? Ça ne serait jamais arrivé sous John Lennon.
Mick Jagger reste tout de même impressionnant sur scène…
Mais ils ont tous eu des transfusions de sang, non ? J’ai entendu dire que c’était vrai, que les Red Hot Chili Peppers aussi. Que tout le gratin se défonçait à ça. Qu’ils prenaient carrément du sang d’enfants. C’est comme si ils étaient des vampires. Dieu sait à quoi tourne Kanye ? (Rires)
Ça me fait penser à « Bullet Of Dignity ». D’ailleurs, pour ce clip vous avez utilisé une IA. Qu’est-ce que tu penses de cette nouvelle technologie et est-ce que tu en as peur ?
Je pense qu’on est déjà un peu des cyborgs, on est en train d’aller vers ce chemin de toute façon. Donc dire que c’est juste pour la culture et l’art, désolé j’aimerais être beaucoup plus positif à ce sujet, mais je ne nous vois pas sortir de ça. Toute autre chose qu’un basique automate dans notre petit paradis personnalisé pourrait être bien, parce que tu mettrais ton petit casque où tu pourrais retourner 100 000 ans en arrière avec tes 82 femmes (rires), ce n’est peut être pas une si mauvaise chose. Tu pourrais aller dans le Paris des années 1920 et tout serait exactement comme tu l’imaginais, tout le monde serait gagnant. C’est sûrement vers quoi nous allons, ce genre de paradis sur Terre. Ce n’est pas que de l’ennui.
Mais pour arriver à ce point-là, je pense que ça sera triste et on est déjà à un point où on ce n’est que de la nostalgie. Mon groupe n’est autre que de la nostalgie, tout les autres groupes aussi. Peut être que la musique électronique a un coté futuriste en développement. C’est assez éphémère, changeant et en mutation. Je ne sais pas du tout qui est qui, mais je la trouve beaucoup plus intéressante de nos jours que des bizarreries rares d’une tribu brésilienne jouant de la flûte.
Est-ce que je suis inquiet au sujet de l’IA ? Je suis plutôt intrigué par elle. Je pense que c’est la fin de notre civilisation comme nous la connaissons aujourd’hui.
Tu penses vraiment ça ?
Je pense que c’est déjà entrain d’arriver, non ?
Le capitalisme nous entraîne vers une fin certaine, plutôt ?
Bien sûr, mais il fait partie de tout ça. C’est une extension. C’en est la fin. C’en est la finalité. Nous sommes en train de devenir comme la Chine. Elle devient comme l’Ouest avec tous les défauts du socialisme mélangés au pire du capitalisme, ce qui crée cet horrible simulacre de progressisme et de justice. Ce n’est que des conneries. Notre système est légèrement moins terrible car il est plus convaincant.
La version chinoise, c’est comme si c’était un bloc solide qui leur appartenait. Mais tout ça est une imposture, tout comme ses élections, un peu comme la Russie aussi mais en beaucoup plus élégant. Comme si on disait que Hu Jintao (ndlr : ancien président chinois) était le boss, un point c’est tout. C’est objectivement injuste. Comme en fonction de ton comportement on va te donner des crédits pour vivre, ce qui veut dire que tu ne peux pas dire de la merde sur Internet sinon tu peux perdre ton boulot. Tout le monde est terrifié, paranoïaque et prudent.
Avec « Bullet Of Dignity », nous avons eu un entretien avec Domino Record pour parler du passage de la chanson à la radio. Ils disaient : « On va sûrement juste l’appeler « Dignity » ». J’ai répondu : « Pourquoi ? » Ils me répondent : « Bah tu sais, la guerre ». Je leur demande : « Qu’est ce que vous voulez dire par la « guerre » ? Vous être en train de parler du mot « bullet » ici ». Bref, j’avais sept personnes devant moi dans cette pièce, je n’étais pas énervé ou autre, mais ils étaient là, certains ont des crédits à rembourser, d’autres boulots, et on étaient là à débattre du mot « bullet ».
Ce que je veux dire par là, c’est que ma chanson n’est pas intitulée « Bullet For The Muslim » ou « Bullet for something else ». C’est juste le mot « bullet » mais du coup quid du mot « knife », ou « bomb » ? Qu’est-ce qui se passe, putain ? Si ça c’est la limite, mais où allons-nous ? Que ceci ait été une actuelle conversation et qu’on me dise hier qu’effectivement la chanson est sur la playlist au nom de « Dignity » et bien Fat White Family aime parler de la dignité (ndlr : sur un ton ironique). Merci pour ça, je trouve que ça sonne bien, nous sommes allés chercher un grand sujet.
Dernière question, est-ce que tu penses toujours que les Arctic Monkeys sont nuls ?
Je pense que je suis allé un peu loin avec ça. Je ne pense pas qu’ils sont si nuls que ça. J’ai été un peu stupide pour être honnête. Je pense que je n’ai juste jamais vraiment été piqué par leur musique. Je n’ai jamais vraiment aimé ou dit : « c’est ma came ça ». Mais j’aime un peu plus les dernières choses qu’ils ont faites. Après, je n’ai jamais vraiment trouvé Alex Turner convaincant sur scène. Il a un style de vieux collégien. Genre Marty McFly mais version anglaise. Tu ne peux pas être moderne et anglais comme Jarvis Cocker. Voilà un excellent frontman.
Moi, je suis correct mais je n’ai jamais atteint un succès commercial donc ma place reste dans les tranchées. Mais je ne me balade pas à L-A avec de l’argent à foison, je suis obligé de jouer dans quatre groupes différents et écrire des essais. Mais je trouve ça cool et je suis assez heureux où je suis, j’aimerais juste en faire encore un peu moins.