Dans les sous-sols du théâtre de la Scala, il y a cette petite salle au souffle intimiste, affectueusement nommée « La piccola Scala ». Lumières bleutées et tamisées, on s’y sent autant comme chez soi que dans un vaisseau spatial. C’est dans ce petit espace à l’ambiance familiale que Noémie Pierre, Clotilde Mollet et Hervé Pierre font vivre les mots de Jean-Claude Grumberg dans « Môman ».
« Dis Môman, pourquoi les méchants sont méchants ? » Rien que le titre de l’œuvre de Grumberg nous replonge dans une enfance faite de coins sombres et de peignoirs qui prennent vie la nuit, dans nos chambres. On revoit les ombres jouer au mur, la lumière qui tremblote et nos grands yeux écarquillés, apeurés. On se lève, on tapote le sol avec nos petits pieds, et on court chercher une étreinte rassurante et familière. C’est comme ça que l’on ressent l’histoire que nous racontent Hervé Pierre et Clotilde Mollet : une étreinte, douce mais ferme, qui fait disparaître les méchants.
Môman et Louistiti contre le monde
Cette heure de spectacle est un dialogue : les questions de Louistiti, assurées et pleine de candeur ; les réponses, de celle qu’il appelle « môman », dures et pourtant souvent hésitantes. Que peut-on espérer enseigner à nos enfants, lorsque nous sommes nous-mêmes pétris de questions sans réponses ? Mais il faut bien les rassurer, les gamins, ou bien ils deviendront des adultes tordus. Alors on invente, on joue avec les mots. On crée des planètes sur lesquelles il n’y a pas de bile à se faire, là où les mômans sont le meilleur remède contre les méchants. Car il ne s’agit pas, ici, de compter sur les pôpas. Ils sont bien loin, avec toutes leurs bricoles, leurs casseroles, leurs promesses brisées et leurs galères d’argent.
Alors maman se démène et offre à Louistiti une enfance dans un petit appartement aussi grand que le monde. Les mots sont simples, tellement simples qu’ils sont même un peu abîmés sur les bords. On laisse traîner un « e », on transforme un « an » en « ain ». On rend les mots un peu plus gentils, ou bien un peu plus bancals pour qu’il soient en accord avec le quotidien.
Louistiti grandit avec sa maman, et son quotidien se construit à ses côtés. C’est la surprise, quand on arrive, et qu’on voit ces deux comédiens que l’on connaît depuis belle lurette redevenir des enfants devant nous. Car la maman et le fils ont tous les deux une âme d’enfants et des préoccupations d’adultes, ce qui fait que, finalement, on ne sait plus bien qui est qui. Mais ce qui est sûr que chaque histoire, chaque fragment de vie, chaque confidence sous les draps de la cabane résonne en chacun d’entre nous.
Un château fait de draps blancs
La scénographie et la mise en scène sont à la hauteur de la complexe simplicité du spectacle. Il y a une maison faite de draps, des paysages faits de feutre noir. Les comédiens s’amusent à bouger le décor dans tous les sens. Les murs deviennent des rideaux, les rideaux deviennent des couvertures. On prend les couvertures et on s’en fait une robe de soirée.
Il y a la recherche de la simplicité pour un résultat fascinant. On dit au revoir au décor travaillé, pour accueillir un réel travail du décor. L’usage des ombres et des lumières contribue à la poésie du moment. On se sent, nous spectateurs, accueillis comme à la maison, et à la fois transportés loin, loin, très loin de tout.
Il y a de la beauté à se débrouiller avec ce qu’on a. Hervé Pierre et Clotilde Mollet nous montrent qu’avec un drap blanc et quelques comptines, on peut recréer un monde tout entier.
Môman, à la Scala Paris. Du 9 avril au 19 juin le mardi à 21h30 et le mercredi à 14h et 21h30. Plus d’informations sur https://lascala-paris.fr