Dernière création de Stéphane Braunchsweig, Jours de joie propose une lecture grinçante du texte d’Arne Lygre. Entre cocasseries et interrogations sur la possibilité du bonheur.
Beaucoup de feuilles mortes, un long banc sur lequel on peut aligner une dizaine de personnes et une rivière que l’on imagine passer à quelques mètres de là. Une mère vient s’asseoir sur le banc avec sa fille, un sourire factice plaqué sur le visage. Aujourd’hui, elle est heureuse, entonne-t-elle. C’est au bord de cette rivière qu’elle vient régulièrement se recueillir, penser à la mort – et si elle se faisait enterrer ici, près de la rivière ?
Aujourd’hui, elle partage ce coin de calme avec son enfant. Un jour de joie. La joie sera totale lorsqu’Aksle, son fils, les rejoindra. Ils passeront un jour de joie, en famille. Seulement, le fils tardera à arriver et les retrouvailles familiales seront interrompues par un couple qui se sépare et une veuve accompagnée de ses deux beaux-fils.
C’est à partir de cette intrigue en apparence simple que le dramaturge norvégien Arne Lygre déploie son humour noir. Les personnages qui se croisent ici aspirent tous au bonheur et revendiquent, chacun à leur manière, la journée heureuse qui fait le titre de la pièce. En même temps qu’il est revendiqué, le jour de joie est toujours perturbé par de petites mesquineries qui s’immiscent tantôt dans la mise en scène, tantôt dans les dialogues.
Il y a la mère, qui répète à sa fille que non, elle ne hait pas son beau fils. Cependant, elle a seulement de l’aversion pour lui. Le voisin qui pense qu’il aimerait mieux être tranquille dans ce petit coin de terre pour se disputer plus sereinement avec sa femme. La veuve, que l’on accuse d’être vénale, qui avoue ne pas détester l’argent.
Les personnages, tous réunis en un seul lieu, se croisent et s’affrontent, se font poliment signe qu’ils ne sont pas les bienvenus, puis s’accommodent les uns des autres. Le texte se déploie comme une comédie d’ensemble, les traits d’esprits, toujours piquants, fusent dans la salle. « Je ne suis pas d’accord ! », se permettent d’intervenir les uns au beau milieu de la dispute conjugale des autres. Fou rire dans la salle.
Nihilisme assumé
La mise en scène de Stéphane Braunschweig manie avec brio cette drôlerie un peu cocasse, un peu cynique. Ici, on se moque légèrement des personnages, de leur manière souvent comique de gérer les drames qui leur tombent dessus. D’ailleurs, ils ne s’épargnent pas eux-mêmes. Tous traversés par des sentiments contradictoire, ils se regardent mener leurs batailles personnelles les uns les autres.
Ils se font spectateurs, se permettent d’intervenir, d’y aller de leur petit conseil. La petite musique se répète, on revendique le bonheur tout en étant traversés de malheur, on siffle une remarque un brin perfide, la vie continue. Aujourd’hui est un jour de joie.
Cette petite musique un brin nihiliste se brise sur un autre drame qui survient, cette fois plus grave que les précédents. Lygre, qui évoque sans fards la dévastation, parle surtout de notre capacité à nous reconstruire. Il ne suffira jamais que d’une nuit passée à boire et à chanter des tubes de Lady Gaga pour oublier les drames. L’être humain semble survivre à tout, aux malheurs qui s’abattent sur lui, aux déflagrations dont on pense ne jamais se remettre.
Jours de joie se construit finalement comme un drame à hurler de rire. Son pessimisme assumé, presque caricatural, esquisse plusieurs grandes questions existentielles. Il y est question de la possibilité du bonheur. La réponse de la pièce, à rebours de l’ensemble du texte, fait preuve d’un humanisme salutaire.