Après la comédie dramatique Baby Phone (2017), Olivier Casas propose un second long-métrage d’un autre genre. Inspiré d’une impressionnante histoire vraie, Frères explore la force de la fraternité et le lien à la nature.
Mettre en images une histoire vraie, qui plus est lorsqu’elle est dense et douloureuse, n’est jamais chose aisée. Retranscrire les émotions, sélectionner des étapes, en taire d’autres, demande un travail de fond et l’assomption de nombreux partis pris. L’exercice n’en est pas moins formateur. En 2015, Olivier Casas rencontre Michel de Robert et découvre son histoire, pour le moins singulière. Des décennies plus tôt, en pleine Seconde Guerre mondiale, Michel et son demi-frère Patrice sont nés hors mariage. Abandonnés par leurs parents, puis recueillis par une famille voisine, un tragique événement pousse alors les garçons à prendre la fuite dans la forêt voisine. Alliant esprit pratique, courage et instinct, ils y survivent sept années durant. Sept années, c’est également le temps qu’il a fallu à Olivier Casas pour rassembler la matière et construire le scénario de Frères, avec l’appui fidèle de Michel de Robert et de ses souvenirs.
Fraternité intemporelle
1948. Chez la famille Brunet, qui les héberge après le départ inattendu de leur mère Marielle (Alma Jodorowsky) pour l’Argentine, Pat et Mik — sept et cinq ans — tentent de profiter d’un été apaisant. La simplicité de leur quotidien se voit brutalement entachée par un décès dont Pat endosse la responsabilité. Par peur d’être découvert par la police, l’enfant entraîne son petit frère dans les bois. Commence alors une longue errance qui, petit à petit, se transforme en la découverte d’un univers de possibles.
Plus qu’un refuge, les arbres deviennent pour les deux frères une maison à ciel ouvert. Saison après saison, année après année, la Nature leur offre sa protection qui s’avère tout sauf hostile. Véritable troisième personnage du film, elle est par ailleurs la première spectatrice de la profondeur croissante de leur amour fraternel. Pat et Mik s’attachent l’un à l’autre, puis l’un et l’autre à l’immense liberté que la Nature leur permet.
Années 1980. Patrice et Michel ont grandi. Incarnant les deux frères, le duo formé par Mathieu Kassovitz et Yvan Attal parvient assez agréablement à représenter la force de cet amour inconditionnel. Et pour cause. Au-delà de leur jeu actif et imprégné des personnages réels, les deux acteurs se connaissent depuis plus de quarante ans. Sous leurs traits, Pat et Mik entretiennent cette relation fusionnelle, incassable. De Paris à la forêt — encore elle — glacée du Canada, en passant par Strasbourg, les deux frères continuent d’être tout l’un pour l’autre. C’est une envie, mais aussi un besoin : le poids du secret et de la culpabilité perdure. Et, comme le reste, ils le partagent ensemble, main dans la main.
Instants de grâce
De la forêt charentaise à la vie urbaine et active – à l’hôpital pour Pat, en agence d’architecture pour Mik -, flashbacks et temps présent s’alternent tout au long du film. Une porte se ferme dans les années 40 et s’ouvre naturellement trente ans plus tard. Rythmé, équilibré, le film ne paraît pas daté. Olivier Casas s’extirpe adroitement des codes stéréotypés qui foisonnent dans bon nombre de films se voulant représentatifs de la période. Pat et Mik ne portent pas de bermudas, mais des t-shirts trop grands pour eux et des chemises de lin qu’ils arboreraient encore aujourd’hui. S’armant çà et là de références assumées au western — une cabane qui devient « Los Angeles au milieu du désert », ou encore la partie canadienne dans les années 80 — le cinéaste fait sienne cette modernité, qui a de quoi rendre davantage cohérente l’alternance des temporalités.
Car bien au-delà du pointillisme exhaustif et parfois lassant dans lequel le film aurait pu tomber, le réalisateur préfère mettre en lumière des sensations, des émotions. Et plus encore, la tentative de guérison de blessures bien trop profondes. Quitte à ajouter des événements entièrement fictionnels. Qu’importe : Olivier Casas ne prétend pas réaliser un documentaire sur la trajectoire des enfants perdus après la guerre. Certes, le film leur rend ouvertement hommage, mais il cherche plutôt à sonder la complexe destinée intérieure de deux d’entre eux.
Pat l’exprime à plusieurs reprises : ils ont « commencé par la fin, par le meilleur ». Et Mik de renchérir sur ces « instants de grâce » vécus à deux, serrés l’un contre l’autre, au cœur de la forêt, à l’écoute des rivières et au goût des vers de terre. Comment se construire après cela ? Comment apprécier le quotidien, en sachant que ces sensations ne reviendront jamais, mais qu’il reste toute une vie à vivre ?
Par des choix scénaristiques réfléchis, Olivier Casas donne à l’histoire de Patrice et Michel une teinte si personnelle qu’elle en devient naturellement plus universelle. Cette relation entre deux frères, qui ont vécu l’inconcevable, retentit par sa sincérité et ses aspérités. En modernisant la représentation d’une période passée, en axant sa mise en scène sur des ressentis plus que sur le déroulé méthodique des faits, le cinéaste montre l’ascendance des émotions, positives et négatives, sur les rouages du temps.