CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2024 – « The Seed of the Sacred Fig » : Liberté chérie

Mère et fille - The Seed of the Sacred Fig
© RUN WAY PICTURES

EN COMPÉTITIONAprès l’immense succès et la reconnaissance internationale de son Le Diable n’existe pas, vainqueur de l’Ours d’Or à Berlin en 2020, Mohammad Rasoulof mène un nouveau coup de force avec The Seed of the Sacred Fig. Malgré des contraintes extrêmes de production et de diffusion imposées par la censure iranienne, le cinéaste est venu en personne incarner cette prouesse à Cannes. 

Femme, vie, liberté. Trois mots dont l’association ne devrait plus être un sujet mais qui, en Iran et ailleurs, symbolisent le combat s’élevant contre une oppression encore bien trop actuelle. Mohammad Rasoulof ayant choisi de faire de la parole contre l’oppression le fer de lance de son cinéma, c’est avec détermination qu’il s’est lancé dans la réalisation de The Seed of the Sacred Fig (Les graines du figuier sauvage). Durant 2h45, le long métrage met en lumière la résistance d’une partie de la population contre la censure et l’oppression imposées par les autorités iraniennes.

En 2022, le slogan « Femme Vie Liberté » était scandé dans les rues à la suite de la mort tragique de Jina Mahsa Amini. À quelques jours de ses 23 ans, cette jeune étudiante est arrêtée par la police des mœurs pour le port d’une tenue « trop légère ». Elle décède à l’hôpital trois jours plus tard. Selon les autorités et leurs soutiens, c’est une attaque cardiaque. Cependant, une grande partie de la population iranienne est convaincue que la mort de Mahsa Amini découle de la violence des blessures qui lui ont été infligées par les forces de l’ordre. Dans les semaines qui suivent, le choc de ce décès soulève Téhéran et l’Iran à travers de larges manifestations, en grande partie étudiantes. À partir de ces faits bien réels, Rasoulof imagine une famille iranienne que l’interprétation de ce drame divise progressivement.

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Prison dorée

À Téhéran, Iman (Missagh Zareh) vient de se voir proposer un poste de juge d’instruction. Sa femme, Najmeh (Soheila Golestani), est fière de son mari et heureuse pour leurs filles. La famille va pouvoir déménager dans un appartement à quatre pièces. Il serait temps : les deux filles du couple, Rezvan (Mahsa Rostami) et Sana (Setareh Maleki), sont déjà grandes. La première étudie à fac, la seconde est lycéenne. Chacune aura enfin sa chambre.

Iman déchante rapidement. Lors de sa prise de poste, d’importantes manifestations éclatent de part et d’autre de la ville. La population reproche au gouvernement la mort de Mahsa Amini. « C’était une attaque », affirme alors Najmeh à ses filles. Souhaitant par-dessus tout maintenir la paix sous son toit, elle soutient la version donnée par les autorités et se range du côté de son mari. De son côté, Iman s’est bien vite rendu compte de la raison pour laquelle son prédécesseur a quitté son poste. En vérité, ce dernier a « été remercié » pour avoir refusé de signer un ordre d’exécution. Et ce, malgré la demande explicite du procureur. « Si c’est l’ordre du procureur, la responsabilité n’est plus la tienne », tente de tempérer Najmeh. Mais elle n’y croit pas. Iman non plus. Et pourtant, le nouveau juge d’instruction finit par suivre sans broncher les ordres du régime en place.

Peu à peu, Najmeh et ses filles sentent le piège qu’est ce poste se refermer sur elles. Coupées dans leurs élans sociaux et militants, Rezvan et Sana font les frais de la censure du régime. En plus de ne plus voir leur père – que l’implication dans son travail mène à reléguer les dîners familiaux au second plan -, elles doivent garder leur vie privée la plus privée possible. Du jour au lendemain, les deux sœurs doivent porter le voile, ne pas poster de photos d’elles sur les réseaux et taire le métier de leur père. Inviter des amies, faire du shopping : la moindre sortie du rang devient dangereuse.

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« Je ne m’assieds pas »

Rezvan et Sana ne sont pas dupes. Connectées à l’actualité grâce aux réseaux sociaux et à leurs amies – notamment Sadaf (Niousha Akhshi), dont elles applaudissent la courageuse participation aux manifestations -, elles s’élèvent ensemble contre cette situation profondément injuste et restrictive. Offrant un bel exemple de sororité, les deux sœurs s’épaulent et ne tombent pas dans la supercherie. « Oui, les médias mentent. Et toi, tu fais entièrement partie de ce système. », lance Rezvan à son père, droit dans les yeux, au cours d’un rare dîner à quatre.

Quant à Najmeh, elle est douloureusement tiraillée entre son amour pour son mari – et l’injonction qui lui est faite de le soutenir – et sa volonté de voir ses filles pleinement épanouies. Dans un premier temps, elle tente de concilier les deux bords. Alliant force et tendresse, elle parle à l’un, aux autres. Cela s’avère être peine perdue. Les convictions sont trop différentes, incompatibles. D’un côté, Iman se soumet, se résigne. De l’autre, Rezvan et Sana se dressent face au mensonge du gouvernement et défendent, coûte que coûte, les libertés fondamentales.

Lorsqu’Iman égare son arme de service et sombre dans une dangereuse paranoïa, Najmeh réalise douloureusement l’irréparabilité du fossé creusé entre eux. Un fossé dont elle avait conscience, mais dont elle tentait de dissimuler l’existence à ses filles – et à elle-même. « J’ai toujours cherché à vous cacher cette part du visage de votre père », finit-elle par leur avouer, alors que la situation familiale a pris une tournure glaçante. « Je ne m’assieds pas. Je parle. Tu vas faire quoi ? », assène-t-elle finalement à son mari. Prenant exemple sur ses filles et leur courage, Najmeh s’affirme à son tour et reconnaît en son mari un homme violent, sanguin, autoritaire. Les masques tombent, et elle ne veut plus se soumettre. 

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The Seed of the Sacred Fig ne se contente pas de porter ces directions cruciales et assumées. Non, il offre par ailleurs un niveau de mise en scène d’une savoureuse maîtrise. Poésie et tension se marient à merveille dans des séquences au réalisme troublant. Fidèle à lui-même, Rasoulof joue sur la musicalité et les lumières, orchestrant le tout sur la partition soignée et minutieuse qu’est son scénario. Les uns après les autres, ces sons et ces visuels travaillés – un vent de sable, les cris des manifestants, l’éclairage de la Lune sur la campagne déserte – viennent naturellement accroître ou diminuer l’électricité ambiante du long métrage.

Impossible, enfin, de parler de The Seed of the Sacred Fig sans évoquer l’exceptionnel parcours de sa production jusqu’à sa projection à Cannes. Récemment condamné à huit ans de prison, Rasoulof a fui l’Iran pour présenter son film, largement attendu en cette fin de compétition. Sa présence est éminemment politique, et l’on peut cette fois reconnaître à la programmation le bien-fondé de cette prise de position nécessaire. Avec une profonde justesse mêlée à une sincère humilité, ce long métrage ne laisse aucune porte de sortie aux oppresseurs, ni ne leur octroie aucune forme de compassion. À travers plusieurs figures féminines puissantes, Rasoulof se lève à nouveau contre la dictature et les multiples pressions exercées sur les femmes.

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