UN CERTAIN REGARD – Après son premier court métrage Olla, sélectionné à la Quinzaine en 2019, Ariane Labed signe son retour cannois, et son premier long, avec September Says. Entre grande élégance et profonde justesse, la réalisatrice célèbre la sororité et l’infinie délicatesse de l’adolescence.
September (Pascale Kann) et July (Mia Tharia), dix mois d’écart, vivent avec leur mère Sheela (Rakhee Thakrar). Très fusionnelles, mère et filles partagent quotidiennement de nombreux moments de complicité. Les deux sœurs, particulièrement, sont inséparables. Au collège comme à la maison, elles passent le plus clair de leur temps ensemble. Tout est matière à jouer, à se découvrir, à se tester mutuellement. Mutuellement, ou presque : des deux adolescentes, c’est September qui, visiblement, mène la danse. Une relation singulière, qui dure jusqu’au jour où cette dernière est renvoyée du lycée puis que, suite à un événement énigmatique, Sheela emmène ses filles vivre avec elle dans une maison familiale, perdue sur la côte irlandaise. July se découvre alors une agréable indépendance, qu’elle tente de concilier avec l’affection sans bornes qu’elle éprouve pour sa sœur. Adapté de Sisters, un roman de Daisy Johnson, September Says sonde subtilement l’adolescence et ses tourments.
Miroir, miroir
Véritable mentor comportemental et émotionnel de July, September affiche une grande confiance en elle et un dédain sournois, mais parfois comique, pour la bienséance. Pour sa sœur, elle a mis au point le « September Says », sa version du « Jacques a dit ». Le jeu est un véritable rituel pour les deux adolescentes. Durant ces parties à la durée et aux niveaux de défis indéterminés, July excelle ou bien perd, sans broncher, des points de vie. Un moyen pour September, de s’assurer que sa sœur reste bel et bien sous son joug. Cette volonté de contrôle a cela de particulier que l’aînée semble prodiguer à sa cadette une bienveillance et une protection presque acharnée, créant une ambiguïté supplémentaire dans leur relation déjà variable.
July et September se construisent l’une face à l’autre. La première prend son aînée comme modèle irrémédiable en pensées, en paroles et en actes. Si September se cogne la tête, July se masse le front pour apaiser la douleur. Si September veut danser, July danse, mais s’arrête à la seconde près où son aînée l’ordonne. Et ainsi de suite. Cette relation en miroir donne lieu à des séquences tantôt légères, tantôt plus saisissantes. Presque malgré elle, July a constamment besoin de la validation de sa grande sœur, jusqu’à en oublier ses propres intérêts – du moins, les mettre de coté. Au moyen de plans larges joliment composés, Ariane Labed filme cette relation avec pudeur, comme pour laisser les deux sœurs dans cet espace intime et insondable qui n’appartient qu’à elles.
La chrysalide et le papillon
Lorsque le renvoi de September et le déménagement familial adviennent, July a alors le loisir de se découvrir en profondeur. Peu à peu, l’adolescente gagne en autonomie. Elle ose davantage tenir tête à sa sœur, dans la limite du leste laissé par cette dernière. Cette liberté nouvelle, qui n’est pas sans lui déplaire, lui permet d’explorer les possibles et d’expérimenter les différentes opportunités que lui offrent les rencontres qu’elle fait. July tente de devenir la July qu’elle imagine, et non la July de September. En pleine adolescence, le corps et les désirs évoluent, et July comprend qu’elle doit parvenir à poser ses propres choix pour trouver son chemin.
Cette indépendance, Sheela y goûte également, d’une autre manière. Pour portraire ce personnage, Ariane Labed montre la mère mais, avant tout, la femme. Sheela s’octroie du temps loin de ses filles et de sa maison. Elle fait des rencontres, s’en amuse et les renvoie. Et quand elle choisit de passer des moments avec ses filles, elle est à leur écoute. Elle leur parle en adulte, rit avec elles, se montre ferme. Elle dose son quotidien selon ses besoins et ses envies et, ainsi, parvient à créer son propre équilibre familial. À travers ce modèle, la réalisatrice exprime la grande diversité des manières d’être une famille.
Le choix de tourner September Says entièrement en pellicule, et sous trois formats déployant chacun un arc du scénario, incisent ce dernier et jouent savoureusement sur le magnétisme des décors et des actrices – toutes trois excellentes en leurs rôles. Le grain des 16 et 35mm épaissit les événements et la tournure insidieuse qu’ils prennent. Quant à la lumière, elle est majoritairement naturelle. Cette judicieuse absence d’artifices épouse l’évolution de la situation, et les clairs-obscurs font brillamment jaillir ce qu’elle a de complexe et de profond.
Au cours d’une ultime scène où July s’affirme davantage dans son intimité, le mystère se dévoile et la glaçante réalité fait surface. Tout en finesse, à l’image du reste du long métrage, la fragilité des sens et des tourments de l’adolescence est alors mise en lumière. September Says tourmente autant qu’il enchante. Usant d’une subtilité et d’une précision chirurgicale dans l’approche des différentes thématiques qu’elle explore, Ariane Labed s’illustre et convainc dans ce conte gothique des temps modernes.