EN COMPÉTITION – Christophe Honoré débarque sur la Croisette avec un objet de cinéma singulier, un portrait du clan Deneuve-Mastroianni, interrogeant la notion d’héritage et d’identité.
« Mi sono innamorato di te, Perché non avevo niente da fare… ». Sur cette célèbre balade italienne de Luigi Tenco, Chiara Mastroianni, en robe blanche dans la fontaine de Saint-Sulpice, laisse couler quelques larmes. « Marcello ! Marcello ! ». Elle singe la célèbre scène de la fontaine de La Dolce Vita, poussée par une photographe malpolie, et sa vision pour le moins stéréotypée et bas de gamme du grand classique de Fellini.
Quelques jours plus tard, on la retrouve pour un essai face à une Nicole Garcia, impatiente, qui lui lance un : « J’aimerais que tu la refasses, un peu moins Deneuve, un peu plus Mastroianni ». Le « récit » est lancé. Chiara Mastroianni, fille de deux géants du cinéma européen – Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni – est la seule héritière d’une filiation (peu) enviable. Les comparaisons sont constantes. Les attentes, dirigées vers son paternel illustre, sont le catalyseur de tous les fantasmes.
Impuissante face au poids de sa lignée, Chiara bascule et devient Marcello. Cheveux gommés, moustache, chapeau et costume noir. Elle est devenue, non pas l’image crachée de son père, mais son père véritablement. Elle adopte ses habitudes, sa vie. Malgré la résistance de ses proches, notamment de sa mère, elle entretient une illusion parfaite.
Le parti pris, pour le moins audacieux, de Christophe Honoré floute les limites entre fantasme et réalité. Son personnage est en quête d’identité, une identité propre, mais indissociable de celui qui l’a élevée.
Si cette exploration offre une vaste aire de jeux et l’occasion de revisiter des grands moments de la filmographie de l’acteur italien (star masculine ultime des années 50), elle rencontre vite des limites évidentes. Chiara est Chiara qui est Marcello, mais Catherine est Catherine, Benjamin Biolay est Biolay, Fabrice Lucchini, Lucchini, Melvil Poupaud, Poupaud. Tous campent leurs propres rôles. Ils reconstituent à l’écran leurs rapports dans la vie, leurs souvenirs communs et leur amour pour le vrai Marcello
Histoires de famille
Ce choix narratif, discutable dans ce qu’il a d’un peu autocentré, ne laisse pas de place au public. Marcello Mio est comme un album de famille que l’on aurait ouvert sans en avoir la permission. Une découverte voyeuriste dans une intimité d’habitude gardée à double tour.
Certaines scènes, trop crues, en deviennent dérangeantes. C’est la cas de la confusion et de la colère de Catherine Deneuve face à son amour disparu. L’on aurait presque envie de détourner le regard, malgré l’infinie beauté du film d’Honoré, comme pour s’excuser d’avoir pénétré trop loin la souffrance de cette famille manifestement encore en deuil.
C’est finalement bientôt à regret que l’on assiste à ce bouleversement familial, qu’on aurait préféré laisser pour les yeux des premiers concernés. La balade de Chiara dans les chaussures de son père n’a rien d’universelle. On se sent laissés-pour-compte. Les références à la longue carrière de Marcello Mastroianni sont, elles, trop parsemées pour réjouir les amoureux de sa filmographie.
Ici, c’est bien Marcello Mio, le Marcello de Chiara (et d’Honoré) qui apparaît sous nos yeux. Comme un étranger, car le personnage ne dévoile finalement rien, en tout cas rien de nouveau, sur la réalité de cette figure impénétrable. Le père, l’homme dans son intimité, n’appartient qu’aux siens et reste, pour de bon, inaccessible au spectateur. C’est d’ailleurs peut-être pour le mieux. Après tout, les stars de cinéma sont des pères comme les autres.