CINÉMAFestival de Cannes

CANNES 2024 – « À son image » : Émancipation sous nitrate

À son image, Thierry de Peretti
© Pyramide Distribution

QUINZAINE DES CINÉASTES – Treize ans après Apaches, sept après Une Vie violente, Thierry de Peretti fait son retour à Cannes avec un nouveau long métrage sur un pan de l’histoire corse. Adaptant un roman de Jérôme Ferrari, le réalisateur ajaccien propose une approche différente de sa thématique de prédilection, en la développant à travers un personnage féminin.

Corse, années 1990. C’est un vendredi soir comme les autres, dans une chambre d’hôtel, à la nuit tombée. Antonia (Clara-Maria Laredo), la vingtaine, passe un appel à sa mère. La discussion est houleuse. Et pour cause : la jeune fille n’aura finalement pas beaucoup de temps à consacrer à ses parents le lendemain. Le matin venu, elle enchaîne un shooting de mariage et une soirée avec un garçon. Elle en rentre tout sourire. Quelques heures plus tard, elle prend la route. Au volant de sa voiture, elle file à toute allure. La musique se fait de plus en plus forte, presque assourdissante. Soudain, le véhicule sort de la route et vient s’encastrer dans un muret. Antonia est morte. Sa famille et ses amis la pleurent. Chacun cherche à comprendre ce qui a conduit la jeune femme à prendre cette issue tragique. Il reste ses centaines de photos, symbole d’une passion dévorante qui l’animait depuis l’enfance. Les clichés se mêlent aux souvenirs de son entourage et, petit à petit, le scénario se déroule et l’histoire d’Antonia se tisse par l’image.

À son image, Thierry de Peretti
© Pyramide Distribution

Routine mortifère

Pour retracer le fil, il faut retourner quelques années en arrière. Souhaitant progresser par l’expérience, Antonia débute alors comme photographe pour Corse-Matin. Au sein de ce journal local qui reste dans les clous, la jeune femme s’ennuie ferme. Entre les reportages sur les faits divers, les chiens écrasés ou la fête des voisins, rien n’a vraiment de sens pour elle. En réalité, c’est son amour pour Simon (Marc Antonu Mozziconacci) et l’engagement de ce dernier dans les rangs du Front de Libération Nationale Corse (FLNC) qui vivifient profondément son quotidien. Dans un premier temps, Antonia vit en grande partie à travers son petit ami et ses idéaux. Jour après jour, elle glisse sur une pente vertigineuse. Si elle continue, sa vie consistera en un écoulement d’années monotones. Des décennies passées à préparer le café, s’occuper des enfants et attendre que le héros sorte de prison, pour y retourner quelques mois plus tard.

Le pouvoir de l’affirmation

Réaliste, Antonia prend conscience de la situation. Malgré les mises en garde et reproches de ses parents et patron, elle pose ses propres choix. Peu à peu, elle s’engage à travers sa photographie. Son appareil toujours en main, elle met de plus en plus de sens derrière l’image qu’elle capture. Elle qui, aux dires de son entourage, s’apprêtait à devenir « la femme de Simon », elle se révèle comme Antonia.

Après avoir enfin rompu avec Simon, elle part en Yougoslavie couvrir les remous de la guerre, indépendamment de sa rédaction. Elle rentre ensuite en Corse, où elle photographie des événements décisifs de la lutte. Antonia s’affirme. Elle devient davantage maîtresse de ses actes, et se rend compte de la sérénité et de la confiance que cela lui procure. Avec force et répartie, elle se construit sa propre identité. Plus que le parcours d’une militante, c’est la prise de pouvoir d’une femme sur sa condition que le film met en valeur.

À travers À son image, Thierry de Peretti ne se cache pas de sa proximité personnelle et émotionnelle avec son scénario et ses personnages. Son long métrage reflète une préparation pointilleuse, qui s’illustre à l’écran par un sens de la nuance subtil et plus qu’approprié. Loin d’un manichéisme simpliste, le cinéaste élève le débat. Avec finesse, il laisse la part belle au regard d’une femme qui, bien que fictive, porte la voix de ces nombreuses oubliées de la lutte.

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