LITTÉRATURE

« Lettres sur la lumière » – Méditations photographiques

© Paolo Roversi

C’est une correspondance à laquelle nous convient les Lettres sur la lumière. Le photographe Paolo Roversi et le philosophe Emanuele Coccia y questionnent la photographie, la saisie de la vie pour la démultiplier et d’autres choses encore. 

Les Lettres sur la lumière paraissent aux éditions Gallimard alors que le Palais Galliera consacre une exposition monographique au photographe de mode, Paolo Roversi, jusqu’au 14 juillet 2024. Ce livre est une méditation à deux voix. Il emprunte des chemins poétiques et philosophiques pour penser la lumière. Doublement préfacé par Erri de Luca et Chiara Bardelli-Nonino, il est illustré avec des œuvres du photographe.

Paolo Roversi et Emanuele Coccia cultivent un lien particulier avec la mode. Paolo Roversi a photographié nombre de mannequins et travaillé pour des stylistes reconnus. Emanuele Coccia, philosophe, aborde la mode comme un des « laboratoires » de notre contemporanéité. De 2020 à juin 2023, les deux hommes s’écrivent. Que se disent-il ? Ils échangent à propos de, et baignés dans, la lumière. Ils pensent sa nature photographique, son aspect physique et psychologique.

J’ai pensé à toutes les photographies que des milliards de personnes prennent en ce moment, dans tous les coins du monde, dans les villes et les villages, chez eux ou à l’extérieur, à la montagne, sur une plage, au bord d’un lac, dans un champ, entre amis ou en famille, pendant une guerre, dans un théâtre, sur un terrain de jeu. (…) Je me suis dit qu’ils sont, à leur manière, une armée qui médite le monde. Je me suis alors demandé si Instagram, Facebook, toutes les immenses archives à ciel ouvert où nous passons notre temps à poster à contempler des photographies ne seraient pas rien d’autre que des tapis mystiques pour une prière planétaire, des temples où nous pratiquons une sorte d’exercice spirituel moderne.

Emanuele Coccia – Lettres sur la lumière

Carpe lucem, cueillir la lumière

« Si le mot photographie signifie écriture ou dessin de la lumière, qui est plus photographe que le soleil ? » écrit Paolo Roversi à Emanuele Coccia. Dans cette correspondance, ils échangent sur des aspects concrets et techniques de l’outil photographique. Ils réfléchissent à la lumière comme condition nécessaire du vivant. Ils tissent une pensée de la photographie. Celle-ci est à la fois une expansion des possibilités de notre âme et le parangon de notre lien à l’Univers. En mettant en regard le photographe et le modèle, le Soleil et la Terre, soi et le monde, la photographie « intensifie » notre expérience. Elle permet des ponts entre les êtres, entre les règnes, entre les planètes.

Paolo Roversi réfléchit aussi à sa propre pratique artistique.  Il voit dans toute photographie, un portrait, qui capte une double lumière. Cette lumière conjugue la lumière réelle – éclairage singulier de la scène – et la lumière intérieure – aura qui émane du modèle. Avec précision, il décrit la complicité créée avec ses modèles  ; parle de son regret de l’arrêt de la production des films instantanés Polaroïds  ; médite sur la disparition ; en appelle à une éducation aux images et raconte ses premières prises photographiques virtuelles.

Enfant, je jouais à fermer et rouvrir les yeux : faire disparaître et réapparaître le monde à loisir. (…) Parfois, le soir, je faisais semblant de dormir, puis je rouvrais brusquement les yeux, espérant surprendre un fantôme, un ange, une fée à mon chevet. (…) En y repensant, il est facile d’interpréter ces jeux de jeunesse comme une prédestination à la photographie, en les comparant à l’ouverture et à la fermeture des diaphragmes et des obturateurs.

Paolo Roversi – Lettres sur la lumière

La forme épistolaire sert le propos entre le photographe et le philosophe. Elle donne l’espace à chacun pour développer ses idées en les laissant se modifier au contact de celles de l’autre. Tour à tour, ils envisagent la photographie à rebours d’une conception passéiste et superficielle. Ils font de la photographie une pratique dynamique. Une pratique qui court-circuite les frontières. Une pratique capable de faire, d’un instant capté, la promesse continuée d’un présent à réactualiser, à partager, à diffuser.

Zigzaguant d’une pensée à l’autre, Lettres sur la lumière renouvelle certaines images et théories de la photographie. Ces pistes, joyeuses et mêlées, font de ce médium une navette entre le matériel et le spirituel, le présent et le passé, le vêtement et l’image.

Lettres sur la lumière, Paolo Roversi et Emanuele Coccia, éditions Gallimard, 30euros.

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