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Rencontre avec Rodolphe Burger : « J’essaie d’avancer vers une forme qui intègre l’image »

Rodolphe Burger ©Jérémy Kergourlay
Rodolphe Burger ©Jérémy Kergourlay

En attendant la parution d’un nouvel album solo, Rodolphe Burger sillonne les routes avec ses multiples projets. Nous l’avons rencontré à Cancale pour une proposition sonore qui pioche dans l’ensemble de sa discographie.

Après avoir connu un certain succès avec son groupe Kat Onoma, Rodolphe Burger a travaillé avec Françoise Hardy et Alain Bashung avant de naviguer en solo. Ce qui impressionne chez lui, c’est sa capacité à attirer les artistes les plus intéressants, qu’ils proviennent du cinéma ou de la musique. Autour de ses guitares, le mélange des genres s’opère avec une grande élégance. Dernièrement, il collabore avec Sofiane Saïdi et Mehdi Haddab pour le projet Mademoiselle. Par intermittence, il propose quelques concerts en solitaire comme celui joué à l’Amérance, une salle récente basée à Cancale.

Rodolphe Burger descend les marches de l’hôtel dans une tenue qui rappelle les motifs de la Black Lodge de Twin Peaks. La voix est grave, le sourire malicieux. On a peu de temps pour aborder une discographie extrêmement riche. Le temps d’une bière et le spectacle démarre.

Avant de plonger dans ton univers sonore, tu présentes ce soir un concert en solo à l’Amérance. Peux-tu nous en dire plus  ?

Comme son nom l’indique, je suis donc seul même si je suis accompagné par mon ingénieur du son qui s’appelle Léo. J’aime bien qu’il me retrouve avec sa basse à la fin du concert. C’est un concert où je n’ai pas un programme particulièrement défini à l’avance. Je fais un peu au feeling, je plonge dans mon répertoire selon l’ambiance de la soirée. Je propose des morceaux qui sont parfois anciens, aidé par mon ordinateur.

Est-ce que tu mélanges les matières en intégrant un écran derrière toi, par exemple  ?

Non, ce sera pour mon prochain album qui s’intitule Avalanche. Pour la première fois, j’intégrerai des images pour le live.

En parallèle, tu tournes avec Sofiane Saïdi et Mehdi Haddab pour accompagner l’album Mademoiselle. C’est une œuvre très belle, où les synthés et guitares viennent se mêler à des sonorités orientales. Il y a toujours des fantômes qui trainent dans tes disques. Là, il s’agit de Rachid Taha. Peux-tu nous parler de ton travail avec lui  ?

C’est une vieille amitié qui nous lie avec Rachid. Nous nous sommes rencontrés dans les années 1990, à Paris. Il est venu à un concert de Kat Onoma, au Bataclan. On avait un manager commun qui s’appelait Bernard Meyet et c’est lui qui a facilité la rencontre. J’ai formé un groupe avec lui, le Couscous Clan, qui devait rentrer au studio au moment où il est décédé. Quinze jours avant sa mort, on jouait en groupe à Marseille et quand on s’est quittés le soir, il m’a dit ceci : « J’ai hâte d’aller en studio ». D’une certaine manière, le projet avec Sofiane et Mehdi est la suite de cette aventure même si Sofiane a un chant bien différent qui provient du raï avec une culture électronique. L’idée de tenter une chose à trois a donné lieu à un concert incroyable qui a entraîné le disque Mademoiselle.

Je parlais des fantômes, il y en a un très beau qui vient hanter le disque Environs, c’est celui de Christophe. Tu reprends avec lui une chanson de Kat Onoma intitulée « La Chambre  ». Je préfère même la version alternative disponible sur internet, la fragilité dans la voix de Christophe ressort davantage. Comment s’est opérée la rencontre avec le beau bizarre  ?

Christophe, c’est quelqu’un que j’avais invité à plusieurs reprises dans mes concerts. Au Trianon, j’ai pensé à lui pour « La Chambre » qu’il surnommait « La Petite Pomme ». Il aimait beaucoup le morceau et il est venu au Trianon pour les balances, avec son harmonica dans la poche. C’était étonnant parce qu’il a essayé plusieurs choses lors des répétitions et j’étais vraiment curieux d’entendre ce texte chanté par lui. Au moment du concert, il a encore proposé quelque chose de nouveau.

Tu as repris « La Man » sur scène avec lui. L’autotune déraille avant de lancer le morceau. Puis, le synthétiseur de Christophe se lance sur ce beau titre revitalisé par l’électronique et qui conserve des sonorités orientales. Il y a là en germe une matière sonore que l’on retrouve dans votre album Mademoiselle.

C’est un texte sublime de Marie Möör et j’essayais de suivre Christophe dans son trip. Il a toujours considéré que sa voix était un instrument et l’usage des technologies était intéressant chez lui. C’est tout à fait logique qu’il se soit tourné vers l’autotune. Outil que l’on peut retrouver dans le raï justement. Il y en a un petit peu dans l’album Mademoiselle mais je ne l’ai pas utilisé personnellement sauf dans mon prochain album, dans un court passage qui apparaît comme un clin d’œil.

Si chaque album est différent, on retrouve souvent les mêmes collaborateurs. Je pense notamment à Olivier Cadiot. Quand vous composez, comment se déroule les phases créatives  ?

Il arrive que je vole des trucs à mes amis écrivains (rires). Je vais chercher dans leurs textes des mots, des fragments. Tout dans un texte ne peut pas faire chanson. Je ne fais pas de la poésie en musique, c’est autre chose. J’adore l’écriture d’Olivier et il est parfois très surpris de mon utilisation de ses textes. Sinon, je peux parfois commander des choses précises avec un faux texte, issu par exemple d’une chanson de Chuck Berry. « Cheval-mouvement » est une chanson que l’on a produite avec Olivier et je me rappelle qu’il m’avait envoyé un fax de quinze pages. À moi ensuite de me débrouiller avec toute cette matière.

Je crois qu’il y a chez toi, comme chez Alain Bashung ou Bertrand Belin, une volonté de mettre en musique ce qu’il se passe dans notre tête. C’est un exercice difficile puisqu’il faut allier la concision des textes et le rythme de la musique. Quel lien peux-tu faire entre ton ancien métier d’enseignant en philosophie et l’activité que tu pratiques aujourd’hui  ?

Dans la musique, il y a des idées mais qui ne s’expriment pas forcément par les mots mais par des sons avec des émotions et des sensations. Pour moi, le texte et la musique viennent se mêler pour produire un certain effet. Ce n’est pas un effet réellement intellectuel au sens où je n’ai jamais cherché à insérer des concepts. Ce n’est pas de la philosophie appliquée en musique. On arrive à la pensée dans la musique sans recourir aux concepts et aux discours. On transmet donc quelque chose qui serait très difficile de conceptualiser, justement, par des mots.

Sur scène, comme en studio, on aperçoit l’ombre du cinéma. C’est un dispositif en arrière-plan de la scène, ce sont les chansons comme des courts-métrages, ce sont vos collaborations avec les meilleurs cinéastes indépendants en activité (Rabah Ameur-Zaïmeche, Nadège Trebal). Qu’est-ce qui te plait dans ce mélange des matières  ?

Les expériences sont totalement différentes entre le travail de Nadège et celui de Rabah. Pour ce dernier, c’était sur le tournage de Bled Number One où je suis allé en Algérie pour tourner avec lui. Il voulait que je tourne à quatre heures du matin. Son équipe était épuisée et je me retrouve à jouer dans une vallée maculée. Je ne pensais pas que cette séquence allait clore son film.

Avec Nadège, on a bossé ensemble au studio. J’avais déjà réalisé quelques musiques pour elle dans des projets documentaires. J’aime beaucoup son travail et je me mets totalement au service de sa vision. C’est ce qui peut me plaire par ailleurs dans les ciné-concerts. Mon prochain album, je la qualifie de ciné-album car chaque morceau a donné lieu à un montage d’images qui proviennent du cinéma.

On parlait de Christophe tout à l’heure et j’ai l’impression de retrouver la même réticence chez toi concernant les clips. Si tu proposes une vidéo pour une chanson, c’est souvent une captation live ou alors une peinture animée comme pour « Sahara Malakoff ».

Longtemps, avec Kat Otonoma notamment, on avait effectivement une certaine réticence face aux clips. il faut dire que, dans les années 1990, le clip portait une esthétique publicitaire. Il fallait que l’argent se voit à l’image. C’est presque parce qu’on avait trop de respect pour l’image qu’on se refusait à cette pratique du clip. J’ai toujours jalousé les groupes anglais qui avaient une connexion plus forte avec les arts plastiques. Dans le rock indépendant, il y avait une belle alchimie entre les plasticiens et les musiciens. On peut aussi trouver des exemples en France comme Jean-Baptiste Modino, même s’il vient de la publicité.

Chaque album apporte de nouvelles sonorités. Les frontières sont floues entre les genres musicaux. Qu’est-ce qui te stimule aujourd’hui comme instrument ou comme univers sonore  ?

Avec Kat Onoma, nous étions très concentrés sur le son avec une précision extrême sur la production. Je suis assez fier des disques réalisés. En solo, on peut expérimenter davantage. Quand j’ai fait l’album Meteor Show, j’ai eu l’impression d’avoirs mis mes sons dans de l’acide chloridrique. On les a détruit pour en faire quelque chose de nouveau. J’aime beaucoup me perdre du côté des machines. Cela intensifie ma stimulation créative.

En dehors de l’album solo, quels sont tes projets pour la suite  ?

Le projet solo est prévu pour automne 2024 mais je le présente déjà en live. J’essaie d’avancer vers une forme qui intègre l’image. Le disque est terminé mais sa construction sur scène est encore en chantier.

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