Le vendredi 22 mars, Makoto San a levé le voile sur son tout premier album, Moso, un opus techno minimaliste et envoûtant aux inspirations asiatiques. Après deux EPs très remarqués, et de nombreux singles, Moso – du nom d’une variété de bambou – apparaît comme une œuvre multifacette, reflet de l’audace et de la singularité de ce groupe masqué.
Édité chez Yotanka Records, composé de dix pistes, cet album résonne de la marque distinctive des percussions en bambou couplées à diverses exploitations électroniques. Il tisse une toile sonore où tradition et modernité s’entremêlent avec une finesse exquise. Les influences musicales du groupe vont de la cumbia minimale des ruelles d’Amérique latine avec « Wekomundo » aux notes jazzées évoquant les montagnes d’Arménie avec la collaboration du pianiste virtuose Yessaï Karapetian dans « Saikoto ». Makoto San explore également le hip-hop africain avec « Temps Volé », en featuring avec Uzi Freyja, avant de plonger dans l’effervescence des clubs techno de Berlin avec des morceaux tels que « Otaké » et « Boumbo ».
Nourris par la French Touch et le Club Dorothée et guidés par leur goût pour les cultures asiatiques, Makoto San poursuit sa quête de créer une musique inédite, à la croisée des cultures et des époques, où chaque note résonne comme une invitation à l’évasion et à la découverte.
Comment est-ce que l’idée de marier les percussions japonaises traditionnelles avec la musique électro-occidentale vous est venue ?
Tout a vraiment commencé quand on s’est retrouvé tous les quatre, et qu’on a découvert ces instruments en bambou. Dès qu’on les a entendu, on a eu envie de les amener vers la musique électronique. Les sonorités qu’ils produisaient nous rappelaient vraiment celles des synthétiseurs. Et puis, comme on était déjà dans la percussion et que c’est un élément essentiel de la musique électronique, on s’est dit que c’était une super idée. C’est vraiment de cette rencontre avec ces bambous que Makoto San est né, nourri aussi par notre expérience dans l’électronique.
Quel est votre processus créatif derrière la fabrication et la réinterprétation de ces percussions ?
Ces instruments sont en grande majorité originaires d’Asie ou d’Indonésie. Historiquement, dans à peu près chaque pays où pousse du bambou, on a fait des instruments avec. Nous, on cherche à réinterpréter ces techniques ancestrales de fabrication pour produire nos propres percussions. Donc, nos instruments sont influencés par des méthodes venant d’Indonésie, du Japon, voire même d’Amérique du Sud. C’est vraiment une fusion de différentes traditions pour créer quelque chose de nouveau.
Comment avez-vous appris à fabriquer ces instruments ?
Nous avons un parcours musical assez varié. La percussion permet d’être très polyvalent, donc on sait jouer autant de la musique contemporaine, que de la musique classique, ou de la musique du monde. C’est à travers notre expérience musicale que nous avons découvert les instruments traditionnels. Ensuite, nous nous sommes initiés à la lutherie. On a commencé à fabriquer nos propres instruments en bambou, parce qu’on trouvait que cela résonnait avec notre culture électronique. Nos techniques de fabrication sont assez rudimentaires, nos instruments ne sont pas de haute lutherie comme des violons ou des violoncelles. Ils ont un aspect assez archaïque, ce qui nous plaît. C’est à la fois artisanal, simple, mais avec une pureté sonore, particulièrement grâce au bambou.
Nous avons travaillé sur ces instruments pendant un certain temps. Les premiers n’étaient pas très réussis, mais à force de réessayer, on a amélioré nos techniques. Il y a aussi certains instruments que nous n’avons pas pu fabriquer nous-mêmes, comme les métallophones ou certains tambours japonais très précis, et qui ont été achetés. Mais la plupart des instruments ont été conçus et fabriqués par nous. On a voulu leur donner notre propre touche, afin que tout l’instrumentarium reflète la scénographie du projet quand nous sommes sur scène. Sur scène, on n’a quasiment rien qui est de l’ordre de la décoration. Tous les éléments présents sont utilisés pour jouer.
Est-ce que tous les instruments que vous utilisez sont constants, ou est-ce qu’il y en a que vous abandonnez au fur et à mesure de vos projets musicaux ou des lieux où vous jouez ? Y a-t-il encore des instruments en cours de fabrication ?
Oui, notre idée c’est d’en créer et d’en introduire de nouveaux et peut-être même d’explorer d’autres cultures. Historiquement, notre projet s’est surtout centré vers l’Asie et le bambou. Mais notre démarche fondamentale est de marier les percussions acoustiques avec la musique électronique. Le point de départ de notre projet reste l’Asie et le Japon, mais notre nouvel album, Moso, commence à s’ouvrir à d’autres esthétiques et continents. Donc, on est en train de réfléchir à de nouveaux instruments et à de nouveaux sons que nous pourrions intégrer. On est constamment en recherche dans ce domaine.
Quelles sont les nouvelles sources d’inspiration, autres que le Japon, que l’on retrouve dans votre dernier album ?
L’Afrique, principalement. La musique traditionnelle trouve souvent ses racines en Afrique, avant d’être exportée notamment en Amérique du Sud. Il y a notamment un morceau intitulé « Wekomundo », le troisième de l’album, qui s’inspire fortement de la culture africaine. C’est un morceau qui a des accents latins avec une touche de cumbia. Nous avons un peu posé nos valises là-bas. Ensuite, l’album comprend des sonorités pop, techno, et trans. Mais le fil conducteur de cet album reste notre instrumentarium, le son du bambou. Quand on compose, on essaye au maximum de partir de ce son brut pour ensuite venir l’enrober d’électronique. Et non pas l’inverse. Donc, le Japon c’est l’origine du projet, c’est toute l’histoire que l’on raconte autour de Makoto San. Mais la musique elle-même finit par s’en détacher rapidement.
Votre projet artistique tourne beaucoup autour de l’idée de l’incarnation de personnages, notamment avec l’utilisation des masques. Des personnages qui n’ont pas d’âge, qui n’ont pas de nationalité. Pourquoi est-ce que vous avez choisi cette approche-là ? Comment cela influence-t-il vos performances sur scène ?
Être masqué permet d’intégrer un personnage. Ce qu’on aime bien dans ces masques, c’est qu’ils évoquent la culture manga, qui reflète notre perception du Japon. On ne revendique pas d’être des esthètes. En tant que Français, notre compréhension de l’Asie, particulièrement du Japon, est filtrée par notre propre culture occidentale. Ensuite, les masques font aussi référence à la culture française du masque et de l’épée. Ce sont des masques d”escrime en fait, on s’imagine en genre de samouraïs français.
Pour la petite histoire, on a décidé d’être masqués parce que c’est une sorte d’hommage, un peu irrévérencieux, au personnage fictif Makoto San. Et qui fait référence à la culture asiatique. Cette notion de l’élève qui trahit le maître, l’élève qui tue le maître. On se rend compte que notre maître Makoto San nous a transmis son amour pour la musique acoustique dans sa forme la plus pure. Et nous, on l’a trahi. En la transformant en musique électronique. Du coup, on s’est retrouvés dans une sorte de relation assez ambivalente entre fierté, audace et honte et trahison. C’est pour ça qu’on a décidé d’assumer cette trahison masquée.
Puis musicalement, notre son s’apparente à faire rentrer le public dans un état de transe, et porter des masques permet de s’effacer derrière la musique justement. Ils ont une étrangeté qui permet au public une forme d’évasion, de projection. Dans notre direction artistique on essaye de créer cette atmosphère à la fois étrange, rigolote et un brin inquiétante, assez ambiguë.
Dans votre dernier album, vous parlez de réconcilier les hommes et les machines dans votre musique. Est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus sur cette idée et comment elle se reflète dans votre travail ?
Absolument ! Pour nous, la musique électronique peut sembler un peu mystérieuse parfois. Surtout pour ceux qui ne sont pas familiers avec le processus derrière les platines et les machines. Mais la percussion, c’est quelque chose de simple et universel. On frappe, et ça fait du son, tout le monde peut comprendre. Alors, notre objectif, c’est de rapprocher ces deux mondes. D’un côté, on s’inspire des rythmes et des textures de la musique électronique dans notre jeu de percussions. C’est ce qui rend cette musique plus accessible et tangible pour tout le monde.
D’un autre côté, on veut donner de la vie à la musique électronique et la laisser influencer notre façon de jouer. On adopte une approche assez radicale, presque mécanique dans notre jeu, pour créer une sorte de fusion entre l’humain et la machine, où chacun influence l’autre de manière significative. C’est cette dynamique entre l’homme et la machine que l’on explore dans notre travail au sein de Makoto San.
Comment imaginez-vous ce que pourrait ressentir quelqu’un qui découvre Moso pour la première fois ?
Comme un grand voyage. Un voyage à travers les différentes cultures qui sont justement abordées dans cet album. Et puis un voyage sensoriel aussi. Il y a beaucoup de dynamiques différentes dans l’album, il est très nuancé. Avec des morceaux comme « Otaké par exemple, qui sont assez techno avec des up-tempo, et puis des morceaux beaucoup plus calmes comme « Kaioken », qui pourrait être une sorte de comptine électro.
Ça fait combien de temps là que vous êtes dessus ?
Ça fait un an. Qu’on l’a bossé, retouché, remixé, masterisé. Et puis après, sortir un album c’est une stratégie bien ficelée sur six mois à l’avance avec tous nos partenaires. Au moment où l’album est sorti, nous on était déjà à l’étape d’après. L’une de nos dernières actualités, ça a été de faire un nouveau live. Une espèce d’expérience qui commence par une dimension un peu mystique, qui part d’un côté très chaleureux. Très soleil, rythmique, presque pop, pour finir vraiment sur un truc très trans, très berlinois, très radical. Et en fait, ce live, c’est l’expérience de l’album, et c’est ce qu’on cherche à créer lors des concerts.
Les masques et l’anonymat d’ailleurs, c’est une vraie question. Si un jour on doit faire de la télé, on ne montrera pas nos visages. C’est sûr. On voit aussi que les gens apprécient cette dimension mystérieuse. En réalité, peu de personne veulent savoir ce qui se cache derrière les masques, ils comprennent leur rôle. Et justement, à l’époque des réseaux sociaux où tout le monde fait des selfies en permanence, arriver à remystifier la musique comme pouvait le faire Daft Punk, c’est aussi important pour nous. Parce que ça faisait partie aussi de ce qu’on aimait à l’époque quand on a découvert la musique. Il y avait une certaine distance avec l’artiste qui rendait l’expérience plus mystique. Pour nous, il s’agit de nous remettre au service de la musique.
Comment avez-vous pensé la setlist de votre dernier album ?
On conçoit la setlist de notre album de la même manière que nous planifions nos concerts. L’objectif est de guider le public à travers un voyage sonore, de l’amener vers des horizons qu’il n’aurait peut-être pas explorés autrement. C’est un peu comme une montée en puissance, une progression dynamique qui culmine vers des morceaux techno plus intenses, plus énergiques. On ne cherche pas seulement à s’adresser à un public initié à la musique électronique. On veut briser les barrières, élargir notre audience, et toucher des personnes qui pourraient être attirées par différents aspects de notre projet.
Certains peuvent être séduits par nos sons sans même savoir que nous utilisons des bambous pour créer notre musique. C’est quelque chose de formidable ! D’autres seront plus attachés à notre démarche artistique, à notre façon de repenser les frontières entre les genres musicaux. Notre projet peut être abordé de différentes manières, et c’est ce qui le rend accessible à un large public. Il y a plusieurs portes d’entrée vers notre univers musical, et chacun peut y trouver quelque chose qui lui parle.
Et il me semble que vous avez collaboré avec deux personnes, vous avez deux morceaux à deux feats. Est-ce que vous pouvez m’en parler un peu ?
En fait, on a lancé un format qui s’appelle les Makoto San Factory. Le principe, c’est d’inviter un artiste qui nous inspire dans notre atelier, à la Friche de la Belle de Mai à Marseille, et de composer un titre ensemble. C’est une façon pour nous de créer des rencontres humaines et musicales enrichissantes.
Pour le premier feat, on a collaboré avec Uzi Freya, une rappeuse avec une énergie incroyable. C’était une rencontre très spéciale pour nous. On a créé et le morceau « Temps Volé » qui mêle nos deux univers, avec des éléments de hip-hop et le son acoustique du bambou. On a aussi bossé avec Teho, un producteur DJ de la région, avec qui on a exploré une esthétique plus électro-mélodique. Sur le morceau « Saïkoto », nous avons eu l’opportunité de travailler avec Yessaï Karapetian, un pianiste de jazz très talentueux. Les trois sont complètement différents, mais c’est ça aussi l’objectif des Makoto San Factory. De changer d’esthétique musicale et de s’ouvrir à un univers très large. Tous les live ne sont pas destinés à finir sur un album.
Ces factories, c’est une façon pour nous de rester proches du son brut et de l’immédiateté du live, très importante dans notre approche musicale. On veut vraiment que notre musique soit un reflet de cette variété et de cette ouverture d’esprit. Et puis, l’idée de faire des sessions en plan séquence, sans retouche, c’est tout un processus organique qui nous passionne vraiment.