Pour ses 30 ans de carrière, Clarika revient avec un neuvième album aux sonorités plus électro. C’est la première fois que la chanteuse se lance dans la composition de ses musiques, en plus de l’écriture de ses textes, toujours aussi incisifs et poétiques.
Avec un neuvième album et trente ans de carrière à fêter, cette année 2024 est particulière pour Clarika. La chanteuse s’est lancé un défi pour son nouvel opus, Danse encore : composer elle-même ses chansons. Habituée à écrire ses textes, avec beaucoup de sensibilité et une pointe d’humour, Clarika se découvre une nouvelle facette. D’un essai au clavier à une envie grandissante d’apprendre et de faire elle-même, la voilà compositrice sur dix des douze titres de l’album. Un projet novateur dans sa discographie, dans un style plus épuré et électro.
Cinq ans après ton précédent album, À la lisière, comment t’est venue l’envie de créer Danse encore ?
C’est toujours un peu le même processus quand je sors d’une épopée album, je repars à zéro à chaque fois. Je n’écris pas tellement entre les albums, parce qu’il y a les tournées, c’est une autre énergie. J’ai aussi besoin de revivre des choses entre temps, mes albums sont assez personnels… Je ne sais pas écrire à la chaîne.
Danse encore est arrivé après une période particulière, avec le confinement. Je pense que ça a mis deux ans, entre la conception des chansons et l’album. Il y a toujours un moment assez compliqué pour s’y remettre, et après ça part. Et la nouveauté, c’est que j’ai composé l’album, c’est aussi un autre processus !
Un jour, par accident, j’ai fait une mélodie sur un de mes textes.
Clarika
Justement, la composition, comment ça s’est passé ? C’est ton neuvième album, tu n’avais pas eu cette envie jusque-là ?
Non, jamais. Peut-être par paresse : j’avais la chance de travailler avec des super compositeurs qui faisaient ça très bien, donc je m’étais habituée. Ça m’allait très bien, je faisais les textes. À un moment donné, je me suis mise un peu au clavier. Pas en me disant « je vais composer », mais pour plutôt pour apprendre des chansons. J’ai acheté des petits claviers, j’ai regardé des tutos sur Internet, j’ai acheté des méthodes d’harmonie… Je me suis auto formée.
Et un jour, par accident, j’ai fait une mélodie sur un de mes textes. Je n’avais pas trop confiance, je me disais « tu l’as jamais fait », il y a ce truc de légitimité… Mais je l’ai fait écouter à Jean-Jacques Nyssen – avec qui j’ai beaucoup travaillé et en qui j’ai vraiment confiance – en me disant que peut-être on pourrait retravailler dessus ensemble. Il m’a dit : « Vas-y, c’est chouette ! » Je pensais que j’aurais juste une chanson de l’album sur laquelle j’aurais composé la mélodie mais, de fil en aiguille, ça a libéré un truc et j’en ai écrit une, deux, trois… puis dix.
Qu’est-ce que ça change par rapport au fait d’écrire des textes ?
Comme c’est nouveau, c’est hyper excitant ! Je suis comme une gamine qui écoute les chansons qu’elle a faites elle-même de A à Z. Je pense que je n’ai pas radicalement changé ma manière d’écrire. Après, certaines chansons se sont plus imbriquées dans la création avec la musique. La musique m’a parfois aidée à trouver les mots, alors qu’en général je donne plutôt les textes au compositeur, ils sont aboutis. Je fais rarement des chansons sur les musiques. Donc, c’était un peu différent, et c’était une nouvelle émulation qui était assez agréable à vivre.
L’album s’appelle Danse encore, la danse revient dans plusieurs paroles de chansons… C’est en rapport avec ce que tu évoquais sur la fin du confinement ?
Ce n’était pas conscient. Je pense qu’il y avait une espèce d’enfermement, mais je ne l’ai pas écrit dans cette perspective-là. Pour moi, c’était plus général. C’était plus : « Le monde est dans le K.O. et l’espace d’une nuit, on met le voile sur tout. C’est une parenthèse et on se dit que ça n’existe pas. »
En cherchant le titre de l’album, il n’y avait pas d’évidence qui apparaissait. J’ai demandé à une de mes filles d’y réfléchir aussi, pour voir. Sans se concerter, c’est le premier titre qu’on a sorti toutes les deux. Il y a pas mal de chansons, comme « Salut Luc », « Isadora », où on danse. J’ai su que c’était celui-là !
C’est mon neuvième album, j’ai envie de changer du confort habituel.
Clarika
On sentait déjà un changement avec le précédent album, À la lisière, qui commençait à glisser vers des instrumentations plus électro… Tu voulais sortir de l’acoustique depuis longtemps ?
Ça s’est fait naturellement, avec les compositions que j’ai amenées. Par exemple, « Ce soir je sors » était déjà pré-arrangée, j’avais envie de cette couleur-là. Les autres morceaux se sont construits sur cette esthétique. J’étais aussi dans cette idée de nouveauté, d’aller explorer d’autres choses moins organiques.
C’est une décision qu’on a prise avec Fred Pallem. On a l’habitude de travailler avec plein de musiciens, et là on a fait une petite équipe resserrée pour enregistrer en dehors de Paris. On a passé une dizaine de jours dans un studio du côté de Niort, dans un parc. Faire les choses de cette manière-là, c’était aussi une nouvelle manière d’aborder les titres. Je ne renonce pas définitivement aux instruments acoustiques, mais c’est mon neuvième album, j’ai envie de changer du confort habituel.
Tu as eu des inspirations pour ce nouveau style musical ?
Pas vraiment, je crois que c’est une synthèse. Je n’avais pas de référence particulière. J’écoute plein de choses de manière anarchique. L’habillage est surtout venu de la composition, qui était sur des claviers, assez simple. Fred Pallem était attaché à ça, il ne fallait pas que la technique prenne le dessus. De toute façon, je n’avais pas assez de maîtrise pour ça, mais finalement ça sauve : tu es obligé d’aller à l’essentiel !
Sur scène, comment ça va se passer au niveau des arrangements ?
Ça va se passer… bien, j’espère ! (rit) Sur scène, ce qui est chouette, c’est que tout est possible. On peut tout s’autoriser. L’album étant, entre guillemets, plus électro, on va s’autoriser des choses moins organiques. Mais les musiciens sont tous multi-instrumentistes, donc on va faire un mélange entre des basses un peu plus électro et des sons plus organiques. Ils ont chacun beaucoup de potentiel, donc on maximise !
La chanson, ça peut aussi être ça, un vecteur d’engagement.
Clarika
Il y a une chanson un peu particulière sur l’album : « Ce jour-là », qui parle du massacre des Algériens par les autorités françaises le 17 octobre 1961. Pourquoi avoir choisi ce sujet ?
C’est un crime d’État qui n’est pas encore reconnu comme tel, mais dont on commence quand même à signifier l’existence. Cette histoire m’a toujours touchée. J’ai un ami d’origine algérienne qui, de par son histoire personnelle, m’en parlait souvent. Tous les 17 octobre, il va sur le pont Saint-Michel. Je connaissais bien cet évènement et j’avais envie de faire quelque chose dessus. Je me suis beaucoup documentée pour ça.
La chanson, ça peut être aussi ça, un vecteur d’engagement. Comme avec la chanson « Bien mérité ». On peut dire des choses sociétales, on n’est pas toujours axé sur son nombril. Mais il faut que je me sente légitime pour le faire. J’ai des avis sur tout, comme tout le monde, mais de là à en faire des chansons intéressantes… Il faut trouver le point de vue.
À la fin de l’album, on a la surprise de retrouver Luc, qui était un personnage présent sur ton premier album Ça s’peut pas en 1997…
L’histoire, c’est cette chanson, « Avec Luc », qui existe depuis plus de 25 ans. Luc est un personnage qui m’accompagne de manière virtuelle. C’est une synthèse, un composite d’amis et de relations que j’ai pu avoir. C’est une chanson pour laquelle les gens ont eu un coup de cœur. Donc dans ma tête, maintenant, il existe ce Luc, c’est comme « Patricia ». Comme c’est mes 30 ans de carrière, pour une fois, je regarde en arrière. Je le fais rarement, mais je trouvais ça chouette de me dire : « Qu’est-ce qu’il devient, Luc, aujourd’hui ? »
Les chœurs avec tes proches sur « Ce soir je sors » peuvent faire penser à « Rien de tel » sur l’album Moi en mieux… C’est un petit clin d’œil ?
C’est plus un clin d’œil à tous les gens qui sont dans les chœurs. Ce sont des personnes qui, sur mes 30 ans de carrière, ont compté. Il y a mes tous premiers musiciens de tournée, avec qui j’ai gardé des liens même si on ne travaille plus ensemble, mon premier pianiste, ma première accordéoniste. Il y a aussi des gens avec qui je travaille en ce moment : Maissiat, avec qui j’ai un projet sur Dabadie, ou les choses de nos vies. Il y a aussi La Grande Sophie, mes filles… C’est un petit délire que je me suis fait. (sourit)
Pour ces 30 ans de carrière, comment est-ce que tu vois ton évolution en tant qu’artiste ?
Le bilan, dans ce monde de la musique en pleine mutation, c’est que je vois l’aspect plutôt très positif d’être encore là. Je suis contente d’avoir encore de l’inspiration, parce que c’est la base. À chaque album, on ne sait jamais comment ça va se passer. Et je suis contente d’avoir fidélisé un public ! Je n’ai jamais eu d’énormes tubes, mais c’est pas mal aussi d’avoir fait les choses petit à petit, d’avoir un crédit dans ce métier, d’avoir un petit public qui a grossi, qui se renouvelle… Et ça, c’est plutôt réconfortant, même si rien n’est acquis. Aujourd’hui, il y a beaucoup de jeunisme, mais j’ai la chance d’être là et d’avoir installé quelque chose.
Sur « Ferme les yeux », tu dis : « La vie, je la préfère en chantant » …
J’aime la vie même sans chanter, mais la chanson est un moyen magnifique de dire des choses, les plus tristes et les plus joyeuses. J’aime son côté populaire, dans le bon sens du terme. L’idée que mes chansons vont toucher tous types de gens, qu’elles ne soient pas réservées à un public précis. Je n’aime pas les cases, dans la chanson. Des fois, elle est un peu snob, moi j’aime son côté kitsch !
Clarika sera en concert à la Nouvelle Eve (Paris) le 5 juin 2024, et à la Cigale (Paris) le 26 novembre 2024.