Dans le tumulte de l’industrie musicale contemporaine, émerge parfois une explosion créative aussi jubilatoire qu’inattendue. Sur son dernier album Rouge rose, le duo suisse Barrio Colette conjugue urgence et passion pour un résultat musical percutant. Rencontre.
Mariant avec habileté les influences du grunge et de l’indie pop, la musique piquante de Barrio Colette nous entraîne dans un tourbillon d’émotions. C’est à la fin 2021 que le quatuor, formé de Noémie Griess, Anissa Cadelli, Luca Celetta et Stanley Veuillet, dévoile son premier EP Amour de vivre. Quatre titres où les guitares rugissent, les voix éclatent avec une vigueur sans égale et les cheveux dansent dans l’air – une ode débordante à l’amour de la vie. En mars 2023, transmué en duo, Barrio Colette revient sur le devant de la scène avec son premier long-format, Rouge rose, éclatant de folie. Porté par la complicité entre Noémie et Anissa, cet univers garage, chatoyant et rétro célèbre une amitié à la fois solide et excentrique, oscille entre euphorie, espièglerie et mélancolie.
Est-ce que vous pouvez un peu me raconter l’histoire du groupe ?
Noémie : Tout a commencé lors d’une soirée où j’ai rencontré Anissa. J’ai eu un crush amical, alors je lui ai envoyé un message sur Facebook et nous nous sommes revues dans un café pour discuter. Puis on a fait une liste de rêves. Et dans cette liste de rêves, il y avait un groupe, avoir un van… Et dix ans plus tard, on a fait ce groupe, pendant le Covid. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à faire de la musique ensemble.
Anissa : Ensuite, on a commencé à faire des petits concerts, souvent mêlés à la magie, une autre passion commune. J’avais déjà un autre projet musical et j’ai invité Noémie à se joindre à moi sur scène. Ça a renforcé notre amitié et notre complicité. On a même fait une performance où Noémie jouait un rôle de magicienne pendant qu’on chantait. C’était vraiment le début de quelque chose de spécial.
Comment est-ce que vous faites pour mettre en commun ou créer en commun avec ce que chacune de vous fait à la base ? Qui compose, qui écrit ?
Noémie : Ça dépend. Par exemple, pour notre premier EP, chacune de nous apportait ses idées et ses compositions. Moi, je suis plus axée sur l’écriture des textes, tandis qu’Anissa a souvent des mélodies complètes en tête. Mais on travaille ensemble pour peaufiner chaque chanson et lui donner notre touche personnelle.
Anissa : Exactement ! Puis on a une bande d’amis. Chacun apporte sa propre expérience et sa propre sensibilité dans nos chansons. On y partage nos histoires de vie et nos opinions. Parfois, une simple anecdote peut devenir le point de départ d’une chanson entière, comme « Rouge-Rose ». C’était une petite période de vie où j’avais des problèmes de couple. Et puis Anissa, elle a un peu noté des espèces de petites anecdotes par-ci, par-là. Ça a créé cette chanson qui a été au final un baume au cœur pour moi, pour la suite de ma relation.
Vos chansons abordent beaucoup la notion d’émotions et d’évolution des sentiments. On y retrouve un côté relativiste et sarcastique. Est-ce intentionnel ?
Anissa : Carrément. On voit ça un peu comme une thérapie entre amis. On s’inspire des hauts et des bas de la vie de chacun pour écrire. Nos chansons sont des caresses ou des coups de poings : elles sont parfois réconfortantes, parfois, elles nous confrontent à nos propres faiblesses.
Comment choisissez-vous les titres de vos chansons ?
Anissa : Pour moi, le titre d’une chanson émerge souvent naturellement du thème principal ou du refrain.
Noémie : Parfois, le titre reflète le problème ou la solution évoquée dans la chanson. Souvent, aussi, le titre découle du cœur de la chanson, que ce soit son thème ou son refrain. Comme pour « Pleurer en Public », où le refrain a finalement donné son titre à la chanson. Ça se fait assez spontanément.
Et concernant l’ordre des morceaux sur votre dernier album, comment l’avez-vous organisé ?
Anissa : C’était une décision cruciale, tellement influente pour l’expérience d’écoute. On aime l’idée de créer une progression, comme une histoire musicale. C’est complexe, on essaye plein de choses, mais nous, ce qu’on aime bien, c’est soit commencer par beaucoup de douceur et arriver vers des choses plus violentes, ou créer une sorte de B.O. de la vie.
Noémie : L’ordre des morceaux crée une narration, une ambiance. Au départ, on avait envisagé une structure basée sur nos performances live, mais pour l’album, on a affiné notre réflexion pour offrir une expérience d’écoute plus fluide et cohérente. En concert, on ajuste l’ordre de la set list. On avait remarqué, à un moment, que c’était cool de commencer un peu punchy. Puis au final, c’était un peu abrupt pour les gens. On s’est dit qu’il fallait que ce soit plus doux, un peu comme un rencard. D’abord, tu apprends à connaître la personne un peu doucement. Tu jauges un peu où elle se situe. Puis, petit à petit, tu peux un peu plus donner ta personnalité, être un peu plus fougueuse.
Anissa : Et notre musique a comme plusieurs facettes. Un aspect très pop, glamour, un autre un peu plus ghetto garage et un troisième qui est plus rock. Est-ce qu’on choisit des moments rock, des moments pop ? Est-ce qu’on va mettre une pop pour après mettre un garage ? En général, on arrive assez vite à se rendre compte comment commencer, même si c’est une réflexion continue.
Qu’est-ce qui vous a fait plonger dans cet univers, dans ce patchwork des années 70-80, à la fois français, américain, espagnol, entre pop velours, punk grunge et rock californien ?
Anissa : C’est notre premier EP qui a posé les bases de cet univers. On avait un groupe composé de Noémie, de Nicolas Scolari à la guitare, et de moi. Et en fait, ce que tu viens de dire, ce sont nos trois personnalités. Noémie, c’est la pop glamour velours. Moi, c’est le rock un peu grunge et le punk grunge. Et Nicolas, c’était l’aspect californien. On compose avec nos trois personnalités pour créer un son unique et propre à nous, qui sort de nos tripes, dans une sorte d’urgence.
Noémie : On est multiples et changeants. Mais on est très sensible au changement d’humeur, des saisons… Et notre manière de créer, d’écrire, est assez spontanée.
Avant de faire de la musique, je viens du théâtre, et dans Barrio Colette, je retrouve cet élan qui sort sur le moment, comme s’il fallait lâcher un truc à ce moment-là. Et je trouve que c’est ça aussi qui est beau chez Barrio. C’est que ça devient logique parce que c’est spontané, que ça vient du cœur.
Vous avez parlé de l’importance du côté théâtral dans vos performances live. Comment cela se traduit-il concrètement sur scène ?
Noémie : J’ai dû développer une personnalité pour la scène, être simplement moi-même ne m’intéressait pas vraiment. Je voulais jouer avec différents traits de caractère. Je suis encore en train de découvrir qui je suis en tant que chanteuse et le théâtre m’aide dans cette recherche, en me permettant de mieux me comprendre à travers différents rôles.
Anissa : Pour ma part, je joue simplement comme je suis. J’ai plus de difficulté à jouer un personnage. Dans Barrio Colette, il y a un aspect un peu burlesque et théâtral. Certains éléments sont mis en scène, d’autres sont totalement naturels, et parfois, il y a des imprévus que l’on va chercher à étirer. C’est aussi une question de direction artistique : on s’inspire de plein de choses : le cinéma, les archives, nos icônes préférées, les vieux magazines, etc. Avec l’envie de créer un patchwork original.
Vos influences variées semblent enrichir votre son et votre style. Comment ces différentes inspirations se manifestent dans votre musique ?
Anissa : On a le premier processus, on grappille et puis on a toutes nos influences. Après, quand il est question de faire un clip, de faire un nouvel album, de faire des nouvelles créations, là, on met tout en commun.
Noémie : Anissa, elle est comme une archiviste des temps modernes, elle trouve des infos un peu partout, les retient très vite pour les synthétiser ensuite. C’est un peu Anissa qui finit par tout réunir.
Anissa : Et puis, être un groupe c’est faire de la musique, mais on n’invente rien de nouveau. Il y a eu tous les groupes avant nous et il y en aura d’autres après. Nous, on ne fait que redonner toutes nos inspirations et en refaire un monde personnel. On ne ferait pas de la musique si on n’avait pas des icônes.
Comment est-ce que vous vous situez dans cette nouvelle manière de chanter le français, comme le font La Femme et Les Clopes par exemple, qui ont des sonorités similaires aux vôtres ?
Noémie : C’est essentiellement dans la manière d’interpréter le français, de façon à mettre le texte en avant plutôt que le lyrisme vocal. Il y a du lyrisme vocal, mais je ne vais pas vibrer avec ma voix, je pense que c’est là où nous nous rejoignons.
Anissa : Exactement. Si on revient à la racine du nom Barrio Colette, c’est déjà suggérer cette combinaison entre la vieille France et le modernisme. Colette, la vieille France, la vieille voix française des grandes chanteuses françaises et en même temps le barrio, le truc plus moderne, plus ghetto. C’est trouver un moyen de rendre le français moderne, cette langue magnifique mais parfois complexe à manier en musique.
Et où en êtes-vous dans vos projets musicaux depuis que l’album est sorti en mars 2023 ?
Anissa : On est en pleine production. On compose de nouvelles chansons, on fait des démos, on réfléchit à la direction artistique du prochain projet. On envisage plutôt un EP, avec quatre ou cinq chansons, d’ici la fin de l’été. Mais il faut leur donner une vraie essence, une vie propre. On veut rester fidèles à notre style de pop un peu bizarre, mais aussi prendre le temps de bien peaufiner chaque morceau. On a quand même sorti un album, c’est très dense. Mais j’ai l’impression qu’en 2024, sortir des albums peut sembler un peu dépassé, presque ringard… C’est compliqué.
Pourquoi tu dis que tu trouves ça plus compliqué, de sortir des albums en 2024 ?
Anissa : J’ai l’impression que les gens ont de moins en moins de temps et d’attention à consacrer à la musique. On est dans une ère où les formats courts, comme les singles et les EP, sont plus faciles à digérer que des albums complets. Les plateformes comme TikTok et les réseaux sociaux dictent un peu le rythme de la consommation musicale. On aime sortir des albums, mais on doit aussi se poser des questions sur ce qui a du sens pour notre musique et pour notre public.
Se projeter dans des formats plus courts, à savoir des EP et des singles, quand on a déjà fait un album, ça ne vous fait pas vous sentir trop à l’étroit ? À quel point ça compte, cette réduction du temps disponible et de la longueur de format ?
Anissa : Avec Barrio Colette, on s’inscrit un peu dans les deux. On a sorti notre premier projet sous forme d’un EP et je pense que ça nous convient bien aussi, même si c’est dommage de sentir qu’on doit de plus en plus se contraindre à des formats courts.
Noémi : Mais oui, il y a une sorte de misère culturelle et de temps d’attention diminué qui s’installe et qui fait qu’en tant qu’artiste, ça me rend triste de me dire que sortir un album ce n’est pas assez. Mais en même temps, je pense qu’on arrive à maintenir cet équilibre entre une sorte de nostalgie à la vieille française et une touche de modernité. Ça nous permet de naviguer à travers ces nouveaux formats sans compromettre notre créativité, tu vois. On doit juste l’aborder différemment. Tout ça en gardant notre intégrité et notre fierté dans notre travail, mais en se rappelant aussi qui est notre public. On a quand même un mélange de fans, des vieux qui nous adorent, mais aussi des jeunes.
Anissa : Exactement. Et puis, je pense qu’on va s’amuser avec ces nouveaux formats. Ça va nous donner une certaine liberté. Un album, c’est un peu contraignant, alors peut-être que ces petits formats nous ouvriront d’autres portes, d’autres manières d’entrer en connexion avec le public.
En tant qu’auditrices, quel genre de musique écoutez-vous et quelle place la musique occupe-t-elle dans votre vie ?
Noémie : Je suis assez monomaniaque dans mes choix musicaux. Chaque mois, je me concentre sur quatre chansons que j’écoute en boucle, obsédée par elles. J’ai également quelques vinyles que j’aime écouter dans leur intégralité comme des pièces musicales. En somme, je suis très sélective dans mes écoutes, mais quand j’aime quelque chose, je m’y plonge complètement.
Anissa : Pour ma part, la musique est une obsession constante. J’en écoute en permanence, que ce soit via des vinyles, des plateformes de streaming, comme Spotify. C’est une partie essentielle de qui je suis, et chaque chanson ou album que j’écoute est associé à des moments particuliers de ma vie, ce qui crée des souvenirs et des repères chronologiques pour moi.