Unorthodox est l’une de ces rencontres minutieuses entre la créativité visuelle et l’ampleur dramatique du témoignage d’un morceau de vie. Avec une grande justesse, cette mini-série en quatre épisodes explore le long chemin d’une femme vers sa liberté.
Tout commence en 2012. À 26 ans, l’écrivaine américano-allemande Deborah Feldman publie une troublante autobiographie. Elle y relate sa fuite de la communauté hassidique de Williamsburg (Brooklyn), dans laquelle elle est née et a alors passé la majeure partie de sa vie. L’ouvrage connaît un retentissement international. Cet intérêt est en partie lié au voile opaque entourant les rouages internes des communautés juives ultra-orthodoxes.
Quelques années plus tard, les scénaristes et productrices allemandes Anna Winger et Alexa Karolinski s’allient pour adapter l’histoire de la jeune femme sur le petit écran. Derrière la caméra, la réalisatrice allemande Maria Schrader travaille à imager avec pragmatisme les tenants et aboutissants de cet acte d’émancipation. Porté par un casting finement dirigé, le scénario alterne entre faits réels et fiction. Diffusée en 2020 sur Netflix, c’est sans surprise qu’Unorthodox a connu un grand succès dès sa sortie.
Huis clos
Dans l’adaptation sérielle d’Unorthodox, Deborah Feldman prend les traits d’Esther, « Esty », campée par une Shira Haas sensible et déterminée. La série débute avec le départ hâtif et secret de la jeune femme. Au rythme des scènes puis des épisodes, flashbacks et temps présent s’entremêlent. L’on découvre ce qu’elle fuit – Williamsburg et la majeure partie de sa famille — et l’endroit où elle se rend : Berlin.
Quelques mois plus tôt, Esther a été mariée de force à Jacob Shapiro (Amit Rahav) alors qu’elle sortait tout juste de l’adolescence. Certes, le jeune homme s’est révélé particulièrement sensible au sort de sa femme, voire plus apte que d’autres à l’écouter, allant jusqu’à lui laisser certaines libertés. Il n’en est pas moins resté soumis aux vigoureux préceptes hérités de ses ancêtres et de la tradition hassidique. Dans son cas, ces règles se sont traduites par une autorité récurrente — et souvent maladroite — sur Esther. Lors d’une scène dans laquelle il comprend que la jeune femme a lu le Talmud — formellement interdit aux femmes de la communauté — ce paradoxe est criant. Jacob s’étonne, s’offusque, bégaie. Les yeux voilés, Esty exprime son indignation envers ces coutumes. Peu à peu, elle se rend compte qu’elles entravent l’équilibre et l’égalité au sein du couple.
En apprenant qu’elle est enceinte, Esther décide de quitter enfin la communauté dans laquelle elle a grandi. Elle refuse que son enfant naisse dans les contraintes qui ont orchestré sa propre vie. Ce faisant, elle suit les traces de sa mère, Leah. Cette figure maternelle, lourdement décriée par la communauté de Williamsburg, Esty la redécouvre en fuyant. Dans son esprit, Leah a longtemps représenté un spectre à double-face. D’un côté, un personnage mystérieux, insondable ; de l’autre, la responsable de l’abandon brutal de sa fille. Alors qu’elle se retrouve face au même dilemme que sa mère, le regard d’Esty sur le choix de cette dernière évolue. Elle réalise enfin qu’une histoire que l’on raconte n’est que l’un des versants du prisme des faits.
Liberté
Loin du Brooklyn pop et coloré qui est généralement représenté et intégré dans l’imaginaire collectif, le quartier qu’Esty arpente depuis l’enfance et qu’elle fuit éperdument est lugubre et silencieux. Par la suite, la jeune femme l’affirme d’elle-même : « Williamsburg, ce n’est pas l’Amérique ». Le Berlin qu’elle découvre est lumineux, aéré, et, par-dessus tout, fleure la liberté à chaque coin de rue. Là encore, c’est un tableau inhabituel. Cet aspect novateur se révèle savoureux. Maria Schrader excelle dans la grande attention qu’elle prête à ce contraste. Tantôt matérialisée par d’imposantes ombres, tantôt par de grands rais de lumière, la dissonance visuelle entre Brooklyn et Berlin renforce davantage le scénario.
La capitale allemande est bel et bien la cristallisation des rêves d’Esty. Alors qu’elle n’a jamais quitté Williamsburg et son rigorisme oppressant, la jeune femme découvre un nouveau pays, une nouvelle ville, de nouvelles possibilités. Surprise, émerveillement : les femmes portent des vêtements de couleur, et même des jeans. D’ailleurs, Esty ne tarde pas à s’en procurer un. Lors de cette virée shopping, qui s’ajoute à ses nouvelles premières fois, elle découvre avec amusement l’énergie consommatrice qui fait tourner les grands magasins. Loin d’être futile ou superficiel, l’achat de ce jean est l’un des premiers actes de rébellion de la jeune femme dans sa nouvelle vie.
Au conservatoire de Berlin, les filles peuvent chanter et jouer d’un instrument librement. À la suite de sa rencontre fortuite avec un groupe de musiciens classiques internationaux, Esty noue des relations amicales et amoureuses avec des jeunes de son âge. Leur vie est en tous points différente de ce qu’elle a connu jusqu’alors. C’est une vie prodigieusement, délicieusement libre. Passionnée de piano et de chant depuis l’enfance, Esty se fixe un objectif : réussir le concours d’entrée au conservatoire. Coûte que coûte. Dans son cas, cet acte trouve son sens bien au-delà du fait de s’assurer un avenir professionnel et financier. Certes, il y a de cela. Mais avant tout, ce coup de poker lui permet d’être pleinement maîtresse de son choix. Enfin, de pouvoir s’exprimer, enfin, d’être écoutée.
Main dans la main avec la protagoniste originelle de l’histoire, les trois créatrices de l’adaptation d’Unorthodox ont cherché à transcrire visuellement le parcours de Deborah et à le rendre davantage universel, sans pour autant trahir l’intention d’origine. Comme Deborah, Esty veut éperdument vivre. Et finalement, en cherchant — et en trouvant — le monde extérieur, c’est sa profonde force intérieure qui se révèle dans sa quête. De la même manière que le livre qu’elle adapte, la série dévoile le pouvoir de l’émancipation et l’existence d’un autre champ des possibles.