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MARDI SÉRIE – « I Think You Should Leave » : Robinson au pays des merveilles

I think you should leave © Netflix
I think you should leave © Netflix

Tim Robinson a réalisé trois saisons de I Think You Should Leave pour Netflix. Insaisissable, iconoclaste et surtout hilarante, cette série dépoussière radicalement la comédie américaine.

Aux États-Unis, Larry David a fait naître une tradition de la série autobiographique portée par un comédien de stand-up. D’abord avec la sitcom Seinfeld qu’il a produite, inspirée de la vie de son interprète principal, Jerry Seinfeld. Puis avec Curb Your Enthusiasm, produite, écrite et réalisée par David lui-même. Dans les deux, le public est invité à suivre les tracas du quotidien. La forme sitcom de Seinfeld implique une distribution chorale qui laisse par conséquent la place à d’autres personnages pour émerger. En revanche, Curb Your Enthusiasm amène une nouvelle forme, qui s’accompagne d’un resserrement narcissique assumé, comme l’indique son titre français, Larry et son nombril.

Le succès de cette série à l’inhabituelle longévité (elle s’est terminée cette année après 12 saisons, diffusées de 2000 à 2024) aura fait émerger l’ego trip de comédien de stand-up comme un genre télévisuel en soi. Louie de Louis CK, Afterlife de Ricky Gervais, Master of None d’Aziz Ansari, en sont des exemples. La tradition s’importe en France, où Eric Judor lance le mouvement avec Platane, puis Blanche Gardin réalise La meilleure version de moi-même, Florence Foresti Désordres, et dans un style un peu différent, mais bien hérité du même genre, Guillaume Canet livre Rock’n’Roll. D’une certaine manière, The King of Staten Island de Judd Apatow en est un dérivé également, centré sur la vraie vie de Pete Davidson. 

Dans ce genre surreprésenté, on peine aujourd’hui à voir ce qu’il reste de la subversion impertinente des débuts, tant elle semble dévorée tantôt par un simple exercice d’égo, tantôt par un effet cendrillon pour le public, c’est-à-dire la promesse de découvrir la vie privée des stars. À ce titre, il est réjouissant de voir I Think You Should Leave prendre le contrepoint total de cette tendance. 

Alice au pays de Robinson

Tim Robinson, comique tout droit sorti de la machine à fabriquer des stars de la comédie qu’est le Saturday Night Live, crée, écrit et réalise cette série. De l’extérieur, elle envoie tous les signaux annonçant une autre enfant née de la cuisse de Curb Your Enthusiasm. Mais Robinson est un comédien de sketch, pas de stand-up, et cette différence est de taille. Sa série se compose d’épisodes de 15 minutes et de sketches à la longueur variable, où l’acteur n’apparaît pas systématiquement et surtout où il n’incarne jamais son propre rôle. 

Le dénominateur commun de cette somme de sketches disparates, est la présence d’un élément perturbateur qui brouille l’ordre social. Par exemple, ce personnage qui, après avoir entendu « There are no rules  » (Il n’y a pas de règles) dans le refrain d’une chanson, saccage une salle de classe. Ou cet autre qui cache un hot-dog dans la manche de sa veste pour le manger discrètement pendant une réunion qu’on lui a imposée sur son heure de déjeuner. 

Bien sûr, le plaisir de I Think You Should Leave vient de cette inventivité surexcitée, qui rend chaque sketch imprévisible et permet à la série d’échapper au conformisme narratif des séries « égo trip » évoquées plus haut. Mais, comme dans Alice au pays des merveilles, mettre cette profusion de situations hors normes sur le compte de la «  folie  » serait une erreur. Ni les personnages de I Think You Should Leave, ni Alice ne sont confrontés à une contingence incontrôlable — qui serait celle de l’imaginaire de leurs auteurs. La magie, et l’effroi, des mondes où iels évoluent sont au contraire les conséquences d’une hyper-rationalité obscure.

Plus frais que Gervais

La plupart des séries « égo trip » nées de l’influence de Larry David entre autres fonctionnent également sur un principe d’élément perturbateur, qui brouille les normes sociétales et produit de la gène. Mais, en général, le héros (qui est donc également l’auteur, réalisateur et producteur du programme), incarne cette perturbation au nom d’un bon sens dont il serait le garant, dans une société qui serait devenue folle. Ainsi, cette scène d’Afterlife où Ricky Gervais asticote une serveuse qui refuse de lui servir un menu enfant sous prétexte qu’il est un adulte. Comme Nani Moretti dans son dernier film, Vers un avenir radieux, le personnage «  ronchon  » est au fond celui qui a raison et qui n’a pas peur de le dire. 

La fraîcheur et le charme de I Think You Should Leave tient au fait qu’aucun de ses protagonistes n’y occupe cette position de surplomb face à la société. Les fous et les perturbateurs sont intégrés à l’univers dans lequel ils évoluent. Leur logique déviante peut parfois avoir du sens, comme une horloge cassée donne deux fois la bonne heure. Mais Robinson ne se pense pas plus intelligent ou lucide que le reste du monde. Dans ses sketches, lui et ses avatars peuvent tout autant emporter l’adhésion du public, qu’ils peuvent sincèrement l’horripiler et lui faire penser : I Think You Should Leave

I Think You Should Leave est disponible en streaming sur Netflix.

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