Premier rôle dans Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck, Hafsia Herzi s’illustre en ce moment dans Borgo de Stéphane Demoustier, sorti le 17 avril. L’occasion pour la comédienne de camper une nouvelle héroïne, certes discrète, mais aux aspérités certaines.
Dans Borgo de Stéphane Demoustier, Hafsia Herzi campe une surveillante pénitentiaire, Mélissa, fraîchement installée en Corse. Expérimentée, Mélissa découvre toutefois un établissement au fonctionnement inédit. Les détenus de la zone 2 peuvent aller et venir dans les différentes cellules. Dans ce cadre, Mélissa crée des liens avec certains prisonniers. En particulier avec le jeune Saveriu, avec lequel les petits services deviennent récurrents.
C’est un fait divers de 2017 qui inspire Stéphane Demoustier. Si l’affaire originelle a inspiré le film, le réalisateur s’en éloigne et met un point d’honneur à prendre ses distances, en choisissant notamment de centrer son film sur le quotidien de son héroïne, et non sur le milieu du banditisme. Si le rapprochement avec son précédent long métrage, La Fille au bracelet, est tentant, le lien ne se fait guère par ses thématiques – la justice et le monde carcéral, entre autres. Non, ce qui lie les films, c’est l’opacité de ses héroïnes, sur lesquelles aucun avis arrêté ne peut se poser.
Fausse piste
C’est donc dans cet univers carcéral et ensoleillé que Mélissa tente de se faire une place. Celle-ci, bien que discrète, est un livre ouvert pour le détenu Saveriu qui, en repérant ses failles et en facilitant son intégration, l’amène lentement dans un engrenage qui la dépasse. Juger l’héroïne est facile.
Or, le réalisateur brouille les pistes et multiplie ainsi les grilles de lecture. Notamment en empruntant à divers genres : policier, thriller et film de prison. La séquence d’ouverture de Borgo nous amène en effet à penser que l’enquête est centrale, alors qu’il n’en est rien. Le réalisateur travaille cette fausse piste en ouvrant le film sur le commissaire, campé par Michel Fau. La musique entre très vite en jeu et rappelle, grâce à ses cordes puissantes, les thèmes des polars. La scène de crime arrive rapidement. Le titre vient couper les deux temporalités du film et nous fait reprendre l’action sur l’arrivée de Mélissa dans la prison. C’est en réalité le quotidien de celle-ci qui va primer dans l’histoire.
L’île-des-secrets
Composé de scènes en extérieur, ce thriller insulaire travaille toutefois la notion de huis clos. Il réserve à chaque personnage son enclave : les détenus conditionnés par la prison, les enquêteurs rarement filmés en dehors de leurs deux bureaux, et enfin Mélissa pour qui l’Île-de-beauté se révèle plus hostile.
La caméra filme majoritairement Mélissa dans la prison. Les séquences au sein de sa famille sont constamment percutées par un enjeu dramatique. Lorsque Mélissa et son mari discutent, au début film, de leur arrivée en Corse, la conversation est coupée court par un voisin. Plus tard, c’est une balade à vélo qui est perturbée. Mélissa reconnaît deux comparses de Saveriu. Mais c’est l’explosion en centre-ville qui vient ponctuer cette once de normalité. Le bruit de l’explosion retentit, le thème musical emprunté au polar lui succède.
L’entonnoir
L’Île-de-beauté semble en réaction à l’intrigue. Lorsque l’époux de Mélissa est pris dans sa formation, le soleil de l’île bascule et cède sa place à une pluie intense. Celle-ci permettant au mari d’effectuer une danse de la pluie hasardeuse mais sincère avec ses filles. A l’inverse, quand le piège commence à se refermer sur l’héroïne, la Corse semble rétrécir, multipliant au grand regret de Mélissa les rencontres avec Saveriu. Celui-ci l’avait prévenu : La Corse c’est petit. Si on doit se croiser, on se croisera.
La bascule de Mélissa ne se fait pas au premier petit service rendu. Elle intervient lorsque celle-ci tire au fusil. Conviée aux tirs par Saveriu, Mélissa se persuade que cette relation est purement amicale. Mais l’accalmie de la scène prend fin en même temps que la musique. Réunis dans un bar, Saveriu et Mélissa sont à l’écart du groupe, du bruit. La rumeur du lieu cesse et rend centrale la conversion entre les deux personnages, ou plutôt la requête de Saveriu.
La part cachée
Les héroïnes de Hafsia Herzi sont plutôt introverties. Les séquences de colère sont assez rares, au profit de sourires subtils teintés de non-dits. En effet, dans Le Ravissement d’Iris Kaltenbäck, la cinéaste dresse le portrait d’une héroïne à l’écart et qui, en frôlant un brin de bonheur, se résout à commettre le pire. Comme l’héroïne d’Iris Kaltenbäck, la Mélissa de Borgo ment et essaye de se complaire dans une vie pansée par les fables.
Le cadre familial, supposé être réconfortant, confronte Mélissa à un conjoint aimant, mais en mal d’ambitions. La prison agit donc comme un échappatoire pour celle-ci, respectée et considérée par les détenus. Mélissa, métisse d’Ibiza, chantent ils à la vue de cette dernière qui, en réponse, esquisse l’un de ses premiers sourires.
Trajectoires inégales
Stéphane Demoustier construit son film sur deux temporalités, l’une suivant Mélissa, la seconde suivant les deux enquêteurs (Michel Fau et Pablo Pauly). Une opposition est posée entre les deux trajectoires. Si les scènes de Mélissa s’ouvrent généralement sur elle, en plein mouvement, celles des enquêteurs s’ouvrent sur un écran d’ordinateur. Patinant dans leur enquête, le commissaire et le brigadier visionnent et revisionnent les vidéos des caméras de surveillance de la scène de crime. Le réalisateur fait le choix de les filmer assis devant cet écran. Ainsi, Stéphane Demoustier oppose les personnages. L’une est en perpétuel mouvement, quand les deux autres restent assis.
Les séquences d’enquête semblent devenir de vrais intermèdes comiques. L’enquête avance lentement et uniquement grâce à la bonne volonté du personnage de Pablo Pauly, qui se retrouve face à un Michel Fau peu motivé. Il faut attendre l’arrivée du deuxième personnage féminin principal de Borgo pour que l’enquête se lie à la trajectoire de l’héroïne. Interprétée par Florence Loiret Caille, la directrice de la prison reconnaît Mélissa dans une vidéo extraite d’une caméra de surveillance.