CINÉMA

« Vampire humaniste cherche suicidaire consentant » – Récit d’apprentissage au pays des vampires

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant © h264distribution
Vampire humaniste cherche suicidaire consentant © h264distribution

Le festival Regards Satellites de Saint-Denis a fait la part belle au cinéma de genre « non aligné », à rebours des codes classiques de réalisation. C’est dans cette sélection que le public a pu découvrir le premier long-métrage de la québécoise Ariane Louis-Seize, en première de sa tournée française. Retour sur un film de vampires savoureux, qui dépeint le mal-être adolescent en brouillant les codes des films de genre.  

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant marque le passage au format long de la québécoise Ariane Louis-Seize, après un passage réussi dans le court-métrage. Le film narre l’histoire de Sasha, vampire qui, dès l’enfance, se révèle incapable de mordre les humain·es pour boire leur précieux sang. Quand ses canines pointent enfin à l’adolescence, elle n’a plus le choix. Fini les Pom’potes ensanglantées, Sasha doit elle-même tuer pour étancher sa soif. Désemparée d’avoir à ôter une vie innocente par nécessité physiologique, elle rencontre sa possible solution en la personne de Paul. Comme elle, le jeune homme n’est pas vraiment adapté aux normes sociales : l’adolescent harcelé veut en finir avec la vie. Sasha voit ainsi en lui une manière de se nourrir sans ôter la vie de quelqu’un·e de non consentant·e. Le film explore leur rencontre, et ce moment de pacte noué entre les deux adolescent·es.

Hybridation des genres 

Disons-le tout de suite : le film n’a rien de particulièrement novateur dans ses partis pris esthétiques ou narratifs. Pourtant, il séduit par son scénario décalé, son humour noir et son jeu d’acteur·ices convaincant. Surtout, il se distingue par sa capacité à déjouer les attendus et les stéréotypes. Si les personnages sont des vampires, le film n’emprunte ni à la mièvrerie romantique de la saga Twilight, ni au gore d’un Blade de Stephen Norrington. Exit les triangles amoureux ou l’hémoglobine à gogo.

À la place, Ariane Louis-Seize choisit plutôt la comédie à l’humour noir, et le récit d’apprentissage. Tout l’intérêt du film réside dans l’hybridité entre les genres, qui surprend et émeut. Il se place au croisement étrange entre un film de vampires, une comédie un brin horrifique, un coming of age et un film noir. L’actrice principale, Sara Montpetit, excelle dans tous ces registres. Un rôle qui s’inscrit dans la continuité de son précèdent film, Falcon Lake, teenage movie flirtant subtilement avec le film de fantômes. Comme Charlotte Le Bon, Ariane-Louis Seize emprunte et mélange les codes de différents films de genre.

Métamorphose et rites de passage

Avec des personnages assoiffé·es de sang et une atmosphère inquiétante, la réalisatrice s’inscrit dans l’univers vampirique. Mais c’est avant tout les codes du film de passage à l ‘âge adulte qu’elle adopte. Dès le début, elle joue ainsi allègrement de l’image des parents incapables de comprendre leur enfant et de la soutenir dans ses choix. Un rôle que Steve Laplante endosse avec tendresse, papa poule dépassé face à la singularité de sa fille. Par la suite, les deux adolescent·es parcourent des lieux et rites de passage familiers aux amateur·ices du genre, des hiérarchies de popularité au traditionnel bowling, en passant par la fameuse « party » où tout peut se jouer. Mais tout cet environnement revêt ici une autre tonalité. Ces situations classiques s’avèrent complètement détournées par le contexte surnaturel. Elles sont ici des rites avant un potentiel passage à l’acte : celui de la morsure fatale.

Le point de départ serait le récit d’apprentissage. Ce qui me touche avant tout, c’est la quête identitaire des personnages. Cette période de l’adolescence est riche dans nos vies, c’est celle où l’on teste nos limites et celles des autres, où l’on s’interroge énormément. Après, confronter les genres me plaît. Mes courts métrages n’entrent dans aucune case. Je laisse l’univers du film me guider, je suis mon instinct et si en cours de route je rencontre un élément drôle ou déstabilisant, je suis ce filon de création sans me limiter.

Ariane Louis-Seize (dossier de presse)

En parallèle, la réalisatrice file la métaphore de la métamorphose adolescente. On retrouve les mêmes étapes et scènes clés classiques de ce type de récit. Celles-ci sont néanmoins détournées, puisqu’ici relatives à une transformation fantastique. Ainsi, la puberté relève de l’apparition de canines, la «  première fois  » d’une morsure qui serait fatale pour l’un des adolescent·es. En filigrane, Ariane Louis-Seize questionne aussi le rapport au corps féminin au cœur d’une mutation subie et mal comprise. Car Sasha fait aussi face à des pulsions voraces qu’elle apprivoise d’abord difficilement. Quelle attitude adopter face au désir naissant ? La réalisatrice esquisse tous ces enjeux, refusant toute simplification ou sexualisation de sa protagoniste. En cela, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant s’inscrit dans ces récits cinématographiques d’expériences de jeunes filles qui se diffusent au Québec ces dernières années.

La mort heureuse ?

Ainsi, Ariane Louis-Seize brosse un portrait complexe et non stéréotypé d’une adolescente tourmentée par sa transformation, mais aussi par sa différence – une empathie inédite pour un vampire. Pour interroger ce rapport à l’altérité, le recours à l’hybridité s’avère d’autant plus pertinent. En effet, ce thème est saillant dans les genres adoptés, que ce soit le film de vampires ou le récit d’apprentissage. Chez les vampires, la rencontre avec l’autre est synonyme de satisfaction physique, mais aussi de risque mortel, tandis que l’adolescence est ce moment de confrontation, parfois forcée et maladroite, avec l’autre.

Au-delà de l’altérité, le titre annonce aussi l’autre « thème » omniprésent, la mort. Le mal-être existentiel est verbalisé et montré, parfois indirectement avec un jeu de lumières froides et clignotantes, et ce, sans gravité pesante. Le film jongle entre malice, mélancolie et tendresse. En cela, le rendu réalise la volonté de la réalisatrice de faire un film pour parler de la mort tout en étant « lumineux ». Son pari d’aborder avec sérieux et humour la difficile prise en compte de la souffrance adolescente s’avère réussi.

Plus largement, le film questionne ce besoin profond de connexion entre êtres humains, mettant en lumière des personnages qui peinent à trouver leur place parmi leurs pairs. Le résultat est touchant, stimulant, rafraichissant, et très prometteur pour la suite.

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant est en salle ce mercredi 20 mars.

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d’Ariane Louis-Seize. Au cinéma le 20 mars. 

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