LITTÉRATURE

« Un geste vers le bas » – La danseuse et le cheval

© Gallimard

Alors que Bartabas est en pleine représentation de son dernier spectacle, Femmes Persanes, il fait paraître un nouveau livre. Un geste vers le bas est un texte-révérence qui raconte sa rencontre croisée avec Pina Bausch et un de ses chevaux. Un vertige.

Extérieur nuit. Bartabas. Pina Bausch. Elle désire qu’il l’initie à son art. Elle demande à faire sa rencontre. Ils se reconnaissent d’un regard et, par-delà leur silence de grands timides, se parlent. Ils fument, boivent, se confient sur la création et se présentent leurs compagnons de travail. Elle, ses danseurs. Lui, ses chevaux.  Bartabas est écuyer, metteur en scène, et fondateur du théâtre équestre Zingaro. Depuis 1989, il est installé avec sa compagnie au sein du Fort d’Aubervilliers où il vit et donne ses représentations. Danseuse-chorégraphe iconique, Pina Bausch (1940-2009) est une pionnière de la danse contemporaine.

En 1990, ces deux artistes d’exception – qui ont su faire bouger les lignes de leur discipline respective – se rencontrent  après un spectacle de la compagnie Zingaro. Bartabas vénère Pina. Elle est une virtuose du mouvement qu’il décrit comme une « âme tourmentée » dont le corps semble constamment baigné dans la fumée blanche de son tabac et de ses volatiles pensées. Leur amitié se précisant, ils décident de passer des paroles à l’expérimentation. Bartabas lui présente son cheval Micha Figa. 

D’une rencontre l’autre

Plutôt qu’une rencontre, Un geste vers le bas est le récit de trois rencontres enchâssées. D’abord, Bartabas découvre Micha Figa. Ce cheval est un de ceux qui se sont présentés sur le chemin de sa vie. Il n’est pas celui qu’il cherchait mais celui que le destin lui a confié. Puis, Bartabas rencontre Pina Bausch et, très vite, il lui présente Micha Figa qui sera son partenaire. « Elle espère en lui comme j’espère en elle ». 

Ce n’est qu’au creux des nuits que Bartabas rend possible les rendez-vous entre ceux qu’il nomme les « deux amants ». Après minuit et parfois jusqu’à l’aube. D’abord, Micha Figa et Pina Bausch se toisent, confrontent leurs énergies. Elle danse, doucement, s’endort parfois. Lui attend, l’ignore, l’observe puis s’approche. Bartabas se place en tiers avec l’infini délicatesse de ne jamais se poser en voyeur. Il n’est pas en dehors mais bien avec eux. Tout aussi fragile et attentif mais légèrement décalé de la scène. Pourtant, les rôles se troublent, les corps s’enroulent, les gestes traversent.

J’ai rêvé qu’avec mes mains je ne pouvais toucher ni mon corps ni mon visage. Que mes yeux implantés latéralement m’empêchaient de recouper mon champ de vision. Je ne pouvais ni me toucher, ni me voir !

Je n’étais même plus sûr d’être un humain. 

Elle s’était approchée de moi et m’avait caressé l’encolure.

Un geste vers le bas – Bartabas

Seulement par bribes, sans jamais rien dévoiler, il évoque les images fugitives de scènes englouties par la nuit. Son regard sur elle, son regard sur lui, leur danse à eux. Ces entrevues inoubliables auraient dû être le préambule d’un spectacle commun. Il en sera autrement. Pourtant, après tant d’années, le souvenir reste intact et inentamé. Émotion et concision. C’est en faisant le choix d’une langue nocturne et d’une économie des mots que Bartabas élargit le champ du rêve à la surface des pages. La brume qui s’engouffre entre ses lignes n’oblitère rien. Elle ouvre l’espace possible d’un voyage sensible comme ce jour où Pina ferma ses yeux, allongée sur le cheval, laissant les gouttes de pluie dessiner une musique secrète sur la peau de ses paupières. 

Dans Un geste vers le bas, Bartabas continue son travail d’écrivain. Il raconte avec force l’histoire d’une amitié qui cherche, aux confins du corps et aux limites de la raison, l’infinie douceur d’un rire ou d’un regard échangé. Ou encore, ce que la confiance autorise.

Un geste vers le bas de Bartabas, paru aux éditions Gallimard le 7 mars 2024, 17euros.

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