Présentée en Compétition Internationale au Festival Séries Mania, la série anglaise Boarders aborde la question de l’inégalité académique dans une Angleterre élitiste blanche. Sur fond comique, elle souligne des enjeux dramatiques à travers cinq personnages attachants. Rencontre avec le réalisateur Daniel Lawrence Taylor, et l’actrice Jodie Campbell.
Les propos suivants on été recueillis à la Table ronde sur Boarders du samedi 16 Mars – 12H30 – CCI.
Boarders est une comédie dramatique pleine d’énergie, qui suit l’évolution de cinq talentueux adolescents noirs, originaires des quartiers défavorisés. Ils se retrouvent catapultés dans un monde qui leur est étranger : celui des écoles privées britanniques. Après la diffusion d’une vidéo problématique impliquant un étudiant, les protagonistes se voient offrir une bourse pour entrer au lycée St Gilbert’s et ainsi redorer l’image de l’une des plus anciennes et des plus prestigieuses écoles anglaises.
Daniel, comment l’histoire de Boarders est-elle née ? Quel a été le point de départ ?
Daniel Lawrence Taylor : On m’a adressé un article, qui parlait de cinq jeunes enfants noirs ayant reçu une bourse d’étude dans un internat anglais. Une bonne partie de leur expérience a résonné avec mon passé. Non pas que j’aie été en internat, mais d’un point de vue contextuel. J’ai été dans une université cossue, à dominance très blanche, et dont les élèves étaient issus de classe aisée. En somme, un endroit bien différent du quartier Sud de Londres, dont je suis originaire.
De nombreuses histoires m’ont rappelé des moments similaires, dans ma jeunesse. C’était comme avoir trouvé le poisson parfait à pêcher pour en faire un met parsemé d’épices personnelles. Raconter mon vécu, celui de bien d’autres, tout en permettant l’identification de tout un chacun et en y amenant une certaine part de comique.
Jodie, comment avez-vous pris connaissance de cette histoire ?
Jodie Campbell : Mon agent m’a transmis le scénario. Et ça a été une évidence. C’était l’une de ces occasions, pas si nombreuses, où l’on a aucune envie d’arrêter la lecture, une fois amorcée. J’ai lu l’entièreté et j’ai directement pensé « c’est quelque chose que j’aimerais regarder ». L’idée de possiblement faire partie de ce projet m’a réellement enthousiasmée. Un script si drôle, si réaliste, si représentatif… On ne peut qu’avoir envie de participer à lui donner vie !
Boarders a-t-elle toujours été pensée sous le prisme de la comédie ?
Daniel : J’ai voulu toucher à deux genres : la comédie et le drame. Boarders est le témoignage d’une dure réalité. Mais je voulais qu’elle soit abordée par le spectre de la comédie. Quand on parle d’ethnicité, de classe sociale et d’élitisme, je trouve qu’il faut confronter l’audience à cette réalité qui n’est pas belle à voir. Les mettre face à un miroir. Parce qu’au bout du compte, porter un jugement sur un individu à partir de sa couleur de peau ou de sa classe sociale, ça relève du ridicule. C’est même si stupide, que cela en devient quasiment comique.
Il s’agit parfois de montrer de façon cocasse, qu’un comportement tel que celui-ci est aberrant, non fondé et ignorant. Pour apporter un peu de légèreté à quelque chose de lourd.

Combiner drame et comique n’a pas été évident. On a eu la chance de travailler avec la superbe réalisatrice Ethosheia Hylton qui a une vision absolument juste de la manière dont il fallait harmoniser ces aspects. Nous avons été très attentifs à cette double caractéristique dès l’écriture du scénario, mais la manière d’y parvenir habilement, a été constamment revue.
Jodie : Cet assemblage drame-comédie m’a plu dès le scénario. On a envie de découvrir l’histoire sous ces angles. Daniel est parvenu à aborder des questions primordiales, sans faire de cette série une histoire dramatique et traumatisante. C’est le danger avec ces sujets : réussir à franchir l’aspect purement factuel, qui risque d’amener le spectateur dans une réalité si durement, qu’elle finit par lui peser. C’est une façon très instructive, quasiment pédagogue, d’aborder une multitude de réflexions qui sont nécessaires. D’une manière qui ouvre la conversation, tout en étant divertissante.
Est-ce que vous avez délimité les sujets que vous vouliez aborder au cours de cette première saison ?
Daniel : Je n’ai pas considéré qu’il y avait des limites à poser. Dans la salle d’écriture, je voulais entendre les récits de chacun. C’était inspirant, de s’entourer de personnes, qui ont une expérience de la vie similaires. Je leur ai demandé individuellement à quel personnage ils s’identifiaient, et bien que l’on ne puisse pas retracer le ressenti de chaque épreuve vécue, on peut essayer de donner de la profondeur à chaque personnage.
Rien n’a été interdit. Nous avons seulement raconté notre vécu. C’est probablement pour cela que nous avons beaucoup ri dans la salle d’écriture, tout autant que nous avons débattu. C’était bien de parler de nos expériences tout en essayant de les imbriquer dans la série. Donc je n’ai pas ressenti le besoin de poser de limites ni à nos expériences, ni à nos idées.
Tout ce qui figure dans la série, est tiré du réel.
Daniel Lawrence Taylor
La série est d’ores et déjà disponible au Royaume-Uni. Quels sont les échos jusqu’ici ?
Jodie : Ma famille adore ! Le WhatsApp de ma mère explose (rires). Mes amis regardent aussi. J’ai eu une avalanche de retours, c’est agréable. On ne sait jamais, quand on débute un tournage, ce que cela va donner. Ce que j’aime le plus, c’est d’entendre les point de vue des spectateurs, leurs réactions à chaud.
Daniel : Je suis entièrement d’accord. Pour tout vous dire, je ne suis pas un grand utilisateur des réseaux sociaux. Mais depuis que la série est sortie, j’ai réactivé tous mes profils. C’est génial de découvrir les retours du public, de lire leurs mots. Les critiques ont été bonnes, les retours très positifs et en plus grand nombre que nous ne l’avions espéré. Nous savions que nous avions fait quelque chose de spécial, mais n’avions pas estimé à quel point c’était spécial. C’est en découvrant combien les gens s’identifiaient aux histoires de ces jeunes étudiants, que nous avons compris l’ampleur de la résonance.
Jodie : J’espère que Boarders contribuera à remettre en question le système éducatif au Royaume-Uni. Débattre sur ces programmes d’insertion et de diversification pour se demander s’ils sont réellement utiles. C’est bien beau de vouloir amener de la diversité dans un espace, mais cet espace est-il réellement sûr et sain pour la diversité ?
Daniel : Effectivement, on le souligne avec la série : certains programmes dérangeants existent au Royaume-Uni. Ils demandent parfois des dossiers aux attentes déplacées et ont des conditions d’accès démesurées. Avec le mouvement Black Lives Matter, les populations deviennent de plus en plus conscientes de l’expérience noire. Les gens et les entreprises prennent des mesures, font de leur « mieux » pour intégrer cette expérience et la prendre en considération. Seulement le réel problème trouve sa source dans les institutions-mêmes. C’est là que le changement doit s’opérer.
Quel personnage a été le plus compliqué à construire ?
Daniel : Je dirais que c’est Leah, car il s’agit de la seule fille. L’article d’origine parlait de cinq garçons, mais nous voulions aussi aborder le point de vue d’une fille dans ce groupe. Nous avions pensé à ajouter une seconde fille dans le groupe, mais nous avons remarqué que cela desservirait – étonnamment – l’expérience féminine. Cela impliquait la création d’un nouveau point de vue, qui aurait dilué celui de Leah.
La trajectoire de Leah est celle d’une femme qui a dû se battre pour intégrer le programme. Car ces programmes ont tendance à être pensés pour les jeunes hommes. Nous voulions mettre en exergue ce sentiment de rejet, qu’elle ressent en raison d’un facteur supplémentaire aux autres : son genre.
Ça a été une décision difficile à prendre, que de ne pas laisser de place à d’autres femmes dans ce groupe, mais je pense que c’était la bonne chose à faire pour le développement du personnage de Leah, merveilleusement incarné par Jodie.
Et les personnages masculins, quelles sont leurs inspirations ?
Daniel : Il y a une dizaine d’années, lors d’une soirée où nous étions particulièrement éméchés, nous sommes revenus sur la période « lycée » avec mes amis. J’ai avoué à l’un d’eux, qu’avec du recul, j’aurais aimé être davantage comme lui à l’époque. C’est-à-dire avoir le courage de parler librement, de m’exprimer, de porter ma voix sur ces sujets nécessaires, tel que lui l’a toujours fait. À ma grande surprise, il m’a répondu que lui, aurait justement parfois préféré être plus discret, pour s’attirer moins d’ennuis. Conséquemment, notre entrée à l’université a été bien différente. C’est drôle d’avoir discuté ces points de vus et d’en faire une série, des années plus tard. Je pense que l’inspiration est puisée de là, et de l’expérience de l’ensemble des auteurs de la série.

Vous aviez une distribution en tête pour Boarders ?
Daniel : Non, nous étions très ouverts. La directrice de casting, Rosalie Clayton, est absolument géniale !
Jodie : Parce que Rosalie est à l’opposé de ce qu’on peut s’imaginer d’une directrice de casting. Le premier jour, je m’attendais à quelqu’un de sévère. Pas du tout ! Elle est adorable. Avec elle, le casting passait pour un « moment comme un autre », mettant tout le monde à l’aise.
Daniel : Le fait qu’elle connaisse mon type de comédie, d’humour a été avantageux. On a été ouverts à tous types de profils, sans à priori. Le but étant de découvrir ce que les acteurs pouvaient apporter aux personnages.
Ce qui a été génial, c’est la façon dont elle a dirigé les acteurs dès le casting, laissant parfois la caméra rouler, pendant les pauses. Ça nous a permis, de découvrir l’alchimie qui se créait entre les acteurs, au-delà des personnages. C’était précieux de voir les choses s’aligner naturellement.
Jodie : Encore aujourd’hui, en dehors du tournage, nous sommes très proches.
Le tournage de Boarders a-t-il eu lieu dans un véritable internat anglais ? Est-ce qu’on peut espérer une seconde saison ?
Jodie : Oui, on a tourné dans l’Ouest de l’Angleterre. C’était une magnifique école. Ça faisait un peu penser à l’internat de Harry Potter tellement c’était grandiose. Filmer sur place était invraisemblable : ça a permis de développer l’ambiance, le jeu et la complicité de l’équipe. On a filmé pendant les vacances d’été, nous étions seuls sur le campus, c’était assez inédit.
Nous sommes actuellement dans la phase de discussion pour créer une seconde saison. Si vous voulez que la série continue : n’hésitez pas à en parler et à publier vos meilleurs articles (rires).
Les deux premiers épisodes de la série BOARDERS sont disponibles gratuitement jusqu’au samedi 23 mars 2024 sur la plateforme Séries Mania +.