Inspiré d’un fait divers tombé aux oubliettes il y a plus d’un siècle, Scandaleusement vôtre est le nouveau long-métrage de Thea Sharrock (Avant toi). Porté par un trio d’actrices exaltant, ce thriller comique est aussi piquant qu’intelligent.
Littlehampton, Sussex, 1920. Edith Swan (Olivia Colman), la cinquantaine, vit chez ses parents qu’elle n’a jamais quittés. Ses seules sorties sont destinées à la messe et à quelques parties de whist avec ses amies du quartier. Une existence somme toute tranquille, que vient soudainement perturber une rafale de lettres injurieuses lui étant destinées. Alors que le mystère plane sur leur origine, un nom est finalement émis. Celui de Rose Goodling (Jessie Buckley), la voisine irlandaise d’Edith, une jeune femme à l’attitude jugée légère.
Rose arrêtée, l’affaire semble close. C’est sans compter sur la persévérance de l’agente de police Gladys Moss (Anjana Vasan), qui tente d’approfondir la question, malgré les barrières posées en travers de son chemin. S’ensuit une course contre la montre hilarante et pleine de bon sens, que les trois personnages principaux mènent avec dextérité. Sous ses airs de western local, Scandaleusement vôtre ironise tout en finesse sur les réalités sociales de l’époque.
Surenchère comique
Un mur sépare Edith et Rose, au sens propre comme au figuré. Physiquement, il est mince. Les deux femmes partagent bassine à linge et toilettes au fond du jardin ; leurs maisons mitoyennes les forcent presque à cohabiter, l’insonorisation du bâti n’étant pas encore au programme à Littlehampton. Quant au mur de valeurs qui s’érige entre les deux femmes, lui semble plutôt tenace. Les violons de la pieuse et calme Edith ne s’accordent pas à ceux de la bouillonnante Rose. Alors que l’une chante à l’église, l’autre préfère s’essayer à des envolées lyriques au pub local. Le paradoxe est d’autant plus désopilant qu’Olivia Colman et Jessie Buckley l’incarnent chacune avec une savoureuse justesse.
Mais, attention subtilité scénaristique, leur mésentente n’est pas innée. Car un tel écart entre les valeurs individuelles n’est pas nécessairement source de conflit. Les voisines furent amies par le passé, chacune cherchant chez l’autre ce qu’elle ne trouvait pas en elle. Une touche de fantaisie et de lâcher-prise pour Edith, un peu de maîtrise de soi pour Rose. Une proximité de courte durée, brusquement brisée par un malentendu — ou, plutôt, par le conservatisme ambiant. L’atmosphère devint alors électrique sur Western Road. Regards en creux et insultes hurlées en pleine rue — sans une once de scrupule pour le voisinage — rythmeront alors cette proximité involontaire.

Détruire les barrières
En réalité, malgré leurs grandes différences, Rose et Edith sont toutes deux bridées par un flot d’injustices les renvoyant directement au fait qu’elles sont des femmes. De part et d’autre, le scénario fait référence, en toute subtilité, aux manifestations des Suffragettes. En 1920, ces femmes ne revendiquent pas la Lune, comme semblent le penser certains personnages. Non, seulement de l’égalité de l’âge entre hommes et femmes pour accéder au droit de vote.
Quant à Gladys Moss, elle représente l’immersion croissante des figures féminines dans les instances juridiques et administratives du pays. La talentueuse Anjana Vasan (We Are Lady Parts, Black Mirror) donne à Gladys un pragmatisme et une ardeur à fleur de peau qui correspondent à point nommé à ce personnage haut en couleurs. Au sein du poste de police de Littlehampton, elle élève la voix tant bien que mal face à ses deux collègues masculins. Dans un premier temps, ces derniers ne se gênent pas pour la reléguer constamment à la place qu’ils lui ont assignée au départ. Ses missions officielles se résument pour ainsi dire à observer, écouter et suivre. Beau programme.
Tout au long du film, Thea Sharrock prend le parti de s’amuser de ces situations à l’illogisme flagrant. Sans aucunement les nier, elle les tourne en revanche allègrement en ridicule. En plaçant concrètement quelques-uns de ses personnages face à leurs contradictions et à leur mauvaise foi, certains dialogues deviennent sinistrement — tant l’on sent le réalisme de fond — comiques. Totalement assumée, l’atmosphère dérisoire de Scandaleusement vôtre n’en est que plus ingénieuse.

Mélange des codes
Terrain neutre par excellence, Western Road est l’un des décors centraux du film et l’une de ses grandes forces. L’on sent que Thea Sharrock et ses équipes ont pensé en profondeur le travail sur la couleur et les contrastes au regard du message recherché par la cinéaste et son scénariste (Jonny Sweet). Là encore, le résultat est adroit. Du jaune, de l’orangé et des tons généralement clairs rendent cet espace humain et chaleureux. La joie de vivre de Rose et de ses proches s’y ressent. À l’inverse, les intérieurs du commissariat et du logement de la famille Swan sont sombres et froids. Cette austérité a de quoi faire ressortir le manque de bienveillance et d’affection partagée par les occupants de ces lieux.
Jalonnés de gimmicks et de références multiples à l’univers de la bande dessinée, plans et bande-son s’articulent et s’enchaînent. L’on remarque l’exagération de certaines postures, quelques slows motions renforçant le grotesque d’une action, le chatoiement des couleurs majoritaires et des compositions sonores au rythme endiablé. Le comique général des dialogues et des situations, ainsi qu’un montage cadencé et créatif (Melanie Oliver), parviennent à mettre en valeur l’ensemble de ces éléments. Avec cette toponymie de rue tout sauf anodine au centre de son action, le long-métrage s’apparente ainsi à un western, préférant la subtilité British à l’effervescence de l’Ouest américain et la mise en valeur de femmes aux perspectives diverses à celle du modèle pérenne et figé du cow-boy.

Drôle, dynamique, percutant, Scandaleusement Vôtre mélange les genres et les références pour créer une farce moderne et sur-mesure. L’on se délecte de ses dialogues inventifs et sagaces, ainsi que de la tournure que prennent les événements et les trajectoires. Certes, le scénario tombe parfois dans certaines facilités de causalité. Elles sont largement pardonnées par la fougue et la subtilité générale du long-métrage. Thea Sharrock s’illustre avec brio dans la qualité de la réflexion qui pouvait être tirée de cette histoire « plus vraie qu’on ne le croit ».
Scandaleusement Vôtre est en salles depuis le 13 mars.