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Rencontre avec Aline Laurent-Mayard : « On a encore du mal à imaginer d’autres grandes émotions que l’amour romantique »

Aline Laurent-Mayard
© éditions Jean-Claude Lattès

Dans Post-romantique, l’autrice Aline Laurent-Mayard nous invite à nous décentrer de l’amour romantique. Et pourquoi pas, faire plus de place à d’autres types de relations, amicales, familiales ou intergénérationnelles.

Aline Laurent-Mayard est asexuelle et aromantique, c’est-à-dire qu’elle ne ressent aucune attirance sexuelle ou romantique. Son expérience personnelle l’a amenée à réaliser l’instructif podcast Free From Desire, dans lequel elle revient sur sa prise de conscience et l’affirmation de son identité asexuelle. Grande consommatrice de comédies romantiques, Aline Laurent-Mayard se devait d’étudier l’amour et de savoir pourquoi il est si central dans notre société. L’autrice le compare même à une religion avec ses adeptes, hérétiques, hymnes et autres célébrations… Basés sur des témoignages et des analyses sourcées, Post-romantique, Comment moins de romance pourrait sauver l’amour (et la société) ouvre le champ des possibles et n’est surement que le premier d’une longue série d’ouvrages qui approfondiront le sujet. Rencontre.

Bonjour Aline ! Ton livre est sorti il y a quelques semaines, comment se passent ses premières semaines de vie ?

Les retours sont vraiment supers et comme à chaque fois je suis ravie de voir des gens qui m’écrivent pour me dire que ça les aide ! C’est quelque chose d’absolument génial. Ça les aide à réaliser des choses à propos d’eux, à imaginer d’autres choses. D’ailleurs, j’ai reçu un message d’une personne de 60 ans qui, après une nuit de grosses crises d’angoisse, réalisait qu’elle ne fonctionnait pas comme les autres. Elle avait plaqué son mari et à ce moment-là, elle est tombée sur une de mes interventions dans les médias et elle a compris qu’elle était asexuelle. Cette personne, tu sentais qu’elle était en train de pleurer en écrivant ce message… 

Ça veut dire que ce n’est pas générationnel ? On pourrait croire que ton livre parlerait davantage aux jeunes et peut-être moins à des personnes de plus de 50 ans…

Je savais en écrivant ce livre qu’il pouvait parler à tous les âges, ne serait-ce que parce que j’ai fait Free From Desire avant. J’ai vu des quinquagénaires m’écrire pour me dire que ça leur a permis de mieux comprendre leur enfant. J’ai des adolescentes qui me reconnaissent dans la rue et qui me remercient. Ça a touché un public très différent du public que je touche d’habitude. Dans le livre je parle de ce que j’appelle la génération Barbie, qui a une approche différente, qui valorise plus ses amitiés, qui va avoir un regard critique sur le couple et sur le côté obligatoire du couple. Mais en même temps, je vois très bien dans la vie de tous les jours que les violences conjugales, la solitude, le célibat, ça touche tout le monde. Dans tous mes livres j’essaye d’avoir une lecture intergénérationnelle, qu’il y ait autant de références à Hugues Aufray qu’à des vidéos Tik Tok !

Ce qui est aussi intéressant dans ce genre de projet, c’est la promo presse. Bien sûr que quelqu’un de 60 ans ne va pas prendre spontanément un livre qui s’appelle Post-romantique au rayon essais féministes. Ce qui est intéressant c’est que lorsque je suis invitée à France Inter par exemple, tout d’un coup d’autres personnes sont touchées et se disent : « ah mais je vais peut être aller lire ça ». C’est pour ça que j’aime être dans une grande maison d’édition, ça permet de toucher un large public.

Tu démarres ton essai en essayant de définir ce que c’est l’amour romantique, ce qui n’est pas évident. J’ai beaucoup aimé la façon que tu as de comparer cela à une religion. Comment cette idée t’est-elle venue ?

Je l’ai notamment retrouvé dans le livre de Léane Alestra, Les hommes hétéros le sont-ils vraiment ?, mais aussi tout au long de mes recherches. C’est tellement évident ! Ce sont des impensés, toutes ces fictions qui ont tellement infiltré notre vie de tous les jours et auxquelles on a été biberonnés. Dès les premières années, les premiers récits qu’on nous raconte, les premières représentations qu’on a de la société, les premières réflexions des gens… Déjà à la crèche, on dit aux garçons « tu cours loin des filles, mais tu vas voir, après tu vas leur courir derrière ».

En fait, on naît avec cette idée en tête et donc on n’y pense pas, ça nous semble naturel. C’est comme ça que sont les choses. Mais en réalité on le voit bien, il y a des personnes qui ne croient pas à l’amour romantique. Notre société nous fait croire que ces personnes-là sont cyniques, ont vécu des choses douloureuses dans leur vie, qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez elles.

On regarde des films de guerre, on n’a pas forcément envie d’aller à la guerre donc on peut adorer les comédies romantiques et être aromantique !

Aline Laurent-Mayard

De nombreuses personnes sont fidèles à la religion romantique. Ils vont fêter la Saint Valentin, regarder toutes les comédies romantiques, chanter ses louanges avec les tubes musicaux… Et puis à côté, on a des hérétiques. Il y a de fait des instigateurs qui vont essayer de corriger les hérétiques que sont les aromantiques, les homosexuels etc. Je parle vraiment à la première personne dans ce livre parce que j’ai vécu ça en tant que personne aromantique.

À partir de la vingtaine, les gens – des inconnus, une vendeuse dans les boutiques de vêtements, tout le monde – avait une opinion et me la disait. On me donnait des conseils, des conseils-injonctions plutôt : « mais il faut te forcer, prendre le premier venu, il faut faire ci, il faut faire ça. » Ça crée une pression incroyable et au bout d’un moment, c’est normal de craquer. J’étais fière d’être différente, même si j’avais un peu le sentiment de passer à côté de quelque chose. Et puis, il y a un moment où j’ai craqué et j’ai fini par me forcer. Je me disais que ce serait bien quand même d’être romantique parce que j’aime les comédies romantiques. Mais ce n’était vraiment pas ma personnalité. J’ai fini par le faire parce que le poids était tellement, tellement énorme.

Comment expliques-tu cette passion pour les comédies romantiques malgré ton aromantisme ?

J’en ai parlé avec Alice Oseman qui est l’autrice de Heartstopper, une des comédies romantiques (série BD et série télé) les plus populaires du moment. Il s’avère qu’iel est complètement aromantique ! Alice Oseman dit « on regarde bien des films d’horreur, ça ne veut pas dire qu’on a envie de mourir égorgé. Pareil pour les films de guerre, on n’a pas forcément envie d’aller à la guerre ! » C’est une dimension importante : vouloir vivre quelque chose qu’on ne vit pas dans sa vie de tous les jours.

Mais on a encore du mal à imaginer d’autres grandes émotions au-delà de l’amour romantique alors qu’on pourrait en avoir plein. On pourrait se marier avec ses meilleur·es ami·es, vivre de belles amitiés, des relations de famille. Quelques histoires existent mais ce type de récit est très rarement représenté. Ce sont les comédies romantiques et les romances qui sont les plus accessibles. Et puis c’est aussi facile à écrire, même si on n’en a pas vécu parce qu’on a été biberonné à ça. C’est facile pour des queer de savoir ce que pensent les hétéros : on ne connaît que leurs histoires.

© JC Lattès
Quel est ton dernier coup de cœur en comédie romantique ?

Je suis une grande fan de plein de choses, avide consommatrice. J’ai revu récemment Looking d’Andrew Haigh, une sérié des années 90. C’est un cinéaste absolument génial. Il y a une intimité dans ses œuvres qui est dingue. Dans Looking comme dans Week-end et toutes ses œuvres, il met en scène les rencontres. L’épisode cinq de la saison huit est absolument génial justement : deux personnes matchent, couchent ensemble pour la première fois et décident de sécher le boulot. L’épisode raconte cette première nuit où tu parles sans interruption, où tu découvres l’intimité physique avec l’autre et la journée qui suit. Quand tu te confies sur tous les événements de ta vie, ton enfance, tes rêves, tes espoirs. Et ça, c’est quelque chose que je trouve absolument incroyable et qui me touche toujours énormément. Je me disais en regardant ça hier : c’était tellement beau, ce serait bien si on pouvait faire ça en enlevant le sexe et la romance.

J’appelle beaucoup à une société qui serait plus lente pour qu’on puisse prendre du temps pour soi, pour soigner ses amitiés.

Aline Laurent-Mayard

À chaque fois que j’ai vécu ces moments suspendus, j’ai vécu ça pleinement. Mais je ne ressentais rien de romantique. Certes il y avait du sexe, mais ce n’était pas ça qui m’intéressait, c’était l’intimité physique. Je me disais que ce serait cool qu’on puisse se permettre de vivre ces moments suspendus avec d’autres personnes. C’est-à-dire que lorsqu’on rencontre quelqu’un, on sait que ça va être un ou une pote et on reste ensemble. Se dire que oui, on a passé un super bon déjeuner, on continue la journée ensemble, on continue la soirée, on se raconte des trucs intimes et voilà. 

Ça arrive en soirée parfois ça, mais avec l’aide de l’alcool…

C’est vrai que c’est intéressant l’alcool, parce que ça fait ressortir des choses que les conventions essayent de taire. On voit à quel point on arrive à être pote avec tout le monde ! 

J’ai beaucoup aimé ton petit guide pour nouer des amitiés, que j’ai trouvé très pratico-pratique et vrai. On sent que tu l’as vécu, expérimenté…

C’est ça qui est difficile à faire. J’écris ce livre d’un point de vue situé, je suis trentenaire, entourée de gens qui sont en train de vivre des ruptures et qui voient la moitié de leurs potes avec des enfants en bas âge qui n’ont plus de temps. Les ruptures les ont aussi isolé. Je voyais autour de moi des gens qui cherchaient de nouvelles amitiés, plus adaptées à leur vie. Il est effectivement difficile de se faire des ami·es à la trentaine, même parfois à la vingtaine. Une des choses que je trouve difficile, c’est qu’on n’a plus cette culture de l’amitié, on se dit : « ça y est j’ai suffisamment d’ami·es », on n’a pas le temps. Se faire des ami·es, développer des amitiés qu’on a déjà, ça prend du temps. C’est pour ça que j’appelle à un changement de société, à une société qui serait plus lente pour qu’on puisse prendre du temps pour soi, pour soigner ses amitiés…

On a tellement mal vu l’amitié, on a tellement peur du regard des autres. Je parle beaucoup de cette question pour déranger les autres. C’est un truc que notre société individualiste nous a fait croire, qu’on dérange les autres. Alors qu’aider quelqu’un c’est un signe de confiance. Actuellement on revalorise l’amitié, c’est puissant mais si on n’a pas de nouveaux modèles, c’est juste des injonctions et des idéaux, c’est plus frustrant qu’autre chose parce qu’on pourrait le faire mais on n’a pas les outils. Donc c’est pour ça que j’ai voulu finir mon livre avec un minuscule guide.

Est-ce que tu le ferais plus gros ?

On pourrait le faire ! J’espère qu’il y a des guides plus développés sur ce sujet, un peu plus en mode développement personnel. Je propose aussi des solutions collectives à prendre pour changer l’organisation de la société, pour permettre des vies en couple plus épanouissantes, stables et sécurisées. Je voulais juste donner un avant goût des choses. On peut avoir des solutions, on peut avoir des modèles. Donc pour penser les choses, il faut juste ouvrir la conversation, créer de nouveaux modèles.

C’est pour ça aussi que j’apprécie les séries qui abordent le sujet de comment gérer les crises amicales, des ruptures amicales. On ne sait pas faire ! L’autre ne parle plus, j’arrête de lui parler et on garde tout pour soi ? Est ce qu’on essaye de faire des concessions ? Est ce qu’on ne veut pas ? Comment on gère ? En fait, on n’a pas de modèle. Je pense que c’est très important et on voit qu’il y a un changement puisqu’il y a de plus en plus de séries qui parlent de ça, qui disent que parfois l’amitié ne s’arrête jamais. 

Ouais, mais j’ai l’impression que c’est plus intériorisé, que l’amour romantique peut s’évaporer alors que l’amitié dans la tête des gens, moins…

Moi je trouve ça très paradoxal. Enfin, je trouve que tout se fait comme s’il y avait une injonction débile et une vision du monde débile. L’injonction au couple et la vision qu’on a des relations dans cette société patriarcale sont débiles. On arrive toujours à des paradoxes qui prouvent à quel point rien de ce qu’on nous a appris ne tient debout. Mais avec l’amitié, on se dit à la fois c’est pour toujours, c’est pas comme les relations amoureuses, ça va durer, on n’a pas besoin d’en prendre soin. Et en même temps, s’il y a des crises, on ne fait pas d’efforts, on ne travaille pas dessus parce que ça n’en vaut pas la peine. Ça dure pour toujours mais dès qu’il y a le moindre problème, on la laisse et on passe à la suivante ?

Avec ma sœur, ma marraine et mon meilleur ami, mon enfant a des parents dans sa vie mais les rôles ne sont pas attribués.

Aline Laurent-Mayard

Il y a un gros paradoxe : on passe notre temps à dire que les amitiés sont hyper importantes et on ne fait rien pour elles. On ne les soigne pas, on ne parle pas de ce qu’on veut en amitié, on essaye pas de les faire grandir. On se dit rarement nos sentiments, on n’ose pas, on ne conseille pas de la réparer. Depuis peu, il commence à y avoir des thérapies d’amitié. C’est hyper rare et niche. Mais tous les gens qui l’ont fait disent que c’est génial. Soit ça répare, soit ça permet de passer à autre chose parce qu’il n’y a pas de raison que les relations amicales soient des endroits parfaits. Ce sont des relations sociales qui ont leurs problèmes comme toutes les autres. Je voulais bien montrer les paradoxes dans le livre. Parce que c’est en voyant tous les paradoxes qu’on réalise que ça ne tient pas debout, qu’il y a quelque chose qui cloche.

Comment parles-tu de tout ça avec ton enfant ?

Mon enfant est encore très jeune mais ce à quoi je fais très attention, parce que je suis directement concernée, c’est de dire « personne » plutôt que de genrer les gens, pour laisser les idées ouvertes. Quand je vais voir un papa, une maman, je vais dire « les parents ». Dans mon podcast Bienvenue bébé·e je parlais du fait que les enfants apprennent le genre même dans le ventre de leurs parents et de toutes les conséquences que ça a. Gabrielle Richard, sociologue, explique cette attention nouvelle qui doit être faite. Lorsqu’elle lit des histoires à son enfant, elle dit « c’est peut-être un parent, c’est peut-être un oncle, c’est peut-être une meilleure amie ». Je trouvais que cette approche était super, de se dire que ce n’est pas parce qu’il y a deux adultes que c’est nécessairement des parents. C’est quelque chose auquel je fais attention. Alors bien sûr, dans certains livres c’est écrit très clairement et donc je vais juste dire que c’est un parent sans préciser le genre. Mais parfois, si je vois des personnes âgées, je vais dire c’est peut-être les parents, c’est peut-être les grands-parents, je vais essayer de laisser les portes ouvertes.

Mon enfant a une tante, une grand-mère qui est assez présente, une grande-marraine, c’est à dire ma marraine qui est aussi une figure grand-parentale. Et puis il y a mon meilleur ami aussi qui est là. Mon enfant a des parents dans sa vie mais les rôles ne sont pas attribués, ce ne sont pas forcément les rôles qu’on voit dans les livres. Et donc je trouvais ça effectivement important de laisser les portes ouvertes. Heureusement, on a des histoires qui apparaissent au fur et à mesure et qui sont hyper intéressantes. Dans le deuxième volet de Patatouille et dans L’amour est partout Tiffany Cooper explore justement cette injonction à l’amour romantique chez les enfants. C’est plutôt destiné aux enfants en maternelle mais je commence déjà à le lire à mon enfant qui adore les dessins. Ça fait vraiment partie de ses livres préférés. On peut ajuster un peu la façon dont on lit les histoires. Il y a de plus en plus de choses qui se passent. Dans les dessins animés, il y a toujours des familles hétéropatriarcales.

Tu veux dire que le célibat est peu représenté dans les fictions pour enfant ?

Le célibat et le divorce n’existent pas dans ces histoires. Dans les Disney, il y a pratiquement toujours des histoires d’amour. Mais si tu regardes les films qui ont toujours fait le plus d’entrées avec des personnages féminins, il n’y en a pas beaucoup mais c’est toutes des personnages célibataires. Systématiquement, si on voyait quelqu’un qui était célibataire, on allait se dire qu’iel est dans le placard : lesbienne ou gay. En réalité, il y a plein d’autres options : hétéro et ne pas être intéressé, notamment parce qu’il y a des traumas sexuels et romantiques, mais aussi parce qu’il y a de la neurodiversité, de l’asexualité, de l’aromantisme… C’est pas forcément que tu es attirée romantiquement ou sexuellement par d’autres personnes et que tu n’oses pas l’assumer, ça peut aussi vouloir dire que tu n’es pas attiré·e.

C’est le cas notamment de La Reine des Neiges

La Reine des Neiges ne s’intéresse pas à ces sujets. Je ne dis pas nécessairement qu’elle est asexuelle, aromantique, je n’en sais rien. Je dis juste qu’on n’a aucune preuve qui vont dans un sens ou dans l’autre. De même pour Rosa Bonheur. Il y a tout ce débat pour savoir si elle était lesbienne ou pas. Si ça se trouve, elle était asexuelle. Ses partenaires de vie étaient peut-être des partenaires de vie platoniques. Elle a dit qu’elle n’aimait pas les hommes, ok, mais il y a plein de femmes hétéro qui n’aiment pas les hommes [rires] ! Je ne suis pas du tout en train de dire qu’elle n’est pas lesbienne parce que c’est très possible qu’elle soit lesbienne. Qualifier toutes les relations amicales intenses en relation lesbienne ou gay enlève tellement de diversités et de possibilités à nos amitiés. C’est très dommage, ça empêche d’explorer certaines relations amicales et de développer certains modes de vie qui seraient beaucoup moins basés sur la dualité. On peut avoir plein de personnes dans sa vie.

On cherche constamment à reproduire ce truc du duo fusionnel inséparable. Tant mieux si ça fonctionne pour certaines personnes, mais on pourrait aussi penser une vie où on n’a pas de préférence. On a plein d’amis qui nous apportent plein d’amis, plein de membres de la famille. Je parle aussi beaucoup de revaloriser la famille, quand elle est là, quand elle est saine, belle. La famille choisie ou la famille d’origine. Ca peut être intergénérationnel aussi. Je trouve ça hyper dommage qu’on ait des relations toujours avec des gens qui ont maximum dix ans de plus ou de moins. J’ai une super relation avec ma marraine par exemple, ça m’apporte de la stabilité, une sécurité, du feedback, du mentorat. On a très peu de relations de mentorat. C’est dommage.

Au travail, on pourrait par exemple transformer ces relations de collègues en amitiés intergénérationnelles…

Oui et dans le monde associatif ! Il y a toujours des risques, dans tous les modèles. Là c’est que l’émotionnel soit tel qu’on accepte des choses qui ne sont pas saines. J’ai beaucoup parlé de faire famille et j’ai notamment interviewé plusieurs personnes qui ont choisi la coparentalité. Une personne me disait par exemple qu’au début elle avait choisi d’élever un enfant avec une amie. Puis, comme il y avait des sentiments, une relation affective s’est créée entre les deux parents et ça reproduisait le schéma parental classique. Du coup iels n’arrivaient pas à gérer les problèmes de façon saine. Après, il a essayé d’avoir une partenaire. Un truc pragmatique, les deux cherchent à ne pas avoir de sentiments dans leur relation. C’est juste de la bonne entente. Dès qu’il y a un problème on se dit que les sentiments vont nous permettre de gérer. Mais il vaudrait mieux avoir une vraie discussion concrète à propos de l’éducation des enfants.

Lors de la rencontre au Genre Urbain, tu parlais du lien entre personnes neurotypiques et non-binarité. Est ce que tu peux développer ? 

Ce n’est pas quelque chose qui a été énormément étudié pour l’instant. Je pense que ça peut vite devenir une pente glissante. Moi, ainsi que plein d’autres personnes concernées, on n’a pas encore osé vraiment en parler. Ce qu’on voit dans les communautés non-binaire asexuelles aromantiques, c’est qu’il y a énormément de personnes qui sont neuroatypiques. C’est un peu la question de l’œuf ou de la poule. Est ce que c’est parce qu’on est neurotypiques qu’on est plus résistant·es aux injonctions, qu’on a plus de mal à accepter, à comprendre les normes ? L’attraction romantique, les identités genrées, ce sont d’énormes constructions sociales. Si tu prends d’autres époques, ce n’est pas du tout pareil. Si on n’avait pas d’injonctions, combien de personnes vivraient de façon genrée, s’identifieraient de façon genrée ? Combien de personnes seraient attirées romantiquement, sexuellement ? C’est de ça aussi dont je parle dans le livre.

Une fois qu’on est sorti d’une norme, c’est une pelote de laine, on voit toutes les autres normes. Peut-être que ça apporte aussi une liberté : soit de se définir comme asexuel, aromantique ou non-binaire, soit comme neuroatypique. Ça veut dire : maintenant je suis à la marge. On commence à mettre les lunettes de la différence. Peut-être que ça nous donne plus de liberté de conscience et de connaissance pour sortir de ces autres dimensions. Et peut-être aussi qu’on a plus rien à perdre ! Quand je me présente aux gens, je coche toutes les cases ; je suis aromantique, non-binaire, je suis vraiment dans les marges des marges et d’ailleurs, mes étiquettes sont à peine représentées dans l’acronyme ! Et c’est vrai que même dans la communauté LGBT, on n’est souvent pas à notre place, on est souvent rejeté.

Comment tu te positionnes par rapport au journalisme dit objectif ou militant ?

Je fais partie de l’AJL donc j’ai un point de vue très clair là-dessus. L’AJL a été cofondée par Alice Coffin. Elle le résume très bien : « l’objectivité dans notre société, c’est juste l’objectivité des mecs blancs, hétéros, bourgeois ». Donc ce n’est pas réellement une objectivité. Chaque journaliste a un regard, que ce soit le regard de ce qu’on veut connaître, les questions qui nous intéressent. On va étudier les faits, regarder les opinions des unes et des autres, avoir des contres, chercher des preuves, chercher un discours contradictoire, etc.

Le fait d’avoir choisi d’écrire tel ou tel article est subjectif. On l’a choisi parce qu’on a trouvé que le sujet était intéressant. C’est surtout ça qui compte. Si je fais tout le travail que je fais c’est parce que je suis aux marges de la société en termes d’orientation sexuelle, romantique et de genre. Ça m’apporte un regard que les autres n’ont pas, ça me fait me poser d’autres questions.

Tu pourrais donner un exemple ?

Je me suis interrogée sur le don de sperme quand j’ai voulu avoir un enfant seule. Une personne qui vit dans les normes ne se pose pas ces questions et donc elle ne va pas faire ce travail là. Et si elle le fait, elle n’aura pas la même approche. Elle ne va pas réussir à poser les mêmes questions, à intégrer les communautés de la même façon. C’est génial qu’on ait des points de vue, des approches différentes, ça apporte de la diversité. C’est ça le bon journalisme, c’est saisir toute la diversité de la société, toute la nuance. Ne sois pas journaliste si tu as envie que les choses restent comme elles sont.

Tu es autant à l’aise avec les essais que le podcast. Est-ce qu’une adaptation en BD serait imaginable ?

J’ai eu tellement de demandes. Depuis la sortie de Free From Desire, les projets se sont enchaînés : le sujet est tellement vaste qu’il y a plein de choses à dire. Je n’ai pas eu le temps de développer d’autres projets, notamment l’adaptation en roman graphique de Free From Desire, mais c’est vraiment quelque chose que j’aimerais faire. Comme le podcast est sorti aux États-Unis, ce n’est peut-être pas le bon moment.

Tu lis des romans graphiques ?

J’en ai lu beaucoup à un moment et là, honnêtement, je n’ai plus le temps. C’est un peu le problème quand on fait des essais, il faut se documenter et ça prend du temps…

Quel est ton dernier coup de cœur littéraire ?

Il n’est pas tout récent mais je dirais Genre Queer, un roman graphique sur la non binarité qui touche a beaucoup de thématiques queer !

© Casterman

Post-romantique, Comment moins de romance pourrait sauver l’amour (et la société), Aline Laurent-Mayard, éditions JC Lattès, 304 p., 20€

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