CINÉMA

« La salle des profs » – Dérive éducative

Carla Nowak, jeune professeure de mathématique et d’éducation physique dans un collège, décide de mener sa propre enquête alors qu’une série de vols d’argent vient perturber sa classe. Le film d’Ilker Çatak investit le terrain cinématographique du film de prof sous la forme d’un thriller psychologique tendu, extrêmement maîtrisé.

Nous emmener dans la salle des profs, celle résolument proscrite à l’élève que la·e spectateur·ice fut. Telle est la promesse du titre du film. Et l’idée est bonne. Pénétrer dans cet espace interdit marque la déroute du personnage, de son autorité et du pacte qui l’unit à ses élèves et sa hiérarchie. C’est en effet dans la salle des profs que Carla va découvrir ce qu’elle pense être les preuves irréfutables de ces vols en question en laissant la caméra de son ordinateur allumée.

Spirale infernale

S’enclenche alors un engrenage que rien ne semble pouvoir arrêter. Une quête pour que la vérité éclate mais celle-ci n’éclate jamais vraiment. Le spectateur se retrouve pris dans les rouages d’une institution qui ne permet pas vraiment la justice. Un who dunnit où le cheminement de la vérité est sans cesse contrarié par les rouages administratifs et soubresauts d’un système scolaire usé. Comme dans Anatomie d’une chute, la vérité est ici bien plus affaire de construction mentale dont le spectateur est chargé de se saisir.

Le film carbure à l’anxiété des personnages, en particulier Carla. La performance de Leonie Benesch est ici à saluer. Son jeu physique entre maîtrise et dérive paranoïaque nous maintient en haleine pendant tout le film. La bande son de Marvin Miller accompagne à la perfection cette spirale anxiogène vers laquelle le personnage plonge. Carla est un personnage dont l’intégrité morale et pédagogique sont sans cesse testées, à mesure que sa recherche vers la certitude la mène dans l’impasse.

Impasse

Ce qui apparaît comme une vérité objective à ses yeux ouvre une brèche vers le doute dans laquelle s’engouffre pulsions et jugements (des parents, collègues, élèves…). Le film met remarquablement bien en scène cette confrontation entre le point de vue de Carla et le regard des autres, contre lequel elle se cogne très fort (parfois littéralement). La question du regard devient primordiale dans le film. Qui a raison ? Où doit-on se placer ? A hauteur d’enfant, adulte, parent ? Dans cet univers clos, Çatak organise parfaitement ce ballet de regards et de points de vue. Les échanges prennent progressivement tous la forme d’interrogatoires violents. La confrontation entre Carla et ses élèves est passionnante à regarder. Ce qui nous rappelle une évidence : le monde des adultes est aussi celui des enfants.

Une des forces du film est de ne jamais sortir de l’enceinte de l’établissement scolaire. L’absence de hors-champ redouble la claustration du récit. Les couloirs du collège s’apparentent progressivement à un labyrinthe dont il est impossible d’en sortir. Carla devient un personnage de plus en plus perdu, prise au piège dans son rôle de prof. Toujours dans l’incapacité à sortir des fonctions qui lui sont assignées alors que celles-ci ne la mènent que vers davantage de chaos et de confusion. La réussite du film réside dans l’étude précise de l’obstination de son héroïne et de son allégeance à l’institution scolaire, qui la malmène pourtant de bout en bout.

Le film propose ainsi une autre forme de récit initiatique et d’apprentissage, celle des affres de l’administration publique.

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