Il reste encore demain a dépassé La vita è bella au box-office italien. Le film fait se déplacer des millions de personnes dans les salles obscures, délaissées en Italie. Il a gagné trois prix au Festival du film de Rome, et continue de faire grand bruit à l’international. En somme, le nouveau film de Paola Cortellesi n’a pas fini de faire parler de lui. Et heureusement.
Delia est une mère de famille comme l’on en trouve pléthore à Rome. Mariée à Ivano, mère de trois enfants, la protagoniste d’Il reste encore demain partage ses journées en trois. Au petit matin, elle s’occupe de sa famille. Pendant la journée, elle travaille, enchaînant cinq ou six petits boulots pour ramener de l’argent à la maison. Et le soir, elle s’occupe de nouveau de sa famille. Cette routine bien rodée est entrecoupée par les (nombreux) accès de violence — aussi bien psychologique que physique — de son mari. Silencieuse, Delia ne dit rien. Pour protéger ses enfants, faire honneur à son mariage. Afin de défendre son mari, traumatisé par deux guerres mondiales. Pour ne pas être traitée de folle, ou bien couverte de honte, laissée à la rue, déshonorée. Dans la vieille et pourtant si actuelle Rome des années 50, Delia endure, chaque matin, le privilège d’être née femme.
Un coup de poing au ventre d’une délicatesse totale…
Il reste encore demain n’est heureusement pas le premier film à traiter de violences conjugales. Nous pouvons heureusement en compter de plus en plus, portés par des personnes qui savent ce qu’elles disent et comment le dire. Elles représentent de mieux en mieux, à l’écran, la triste réalité que l’on pourrait avoir du mal à accepter au quotidien. Avec la volonté – juste et légitime – de choquer, de réveiller, de faire prendre conscience.
Cependant, ce qui manque parfois dans ce genre de film, c’est la terrifiante banalité qui caractérise le climat de violences conjugales. Souvent, elle est palliée par un flou juridique qui permet à n’importe quelle personne avec un tant soit peu de mauvaise volonté de se dire « Oui, mais c’est parce que… », et de s’en tirer.
Mais Il reste encore demain rebat toutes ces cartes. Dans le film, les violences conjugales sont dansées, les violences sexuelles sous-entendues, les regards honteux ou réprobateurs banalisés. Rien de choquant, et pourtant tout à vomir. C’est un film qui, par son écriture délicate et dangereusement juste, bloque la route à toute excuse, à toute incompréhension. On en sort malade, parce que le quotidien frappe plus violemment que l’exceptionnel. Et ceux qui ne comprendraient pas pourquoi ils ont été mal à l’aise devant ce film reçoivent ainsi une inconsciente et puissante leçon d’éducation.
… porté par des acteurs d’une très belle justesse…
Le casting d’Il reste encore demain est à la hauteur de son scénario, porté par une sublime Paola Cortellesi. À la hauteur de ces héroïnes tragiques qui, pourtant, n’inspirent aucun pathos, la réalisatrice-actrice se charge du poids et de la voix des femmes dont le sang coule à la fois dans ses veines et dans la rue. Et ce, sans jamais un mot de trop, car tout se joue en un regard.
Valerio Mastandrea donne le change à Paola Cortellesi, en jouant un mari qui pourrait être notre grand-père, notre voisin, le vieux qui nous sourit tous les jours au PMU. Il est terrifiant, sans jamais éclipser Delia. Il la terrorise dans le silence qui caractérise les violences conjugales sans pour autant, jamais, réussir à l’écraser. Le mari violent est soutenu par la figure d’un père étouffant, que l’on cherche à respecter pour oublier qu’on le craint, interprété par Giorgio Colangeli.
Au sein de ce casting de grande qualité émerge également Marcella (Romana Maggiore Vergano), fille aînée de la famille. Elle représente l’espoir d’une jeunesse qui regarde avec effarement ses aînés reproduire les erreurs de leurs aînés à eux, et qui lutte farouchement pour ne pas tomber dans ce gouffre. Sans forcément y arriver, Marcella jure de ne pas finir comme sa mère, qu’elle méprise. Au lieu de lui en vouloir, Delia va déclencher l’étincelle lui permettra de tuer le serpent qui se mord la queue. Après tout, c’est à ça que servent les mamans.
…dans une Rome plus vraie que nature.
Au-delà de l’histoire, du scénario et de la performance des acteurs, il convient de profiter de ce film pour découvrir Rome sous un autre angle. Dans une ville qui semble figée dans le temps, le noir et blanc choisi par Cortellesi reflète un passé pas si lointain. C’est ainsi que l’on se rend compte que, s’il suffit d’un filtre monochrome pour plonger la capitale italienne dans les années 50, c’est qu’une étape de l’évolution n’a pas eu lieu. Et, si ici l’on parle d’architecture, c’est une belle comparaison avec le propos du film.
Tout est juste dans ce décor d’un autre temps, auquel on a simplement rajouté des lavandières et des militaires américains. Des histoires d’amour qui se jouent à l’ombre des marchés, des rencontres le long des routes désertes, une ville qui respire la chaleur et la moiteur d’une société à l’arrêt… Rome se met toute entière au service de Cortellesi. Qui nous raconte une histoire d’aujourd’hui, avec un filtre monochrome.
Mais il reste encore demain.
C’est un choix, dans un script, que de placer dans un dialogue le titre même du film. Cela confère à ce dernier une tout autre portée. On le lie non plus seulement au propos, mais également au contexte, à l’instant T où il est prononcé. Dans Il reste encore demain, Cortellesi nous aboie cette phrase comme un ordre emballé dans du satin. Une promesse d’espoir qui a dû, malheureusement, traverser les générations.
Il reste encore demain, aujourd’hui rien ne finit.
Il reste encore demain, relevez-vous et respirez un grand coup.
Il reste encore demain : Ne io, ne tutte.
Il reste encore demain de Paola Cortellesi. Au cinéma le 14 mars.