Ryōko Sekiguchi publie L’appel des odeurs. Ce livre mirobolant est un maillage entre fragrances et souvenirs qui happe, toute entière, notre attention.
Comment évoquer ce livre sans ôter le plaisir de la découverte à celles et ceux qui le liront ? L’appel des odeurs est une balade olfactive qui va de fictions en réflexions en citations. « À chaque respiration, on sent. Vingt-mille fois par jour ». Comme un parfum qui traverse la pièce, Ryōko Sekiguchi réussit à inventer un livre qui a l’apesanteur d’une senteur. Elle enveloppe sans insistance. Chaque chapitre embaumant nos sens d’une manière unique et surprenante.
Néanmoins, dans le livre, aucun échantillon de parfum ou de carte odorante à gratter comme John Waters l’avait pensé pour l’un de ses films en salle. C’est le livre lui-même qui produit son propre parfum. Il opère une transmutation faisant exhaler des mots des senteurs mentales. « Aussi parfumés que les odeurs, les mots devenaient des messagers semblables à la fumée, aussi sonores que la voix, aussi voyageurs que les histoires ». Ce cheminement n’est pas un catalogue thématique mais la proposition d’une expérience de lecture sensible. Le nez devient notre guide et non le sujet.
L’odeur est le prêt que nous accorde un corps. Et les mots, les voix sont là pour que surgisse devant nous l’hologramme olfactif.
L’appel des odeurs – Ryōko Sekiguchi
Dis-moi ce que tu sens
Comment un simple souvenir peut-il faire rejaillir une odeur passée ? Quelle allure auraient les musées si les tableaux, en plus de frapper l’œil, avaient la capacité de ravir nos narines ? Existe-t-il une odeur de l’absence ? Une odeur de la lumière ? Une odeur du début de l’amour ? Ou de la mort qui vient ? Est-il véritablement impossible de sentir sa propre odeur ? Un artiste est-il reconnaissable à l’odeur laissée dans ses oeuvres ? Dans ses pages, l’autrice-traductrice dépose ces interrogations. Elle écrit sur la puissance de l’odorat capable de lier les êtres, les vivants aux morts, le réel et la fiction.
L’appel des odeurs est un recueil de plusieurs nouvelles qui font le récit de femmes qui ont toutes une certaine dépendance aux fragrances : « Il n’y avait pas une seconde où elle ne pensait pas à ce qu’elle sentait. Son univers était tout entier composé d’odeurs ». Ces femmes vivent à des époques lointaines et dans des contrées très éloignées. Pourtant, elles se font écho comme si elles étaient une femme métamorphique ayant vécu mille vies.
Histoires de fragrances
Le livre de Ryōko Sekiguchi traverse les jardins parisiens, une librairie d’Helsinki, une imprimerie à Téhéran, hume des prunes confies au Japon. Chaque vie est une histoire de parfum. Une femme cherche à en retenir le plus grand nombre en transcrivant, avec fidélité, les fulgurances perçues dans des carnets. Une autre raconte avoir passé une nuit (qu’elle savait unique) avec un homme pour qui elle avait composé une playlist olfactive. Une autre encore entretient une liaison épistolaire dans laquelle elle échange, avec une autre femme, des récits de rêves odorants.
Au fil du texte, nous rencontrons un parfumeur créant des essences exceptionnelles pour son amie, une enquêtrice littéraire à la recherche de la métamorphose, un père cuistot apprenant à sa fille à cuisiner à l’écoute des arômes et des exhalaisons nées des cuissons. Cependant, un des récits les plus déstabilisants est celui d’une femme qui, suite à un accident, perd l’odorat. Cette anosmie est une déréliction qui provoque en elle la sensation que son être s’est littéralement amoindri. Que ferions-nous si le monde perdait toutes ses odeurs ?
Ryōko Sekiguchi poursuit son exploration fragmentée de l’impalpable et des différents sens. Après le goût et la voix, cet essai poétique célèbre ce que peut notre odorat. Usant d’une écriture du corps, elle pense les odeurs dans leur pluralité : envoutantes, désarmantes, évanescentes, absentes. Une réflexion précieuse et inattendue.
