Et le rose fut. Une fois encore, la productrice techno Irène Dresel présente un projet détonnant et haut en couleurs, Rose Fluo sorti le 26 janvier dernier.
Un troisième album qui vient clore une trilogie amorcée avec son premier LP Hyper Cristal il y a cinq ans. Première femme à remporter un César de la meilleure musique originale en 2023 pour le film À plein temps, cette plasticienne convertie aux musiques électroniques livre à présent l’une des sorties les plus attendues de ce début d’année de la scène électro française. Rencontre avec la créatrice d’un paysage sonore luxuriant.
Ton album est sorti il y a une dizaine de jours, comment te sens-tu ?
Je suis très contente, il a été très bien accueilli. Cela fait maintenant dix jours depuis sa sortie et je reçois constamment des messages positifs. Je suis vraiment ravie parce que j’ai finalisé cet album en octobre dernier, donc j’avais déjà avancé sur d’autres projets depuis. Le fait qu’il soit finalement sorti, c’est très satisfaisant !
Ça faisait combien de temps que tu bossais dessus ?
J’y ai travaillé pendant deux ans.
Si on revient à une présentation générale de ton travail et à tes débuts, comment as-tu découvert la musique électronique ?
J’ai découvert la musique électronique au sens large il y a longtemps. En ce qui concerne la techno, ça remonte à 2006 ou 2007. J’ai été vraiment marquée lors d’un festival où j’ai adoré le set de James Holden. Avant cela, j’écoutais de la musique expérimentale islandaise, ce qui incluait déjà des sonorités électroniques, sans que ce soit de la techno.
Je sais que tu travailles beaucoup avec Sizo Del Givry, qui est aussi ton compagnon et qui joue des percussions. Comment se passe cette collaboration ?
En ce qui concerne la composition, c’est moi qui m’en charge entièrement. Une fois que j’ai presque terminé la composition, Sizo vient au studio pour écouter ce que j’ai fait, donner ses commentaires et ajouter ses parties de percussions. Parfois, je lui laisse les morceaux sur une clé pour qu’il les écoute et se balade avec. Cela lui permet d’anticiper les percussions qu’il pourrait ajouter.
Et est-ce qu’il a une liberté totale dans son travail ou tu lui donnes des indications ?
En général, ses propositions sont très bonnes dès le départ et s’intègrent bien avec ce que j’ai déjà fait. Il se trompe rarement ! Je lui laisse une grande liberté dans son travail. Parfois, je peux lui donner des indications spécifiques, mais dans l’ensemble, on se complète bien et nous travaillons de manière très fluide.
Quel est ton avis sur la place des femmes dans la musique électronique en France aujourd’hui ?
C’est une question complexe. On est deux sur scène, alors je ne ressens pas les mêmes difficultés qu’une artiste solo. Je sais que pour les DJ femmes, notamment, cela peut être compliqué. Le sujet semble avoir évolué positivement ces dernières années. Les femmes sont de plus en plus présentes et représentées dans la musique électronique. Hier, j’ai discuté avec une Hollandaise qui m’a dit que ses deux filles étaient DJ et qu’elle-même trouvait que la place des femmes dans le milieu évoluait beaucoup. Personnellement, je n’ai jamais eu de difficulté à m’imposer en tant que femme sur scène, mais c’est surtout parce que nous formons un duo mixte. Je me demande ce qu’en pense Mathilde de Ascendant Vierge par exemple… [ndlr : Ascendant Vierge est un groupe de musique électronique composé de Mathilde Fernandez et de Paul Seul]
Revenons à ton dernier album, Rose Fluo. Quelle histoire raconte-t-il ?
Il ne raconte rien en particulier, c’est plutôt un voyage psychédélique à travers quatorze titres pendant plus d’une heure. Une sorte d’expérience intense avec de nombreuses variations. Quelque chose de vraiment fluo en fait !
Et quel a été ton processus de travail pour cet album par rapport aux précédents ?
Mon processus de travail est resté le même. Je n’ai rien changé. J’ai collaboré avec les mêmes personnes dans les mêmes conditions, toujours dans mon petit studio à la campagne, dans mon étable. Je voulais maintenir une cohérence entre mes trois albums, donc il était important pour moi de travailler avec les mêmes personnes. Peut-être que je changerais quelque chose pour le prochain album, mais pour celui-ci, j’ai gardé la même configuration.
Pour ce qui est de l’aspect visuel du projet, de la pochette de l’album, comment as-tu conçu cet univers ?
J’ai travaillé avec la même personne, Ruben, qui avait déjà créé la pochette de mon premier album. Je voulais garder une certaine continuité visuelle, mais aussi qu’il y ait sa patte artistique. Je voulais que tout soit cohérent avec mon univers musical. Pour Hyper Cristal, le premier album, j’avais l’idée d’avoir mon visage voilé sur la pochette, que Ruben a décliné en dessin. Pareil pour la pochette du deuxième, KINKY DOGMA. J’ai l’idée de départ, ensuite, j’essaye de trouver des personnes intéressées par le projet, qui sauront sublimer ces idées en ajoutant des couleurs et en affinant les détails.
Et comment choisis-tu les titres de tes morceaux ?
J’ai un fichier de noms sur mon téléphone où je note des mots qui me touchent dans ma vie quotidienne. Parfois, je choisis un titre en fonction de ce que je vis à ce moment-là. Ensuite, lorsque je compose, je puise dans cette liste de noms pour nommer mes morceaux. Par exemple, sur Hyper Cristal, il y a un morceau qui s’appelle « Chambre2 » parce que nous étions logés dans une chambre numéro 2 lors d’un festival, et j’ai adoré cet endroit. On est retourné y dormir pour faire des vidéos, des dessins… Donc le morceau que je composais à ce moment-là, je l’ai appelé « Chambre2 ».
Un autre exemple, le morceau « Valkyrie ». Ce titre fait écho à l’univers des chevaliers avec des femmes guerrières à cheval. Lorsque je composais ce morceau, ce mot était déjà dans ma liste de noms et je trouvais qu’il correspondait parfaitement à l’atmosphère que je voulais créer. « Criloup », c’est un remix du morceau « Loup Solitaire » qui figurait sur mon deuxième album. J’ai décidé de changer le nom pour « Criloup », qui fait référence à un petit village près de chez moi. Le mot « loup » était déjà présent dans le titre d’origine, donc cela me semblait cohérent.
Pour « Sosie », ce titre vient du fait qu’il contient des samples du morceau « Rita », ce qui en fait une sorte de duplicata. En plus, « Sosie » c’est l’envers de Sizo, qui est aux percussions ! « Melchisedech », c’est le nom d’une bouteille de champagne de 30 litres, mais c’est aussi le nom d’un personnage biblique. Lorsque j’ai composé ce morceau, j’ai trouvé qu’il évoquait des bulles de champagne, d’où le choix de ce nom. J’ai poussé l’exagération quand même. Chaque titre a une signification spéciale, fait écho à une anecdote, au final tout se rejoint !
Et concernant ton obsession pour les fleurs, notamment les roses ?
Ma passion pour les fleurs se reflète dans mon chez moi, où il y en a partout, dans mon jardin ou sur mes papiers peints. J’ai planté beaucoup de rosiers, la rose est de loin ma fleur préférée. C’est un symbole d’amour, c’est la fleur la plus noble… Quand j’ai commencé mon projet en 2016, j’ai voulu intégrer des fleurs pour décorer le desk où je posais mes machines lors de mes concerts, même si je ne suis pas DJ. La première fois c’était au Silencio à Paris. Je trouvais le desk nu horrible, trop massif, j’avais vraiment envie de le décorer. Les fleurs rendaient si bien que j’ai voulu recommencer à chaque fois ! Alors on a investi dans des fleurs artificielles, et date après date, c’est devenu progressivement une partie de mon identité artistique. On s’amuse beaucoup à l’exagérer aujourd’hui.
Tu as mentionné que tu n’étais pas DJ.
Non, je ne suis pas du tout DJ, car je ne sais pas du tout mixer (rires). Il faudrait vraiment que j’apprenne. Je joue en live mes propres boucles de son, c’est vraiment différent. Être DJ, c’est mixer un morceau avec un autre, combiner les pistes ensemble. Je comprends comment cela fonctionne, mais la dernière fois que j’ai essayé, c’était il y à 10 ans. Donc, quand on dit que je suis DJ, c’est vraiment faux, je ne veux pas usurper l’identité d’autres artistes. C’est un style de travail distinct. D’autant plus qu’aujourd’hui, de nombreux producteurs et productrices sont également DJ, comme Chloé par exemple.
Mais oui, ça serait super que j’apprenne à mixer, parce que parfois, il y a des dates où ils ne peuvent pas accueillir toute la logistique que nécessite notre équipe. Lorsque nous montons sur scène, c’est un processus assez lourd, on est six, avec toutes les machines. On passe à côté de certaines occasions parce que les programmeurs sont découragés par la complexité de notre setup.
Sur ton album précédent, KINKY DOGMA, tu as un morceau intitulé « Bienvenue », qui a été très inspiré du film Midsommar réalisé par Ari Aster que tu dis avoir vu plusieurs fois. Est-ce que pour Rose Fluo, il y a des films, des pièces de théâtre ou des livres qui t’ont autant inspirée ?
Pour Rose Fluo, je me suis davantage concentrée sur le son et la musique, sans être spécifiquement inspirée par des œuvres cinématographiques ou littéraires comme cela a pu être le cas pour KINKY DOGMA.
Quel genre de réception attends-tu du public pour ce dernier projet ?
C’est une question intéressante. Je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre. Récemment, quelqu’un m’a dit avoir pleuré en écoutant une de mes chansons, « Thérèse ». C’est touchant, mais ce n’était pas mon intention de faire pleurer les gens ! J’aimerais que Rose Fluo soit fédérateur, qu’il donne envie de danser et de créer une atmosphère positive. J’ai vu une autre personne dire qu’elle dansait malgré ses douleurs au dos en écoutant mon album, ce qui lui procurait de la souplesse. C’est ce genre de réactions que j’espère susciter. En fait j’aimerais que Rose Fluo apporte de la joie et de l’énergie à ceux qui l’écoutent.
Y a-t-il des endroits où tu as hâte de le jouer ?
Je suis vraiment impatiente de jouer à Dour. C’est un peu comme un fantasme, cet énorme festival. L’ambiance a l’air dingue, surtout avec le public belge, qui est je crois l’un des meilleurs publics. C’est quelque chose qu’on envisage depuis longtemps, et je pense que le moment est enfin venu.
Avec Rose Fluo, tu conclus un triptyque. Quels sont tes projets pour l’avenir ?
Avec ce dernier projet, je termine effectivement un cycle de trois albums. Pour l’avenir, je vais me concentrer sur la tournée de ce dernier projet, qui devrait durer environ un à deux ans, jusqu’en 2025 peut-être. Après cela, je verrai. Je ne suis pas quelqu’un qui planifie sur le long terme. Je préfère prendre les choses au jour le jour, voire à la semaine. En général, je ne planifie pas plus de quatre mois à l’avance. Je suis toujours admirative des personnes capables de faire des plans sur dix ans, de dire « dans cinq ans, je serai là », mais ce n’est pas du tout ma façon de fonctionner ! Je suis sûre que de nouvelles idées viendront naturellement, mais pour l’instant, je me concentre sur la tournée et je verrai ce qui se présente ensuite.