Dans son nouveau roman, Karim Miské, écrivain et réalisateur franco-mauritanien raconte une France du futur, où les nouvelles appartenances politiques, extrêmement tranchées et radicales, prennent le pas sur les idées.
Engagé et militant, Karim Miské a constamment cherché à revisiter des pans occultés de l’histoire à travers plusieurs documentaires, tels que Juifs et musulmans (2013) ou Décolonisations (2017). Né à Abidjan en 1964, il a fait ses premières incursions dans le monde de la fiction en 2012 avec son roman Arab Jazz, récompensé par le Grand Prix de littérature policière et traduit dans plusieurs langues. Fidèle à ses débuts avec le roman policier, Miské, ajoute avec La Situation une dimension d’anticipation à ses récits. Il fusionne ainsi habilement les fictions tortueuses de ses romans avec le vacarme du réel.
Difficile de qualifier ce livre. La Situation dépeint une guerre civile déchirant la région parisienne en 2030, tout en étant un remake de la Commune de Paris. Tout comme la guerre d’Algérie était désignée par l’évasif « Événements », la Situation du titre est un euphémisme pour atténuer ce qui échappe au contrôle des dirigeants. Nous sommes en 2030, et dès les premières pages se dessinent les contours d’une future France déchirée, où les confrontations entre « l’islamo-ewokisme » et l’extrême droite, bientôt rejoints par des islamistes radicaux, font rage. La nation se trouve plongée dans un tourbillon brûlant de violence et de guerre civile.
Guerre, politique et chaos
Dans La Situation, la France de 2030 se divise principalement en trois blocs distincts : l’égalité représentée par le parti présidentiel, la Ligue Française rassemblant les partis d’extrême droite, et le Front Uni, où les islamo-wokistes adoptent avec autodérision le nom d’ewoks (un clin d’œil à Star Wars). Le gouvernement, oscillant entre tendances centristes et opportunisme, a fui la capitale, laissant le Grand Paris en proie à un conflit latent, en référence à la Commune de 1870 et sa guerre de positions.
Au cœur de ce chaos, Kamel Kassim, traumatisé par la mort de sa meilleure amie lors d’une fusillade dans un café à laquelle il a miraculeusement réchappé, mène une existence barricadée derrière des checkpoints. Écrivain à succès de romans policiers, il est contraint de plonger dans les intrigues sinistres du pays lorsqu’une attaque survient au pied de son immeuble. Cette configuration politique révèle une France fragmentée, où les affiliations prévalent sur les idées, transformant l’idéologie en une appartenance quasi tribale. La polarisation est telle qu’il devient difficile d’écouter un adversaire politique, même si ses propos sont sensés. À l’image d’un sismologue explorant les lignes de faille de la société, Karim Miské plonge son personnage, Kamel Kassim, au cœur d’une France fracturée.
En dépassant le panneau qui souhaite Bienvenue à Pantin, ville fleurie, je me dis qu’une nouvelle vie commence peut-être ici, avenue Jean-Jaurès, à l’orée du 9-3. Bars d’inspiration brooklynienne, temples tamouls, recycleries, boutiques de stylistes nigérians, brasseries eco-friendly, mosquées néo-soufies. Pantin, the place to be. Le terre-plein central est planté de citronniers, les façades d’immeubles sont végétalisées. En hauteur, des treilles recouvrent les terrasses.
Karim Miské, La Situation
Limites du concept
Cette épopée politique, tableau riche de sens et de références, s’essouffle cependant rapidement. Le mélange des genres (politique, action, dystopie, histoire d’amour) crée une ambiguïté déconcertante. Bien que l’idée d’un basculement vers le pire dans La Situation puisse susciter la réflexion, le discours se révèle trop souvent simpliste, voire caricatural. L’impulsion narrative prometteuse s’évapore rapidement, noyée dans des personnages et des courants politiques parfois stéréotypés. Wokistes, islamiques et zadistes se trouvent amalgamés sur le même champ de bataille, réduits à de pâles clichés d’eux-mêmes, des extrapolations vagues.
Cependant, Miské ne se contente pas de dresser un tableau sombre et dystopique de la société. Il transcende les conventions du polar pour développer une vision critique du présent et de l’avenir. Le contexte de 2030 interpelle sur les problèmes actuels de la France, avec une société fracturée sous un pouvoir ultra-libéral. Rappelant que la « Situation » contemporaine peut un jour basculer dans la dystopie.
La Situation de Karim Miské, éditions Les Avrils, 272 p., 22€
