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FLASHBACK – 20 ans après : « The College Dropout » de Kanye West

© Danny Clinch
© Danny Clinch

Il y a 20 ans jour pour jour sortait The College Dropout de Kanye West. Retour sur ce disque à l’origine d’une carrière influente.

10 février 2004. Kanye West va insuffler un renouveau dans le Hip-Hop avec son album The College Dropout. Lui qui a quitté l’école d’art de Chicago pour se consacrer à la musique dès les années 90 va laisser une empreinte indélébile. Marquer l’histoire de la culture Hip-Hop est une chose. Mais en devenir un symbole et une source d’inspiration pour les générations suivantes en est une autre.

Dans un contexte où le gangsta rap est à son apogée, si l’on se réfère au succès de l’album Get Rich Or Die Tryin’ de 50 Cent paru un an avant, Kanye ne va pas hésiter à briser les codes pour créer sa propre voie. Une œuvre majeure dans sa carrière et dans celle de nombreux artistes.

Des débuts tumultueux

Alors qu’il gravite dans le monde du Hip-Hop depuis plusieurs années, Kanye West n’est à ce moment-là qu’un simple beatmaker. Il est l’homme de l’ombre. Celui qui a entre autres produit pour Jay-Z (notamment sur The Blueprint) et les rappeurs affiliés à son label Roc-A-Fella. Mais Kanye souhaite atteindre un nouveau palier. Lui qui a pour ambition de devenir un artiste à part entière ne veut plus se contenter de produire des morceaux.

Alors que le label prône un mode de vie « gangsta » avec tous les dangers que cela comporte, Kanye West est précisément à l’opposé de cette direction artistique. Sans histoire et issu d’une école d’art, il n’y a selon les dirigeants de Roc-A-Fella aucune chance pour que sa musique soit écoutée. Ce n’est pas ce qui plait à la majorité des auditeurs rap à ce moment-là. D’autant plus que le label regorge déjà de nombreux rappeurs parmi lesquels Freeway, Memphis Bleek, Young Gunz, Beanie Sigel ou encore Cam’ron figurent. Tous y racontent leur lien avec la rue et les activités illicites qui rythment leur quotidien. Rien ne laisse donc présager l’éclosion artistique d’un homme tel que Kanye West.

Mais c’est mal connaitre le personnage que de penser qu’il va abandonner. Convaincu de son talent, il met tout en œuvre afin de se faire une place de choix au milieu de cette concurrence. Allant même jusqu’à harceler Jay-Z pour lui faire écouter les maquettes de ses morceaux. Face à une telle obstination, le label va lui accorder sa confiance pour qu’il puisse débuter la production de ce qui est aujourd’hui un classique du rap américain.

Sur le papier il dispose du feu vert de Roc-A-Fella. Mais la réalité est tout autre. Alors que les artistes du label ont un budget alloué à la promotion en plus d’une date de sortie pour leurs projets respectifs, The College Dropout est sans cesse repoussé. Aucun soutien financier n’est attribué et la frustration grandie de jour en jour du côté de Kanye. Un évènement va cependant tout changer : un accident de voiture qui va lui briser la mâchoire. Cet incident va l’inspirer pour créer « Through The Wire », morceau enregistré deux semaines après l’accident. Si vous prêtez attention, on peut entendre les séquelles impacter la diction du rappeur. Convaincu qu’il tient là le morceau qui peut changer la donne, il investira son propre argent afin d’en réaliser le clip. Face à ce succès, Damon Dash co-fondateur du label va donner une date de sortie pour l’album.

S’affranchir des codes

The College Dropout brise les codes tant sur le plan visuel que musical. Les années 2000 ayant permis au gangsta rap de faire son retour sur le devant de la scène, Kanye West va une fois de plus partir dans une direction artistique en totale contradiction avec la tendance. Oublions les bijoux et autres signes de richesse fièrement exhibés. À la place c’est un ourson qui est mis en avant sur la pochette de l’album. Il en va de même pour le titre, The College Dropout, référence à l’abandon de son cursus universitaire.

L’esthétique est peu commune pour l’époque et marque une rupture avec les visuels plus conventionnels des autres rappeurs. Les clips symbolisent aussi ce renouveau. C’est notamment le cas de la chanson « Jesus Walks » qui bénéficiera de deux versions différentes dont une fera polémique pour avoir représenté Jésus Christ par une personne afro-américaine. Ça ne sera pas la seule fois où l’artiste fera référence à la religion. Celle-ci est un élément central dans sa discographie, notamment dans l’album Jesus Is King.

Outre l’imagerie, c’est musicalement que l’album prend une tout autre dimension. Kanye repousse certaines limites mais reste fidèle aux racines Hip-Hop et puise dans une large gamme de samples soul. Ces derniers sont retravaillés avec des voix high pitchées (volontairement montées dans les aigus) et confèrent ainsi un aspect chaleureux aux morceaux. C’est d’ailleurs ce procédé qui permet à l’œuvre d’affirmer son identité musicale et ainsi retenir l’attention du public. L’utilisation de l’auto-tune novatrice pour l’époque mais terriblement efficace sur l’interlude « Graduation Day » permet d’élever le morceau. De même pour les violons et autres talk box qui accompagnent « The New Workout Plan ». Un rendu homogène qui oscille entre l’orchestral et un rap plus conventionnel.

Par ailleurs, les thèmes abordés amènent eux aussi leurs lots de nouveautés au sein du label. Dès le deuxième morceau « We Don’t Care », Kanye West se mue en commentateur. Il fait part de ses réflexions sur la société et met en lumière les inégalités auxquelles se heurtent les Afro-Américains. Le titre « All Falls Down » quant à lui est une critique du matérialisme. Il met en scène une étudiante subissant la pression de ses parents afin qu’elle termine ses études universitaires. Autre exemple de cet aspect revendicateur, la chanson « Two Words » dont le concept est d’utiliser deux mots s’opposants afin de révéler les contradictions de la société américaine. Une œuvre très revendicatrice donc parsemée de commentaires sociaux et de moments plus introspectifs à l’image du dernier morceau « Last Call » dans lequel l’artiste retrace son parcours.

Porte ouverte aux futurs rappeurs

Si aujourd’hui Kanye West est reconnu comme l’un des artistes les plus importants et influents de la musique c’est en partie grâce à The College Dropout. Avec cet album, il permet à toute une génération d’auditeurs de se familiariser avec le rap loin des clichés habituels. Certes, cette envie d’aborder d’autres thèmes n’est pas nouvelle. Nous pouvons citer des groupes comme De La Soul, A Tribe Called Quest ou encore les Jungle Brothers qui dès la fin des années 80 diffusent un message très afro-centré. Loin de tous les vices engendrés par le rap de cette période.

Cependant, avoir une telle influence sur toute une culture est une prouesse à ne pas minimiser. Des artistes comme Drake, J Cole, Travis Scott ou Kid Cudi sont clairement des enfants de Kanye. The College Dropout décomplexe les artistes n’ayant pas de « street credibility ». Et montre que ce facteur n’est plus obligatoire pour avoir la légitimité de rapper. Aujourd’hui il n’y a rien de choquant à écouter des rappeurs parler de sujets personnels voire intimes.

The College Dropout amorce donc un changement majeur dans la sphère Hip-Hop. Cette influence est encore visible aujourd’hui dans les choix musicaux de certains artistes. Kanye le beatmaker, l’homme de l’ombre, s’impose comme un acteur majeur et incontournable de la scène rap aux États-Unis.

Sa confiance et cette volonté de prouver sa valeur sont des qualités indéniables. À tel point qu’elles peuvent lui jouer des tours. Car si son génie musical le définit en tant qu’artiste, sa personnalité controversée et ses nombreuses polémiques définissent l’homme qu’il est. Tout au long de sa carrière il sera critiqué pour ses choix et prises de positions qui ne feront pas l’unanimité. Alors Kanye restera à jamais cet artiste dont on ne peut s’empêcher de reconnaître le talent mais qui a fait de la controverse sa marque de fabrique.

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