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« Ernestine » – Chamboule tout

Ernestine
© Salomé Lahoche

Après La vie est une corvée, Salomé Lahoche signe un nouvel album aux couleurs acides comme le regard de son héroïne sur le monde. Enfant déjà désabusée par la vie, Ernestine fait saillir les aberrations burlesques de notre condition humaine.  

À neuf ans, Ernestine arbore une moue constamment blasée et une chevelure rousse. Elle vit sous le même toit que son grand frère avec sa mère, architecte d’intérieur débordée par la gestion infernale du quotidien, et son père, artiste-peintre totalement à côté de la plaque. La banalité de l’histoire s’arrête là. Mature et pessimiste, Ernestine est une nihiliste scolarisée à l’école primaire. Dans sa cabane, où est punaisé un poster de Lucian Freud, elle fume clopes sur clopes, gribouille des poèmes qu’elle trouve mauvais et enchaîne les lectures – de Jean-Paul Sartre à Naruto – son doudou jamais loin. 

Imprimés en quadrichromie, les dessins vifs de Salomé Lahoche saisissent la part d’absurde que recèle notre contemporanéité. Bédéaste originaire de Rouen, elle est doublement diplômée de la HEAR à Strasbourg et de l’École européenne supérieure de l’image d’Angoulême. Régulièrement, elle publie des strips autobiographiques comiques et grinçants sur son compte Instagram et contribue à la revue féministe La Déferlante Existant sous forme embryonnaire depuis ses vingt-et-un ans, Ernestine paraît en ce début d’année aux éditions Même pas mal. 

© Salomé Lahoche

Génération désenchantée

Salomé Lahoche croque un décor coloré qu’elle orne d’une ribambelle d’objets symboliques de notre époque. Ce lieu est le théâtre où prennent vie les mésaventures de cette gamine et de sa famille cherchant, avec peine, à garder l’équilibre. Toujours affublée de son col Claudine et de sa désillusion, Ernestine est trimballée de séances de psy en repas de famille, d’anniversaire en sortie chez des amis. Si elle sait obtenir tout ce qu’elle désire et ne s’en laisse pas conter, rien ne paraît vraiment la réjouir.

Certes, Ernestine agit et réagit à tout avec excès, mais ce sont les autres qui semblent, par contraste, bizarres et caricaturaux. Ils mènent leur existence selon les valeurs bourgeoises et suivent des tendances non moins risibles. Alors, vraiment, aucune raison valable selon Ernestine de se soumettre aux ineptes réglementations adultes. Que sa mère s’obstine et s’oppose ? Qu’à cela ne tienne ! Elle n’obéira pas et fuira à Cuba avec son argent, gagné seule, en jouant au poker en ligne.  Qu’on lui fasse du chantage affectif ? Elle a encore plus d’un tour dans son sac.

© Salomé Lahoche

Voguant entre le saugrenu et le désespoir, Salomé Lahoche distille du poil à gratter dans nos systèmes de pensée rouillés. En mixant second degré, tracas métaphysiques, sujets de société, autodérision, mise en images de nos pulsions, réflexions trashs, elle produit un cocktail tout à fait détonnant. Ernestine est une BD désopilante.

Ernestine de Salomé Lahoche, éditions Même pas mal, 20euros.

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