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« Des maux à dire » – Bouche cousue

© Beatriz Lema / Sarbacane
Des maux à dire © Beatriz Lema / Sarbacane

Le mois dernier, Des maux à dire recevait un prix du public au 51ème Festival d’Angoulême. Moitié dessinée, moitié réalisée sur tissu, cette première bande dessinée explore avec beaucoup de liberté le thème de la maladie mentale.

D’aussi loin que Véra s’en souvienne, sa mère, Adela, a toujours eu peur que le diable prenne possession de son corps. Ce mystérieux mal, qui la terrifie, pouvait frapper à toute heure du jour ou de la nuit. Dans ces moments-là, Adela restait au lit sans faire de bruit pour le conjurer. D’autres fois, elle faisait appel à tout ce que l’Espagne comptait de chamans et d’exorcistes pour se purger. D’abord spectatrice muette de sa hauteur d’enfant, la petite Vera a suivi avec attention, mi-effrayée, mi-fascinée, le parcours chaotique de cette mère malade.

Des maux à dire © Beatriz Lema / Sarbacane

Il fallait le feutré du tissu, des traits à la douceur presque enfantine et des couleurs vives, mais rassurantes pour contenir et comprendre la folie d’une mère. Pour sa première bande dessinée, Beatriz Lema a choisi l’angle de l’autofiction. Par ce biais, elle a pu mettre de la distance entre elle et les petits personnages qu’elle tisait ou dessinait. Des Maux à dire part de l’enfance de l’autrice en Espagne et raconte l’incompréhension et le désarroi d’une famille face à une maladie de prime abord inexpliquée. Comment se battre contre une tempête qui se déroule sous un crâne, quand la personne qui souffre refuse de prendre ses médicaments ?

Broderies

Des années après son enfance, c’est grâce à la douceur que Betriz Lema raconte ce passé. Comme pour un patchwork, le roman graphique oscille d’un style à l’autre : les procédés graphiques se répondent et s’entremêlent. L’enfance est, par exemple, faite de quelques traits de couleurs et d’une perspective niée. Dans certaines planches, tout est à sa place comme dans une maison de poupée. La jeunesse douloureuse de la mère, plus brute, est quant à elle cousue de fils noirs aux imperfections apparentes. Une autre époque, plus heureuse, est pointilliste, presque naïve. « Lorsqu’elle cousait, [ma mère] parvenait à trouver une certaine tranquillité » commente la narratrice, « j’ai à mon tour appris en la regardant travailler, j’adorais ça ». C’est en fil rouge que la bédéiste place le lien mère-fille au centre de sa BD. Elle y fait état, à la fois d’une transmission importante, et d’une relation difficile.

L’originalité graphique de cette bande dessinée trouve ainsi sa source dans la tradition couturière familiale. Les pages cousues, pareilles à des enluminures, renforcent le côté naïf, voire enfantin de l’ouvrage qui contraste avec la violence des thèmes abordés (abus, maladie mentale, emprise). Mais si Beatriz Lema fait explicitement référence à la couture comme héritage familiale, elle s’inspire également des arpilleras d’Amérique latine. Cette technique de broderie, utilisée au départ par les femmes pour protester contre la dictature chilienne, mettait en scène des moments de la vie quotidienne accompagnés de messages de protestation. À une échelle plus intime, l’autrice décrit, elle aussi, un combat : celui d’une famille contre une maladie.

Des maux à dire © Beatriz Lema / Sarbacane

Après Le Grand vide de Léa Murawiec en 2022 et Naphtaline de Sole Otero en 2023, c’est Des maux à dire qui a séduit le public du Festival d’Angoulême et remporté un prix. Une jolie récompense pour une œuvre toute personnelle, réalisée in situ à l’occasion d’une résidence d’artiste. Des maux à coudre pour libérer une parole incomprise.

Des maux à dire de Beatriz Lema, éditions Sarbacane, 184 p., 25€

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