CINÉMA

« Scrapper » – Fantastique enfance

Scrapper © Star Invest Films France
Scrapper © Star Invest Films France

Récompensé au Sundance Film Festival 2023, Scrapper ouvre cette nouvelle année avec un regard perspicace sur l’insouciance et les joies simples de l’enfance. Après plusieurs courts (Fry Up, Dodgy Dave), la cinéaste britannique Charlotte Regan signe un premier-long métrage sensible et généreux.

À douze ans, Georgie (Lola Campbell) vit seule dans une petite maison de la banlieue de Londres. Sa mère est morte quelque temps auparavant, et la prise en charge que prévoient les services sociaux est le cadet de ses soucis. Au quotidien, l’enfant se livre à diverses activités. Ranger sa maison, courir les rues avec son ami Ali (Alin Uzun), voler des vélos sans se faire prendre, aller à l’école lorsque l’envie lui en prend, et construire une tour dans une pièce soigneusement barricadée : tout est jeu. Du moins, tout peut le devenir. Alors que Georgie a trouvé un semblant d’équilibre, un étranger fait irruption dans sa vie et remet en question cette harmonie aux bases ensablées : son père.

Scrapper - Lola Campbell
© Star Invest Films France

Un drame social heureux ?

À l’aube de son adolescence, Georgie a déjà assimilé un bon nombre de réalités que les adultes s’efforcent avec application de cacher aux enfants. Du vivant de sa mère, l’argent se faisait distant. C’est encore le cas. Comme leur voisinage, mère et fille sont issues de la classe ouvrière et ont toujours composé avec peu. La question des finances est mère de bien des enjeux et conditionne le mode de vie de Georgie.

L’enfant s’éduque quasiment seule. En tout cas, elle semble n’avoir besoin de personne. Quitte à redoubler d’efforts. L’une après l’autre, ses journées se suivent, mais ne se ressemblent pas. Sortir les poubelles, passer l’aspirateur, et faire les courses sont devenues des tâches mécaniques, mais ressourçantes. La maison est impeccable. Toutefois, cet ordre est loin d’être anodin. Presque palpable, le souvenir de sa mère règne dans le silence de chaque pièce. Les apparences sont parfois trompeuses.

Charlotte Regan livre ici l’une des premières réalités chères à son cinéma. À travers certaines scènes ciblées, la vie quotidienne de cette catégorie sociale, telle que perçue par la réalisatrice, se dévoile. Dans la lignée d’un Ken Loach, la sobriété dans laquelle vivent les habitants de ce quartier londonien est pleinement intégrée au scénario et à la photographie (Molly Manning Walker) de Scrapper. Proche du drame social, ce dernier n’en conserve pas moins un message optimiste, à travers les yeux et la pensée de Georgie.

Scrapper - Lola Campbell
© Star Invest Films France

Sous le masque de l’insouciance

Loin de la cour de récréation et des drames passionnels qui s’y jouent, sur fond de premiers amas de blush et de marques à la mode, Georgie cherche à tracer sa voie. Au-delà de la paix, elle cherche des réponses à ses questions. Pourtant, elle reste bel et bien en phase avec sa relative jeunesse. Face au manque d’argent et à la solitude quotidienne, son instinct primaire est celui commun aux enfants : tirer son épingle du jeu sans trop de dommages. À douze ans, l’on exprime ses émotions avec moins de pudeur qu’à cinquante.

Pour Georgie, pas question de se laisser aller à la léthargie et d’attendre que le temps passe. Elle vit pleinement l’instant présent. Finalement, il n’est pas si compliqué de mentir aux services sociaux de protection de l’enfance. D’ailleurs, ils n’ont de protecteur que le nom. Facile, également, de casser la chaîne d’un vélo sans se faire prendre. Cela serait même légèrement drôle si tout cela ne constituait pas pas autant de moyens pour elle d’appeler au secours. Car derrière l’insouciance, Georgie vit en oscillation constante entre le « déjà » et le « seulement », qui qualifient ses douze printemps. Elle se persuade de son équilibre, mais réalise qu’il n’est parfois que factice.

Ainsi, lorsqu’un inconnu surgit de nulle part et prétend être son père, Georgie bascule davantage dans le doute. Qu’est-ce que ce Jason (Harris Dickinson, brillant dans son rôle) peut-il donc lui apporter qu’elle n’ait pas déjà ? Elle et sa mère ne formaient-elles pas une famille complète ? Il dit l’aimer et vouloir être là pour elle. Pourquoi n’a-t-il pas été présent plus tôt ?

Lola Campbell et Alin Uzun
© Star Invest Films France

Créer la famille

Toujours en quête accrue de réalisme, Charlotte Regan prend le parti de raconter cette relation père-fille à travers le regard et les réflexions de Georgie. Comme pour les autres axes de son film, la cinéaste assume pleinement ce choix. Guidé par une sincérité touchante et propre à l’enfance, le scénario s’illustre à l’écran par des couleurs claires et des plans rapprochés sur les gestes simples du quotidien. Les décors, solaires, sont à taille humaine. Cette lumière contraste brillamment avec la sombre tension qui régit la rencontre entre Jason et Georgie. Entre l’approche hésitante et maladroite de l’un et l’aversion mêlée de curiosité de l’autre, l’on assiste à la création d’un lien tout sauf naturel.

Des animations rythmées s’ajoutent au montage, apportant des séquences d’immersion visuelle dans ce qu’une conscience enfantine génère de pragmatisme. Et, justement, de juvénile. Au fil de ses pérégrinations et de sa relation naissante avec un père qu’elle apprend à connaître, Georgie découvre les mécanismes qui peuvent créer les familles a posteriori. Chacune est unique. Leurs membres font des erreurs, mais parfois, s’apprivoisent.

Tantôt en pleine conscience, tantôt malgré elle, elle agit sous son propre prisme. Ici, l’enfance est reine. Pour Georgie, cette tranche de vie n’est pas loin et la préserve encore. Certes, son cas est particulier. Elle est en plein deuil de sa mère. Pourtant, son personnage ne tombe pas dans certains clichés scénaristiques. Dans d’autres films du genre, des contextes comme celui-ci amènent les enfants à ne montrer aucune puérilité, voire à surréagir. La figure de Georgie est aussi ambivalente qu’authentique. Tout en gardant sa singularité, ses modes d’action et de pensée sont cohérents avec son jeune âge. Le regard de la cinéaste est limpide, sagace. À travers son cheminement, Georgie ouvre une fenêtre sur l’universalité de cet état de découverte et d’ouverture au monde.

Harris Dickinson et Lola Campbell
© Star Invest Films France

Avec Scrapper, Charlotte Regan invite à laisser un peu de place à son enfant intérieur et rebat les cartes du schéma familial classique. Son film dégage deux pistes principales développant cette idée couramment répandue, mais parfois légère. L’expression sincère des émotions et la traversée consciente des épreuves quotidiennes. À travers Georgie, c’est l’authenticité d’une enfance décalée, mais pleinement sincère et réaliste que la cinéaste met en avant. Certes, quelques approfondissements n’auraient pas été de trop. Du fait de sa courte durée, le scénario n’embraye pas dans les arcs narratifs qu’il entame — le passé et la trajectoire de Jason, pour n’en citer qu’un. Malgré ce déséquilibre, qui reste minime, Scrapper est un condensé de sentiments et de couleurs. Le tout se mélange sans s’amalgamer. De quoi entamer joyeusement ce début d’année.

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