Jeune renarde, Rousse est intrépide et aventureuse. Alors que le dérèglement climatique rend les conditions de vie de plus en plus rudes, elle quitte son bois natal pour un voyage en solitaire. Denis Infante livre une fable à hauteur de vivants.
Quelle histoire pourra-t-on raconter après les ravages de l’anthropocène ? Denis Infante invente un roman animalier où les humains ont disparu. Ne sachant user de leur savoir et de leur pouvoir, ils ont laissé une planète abimée et déréglée. Aussi, les vivants – animaux et végétaux – doivent survivre avec les moyens du bord et tâcher de conserver une étincelle d’espoir. Rousse ou les habitants de l’univers est le récit d’une renarde qui voyage, s’attache, met bas des renardeaux et, toujours, cherche à apprendre.
Auteur, réalisateur et metteur en scène, Denis Infante a toujours donné une place de choix aux non-humains dans ses fictions. Le héros de Ligne de vie (2014) évolue dans un cirque. Les époustouflants exploits de l’inspecteur Gypi (2023) décrit l’histoire d’un jeune chien et Le songe d’une nuit d’hiver (2019) celle d’un ours prenant soin d’une humaine en milieu polaire. Cinquième roman de Denis Infante, Rousse met en scène une renarde de son plus jeune âge jusqu’à ce qu’elle devienne une « vieille vivante ». Guidée par sa curiosité insatiable, elle désire plus que tout voir le monde et remonter jusqu’à la source du Grand Fleuve.
Rousse partit donc un matin à peine lueur de jour roussissait au levant, en direction de lointaines montagnes que l’on disait si hautes qu’elles touchaient ciel de leurs doigts de glace et de neige, si froide que soleil lui-même renonçait à chauffer leurs os de pierre. (…) Rousse partit espérant trouver au bout de sa quête air plus frais, rivières aux eaux claires, gibier abondant et dodu et toutes choses qui l’aideraient à entretenir sa joie.
Rousse – Denis Infante
Grand Fleuve et Montagnes enneigées
C’est un « été sans fin » où la sécheresse interminable fait endurer à tous les vivants une soif cruelle. Dans cet environnement devenu hostile, Rousse prend la route. Elle parcourt des paysages dont les couleurs, les odeurs et les matières sont rendues avec précision par l’auteur. Ces descriptions des sous-bois alternent avec le récit de rencontres heureuses ou inquiétantes. Ourse Brune endeuillée par la perte de ses oursons, Noirciel le sage corbeau, Ombre l’écureuil, Écorce de Hêtre la vieille éléphante sont les êtres amis qui l’aident dans la poursuite de son aventure initiatique. Ils lui transmettent ce qu’ils ont appris et la sauvent, à plusieurs reprises, de certaines inconsciences comme des prédateurs.
Denis Infante nous plonge dans la peau de l’animal pour donner à sentir, un temps, l’envergure de son monde perceptif. Il retranscrit gestes, pensées et allure de la renarde. Elle se roule en boule pour se reposer, lève ses oreilles quand elle suspecte un danger. Elle est capable d’identifier les derniers résidents, partis depuis longtemps, de l’abri qu’elle choisit pour une nuit. Avec son amie l’Ourse, elle parvient à faire jaillir le nectar d’une ruche logée dans un arbre vert.
La singularité de la langue de l’écrivain réside dans le double choix d’un style simple, épuré et sensible et la suppression récurrente des articles définis et indéfinis dans les phrases. Déconcertant lors des premières pages, cela permet d’opérer un léger déplacement qui apporte, au premier abord, une étrangeté qui devient, au fil du texte, comme la marque de l’universalité. Fable du futur, Rousse imagine un monde fictif dans lequel nous, le peuple des « Faces Plates », ne serions plus mais où, le cycle de la vie et de la mort se poursuivrait, inlassablement.
Rousse ou les beaux habitants de l’univers de Denis Infante, éditions Tristram, 16,50euros.
