Sorti en octobre dernier le tout premier EP d’ Édouard Bielle Loverdose, affirme une singularité particulière. Celle d’un chanteur à la voix haut perchée venu moderniser la chanson des années 70. Rencontre.
Loverdose, l’amour comme une drogue, comme autant de ritournelles sentimentales qui s’écoutent en boucle. Les chansons du premier opus d’Édouard Bielle ont toutes les qualités des tubes entendus sur Nostalgie lors de longs trajets en voiture et pourtant ses arrangements affirment une temporalité très actuelle. Qu’il parle de rupture, de jalousie, du vitiligo ou de la Grèce, cet éternel amoureux nous accroche de sa voix unique qui nous rappelle les meilleures chansons de Berger, Christophe ou Polnareff. Sincère et talentueux, Édouard Bielle a toutes les qualités de l’artiste dont on veut suivre le reste de la carrière. En attendant la suite, nous l’avons rencontré pour parler d’amour évidemment, de vintage et d ‘un rêve en phase de devenir une réalité.
Loverdose est ton premier EP. C’est un objet très sentimental et pourtant il commence par une chanson de rupture, « Je t’oublie déjà », qui est aussi le premier titre que tu as sorti. Est-ce qu’il fallait une rupture pour pouvoir parler d’amour ?
Oui, la rupture fut le déclencheur de l’écriture – dans ce style de musique en tout cas – et même de la musique parce qu’avant je ne faisais pas ça. J’écrivais en anglais et ce sujet-là m’a toujours animé. Je pense que cette sincérité se ressent dans les musiques. Au moment où je l’écrivais, je ne savais pas trop où j’allais, si c’était pour l’oublier, si c’était pour dire que je l’avais déjà oublié… Mais en tout cas, c’est sorti de cette manière-là.
C’est la première chanson que tu as écrite en français ?
C’est surtout la première chanson de ma vie à laquelle j’ai mis un point final.
Ça signifie quoi Loverdose pour toi ?
Loverdose, au départ, c’était le titre d’une des musiques de l’EP. Et on s’est dit que c’était un bon nom pour l’EP parce que toutes ces histoires que je raconte sont très liées à mes histoires d’amour. À un moment, j’ai eu un trop-plein de se laisser avoir à ses propres sentiments. Tu sais que tu t’emballes, que tu vas avoir du mal à t’en remettre mais tu y vas quand même. C’est un peu comme avec la drogue. Au début, tu es heureux et puis après, le lendemain tu es un peu dans le mal, mais là c’est sur une durée plus longue.
Mais même pour « Vitiliboy » qui ne parle pas forcément d’amour… le vitiligo est une maladie de peau, une dépigmentation qui est très liée au mental et aux moments où tu ne vas pas bien. J’ai eu la chance d’avoir déjà eu des histoires d’amour, une bande de potes donc ça ne m’a pas trop empêché de vivre normalement. Je pense qu’il y a des gens qui vont un peu se renfermer sur eux-mêmes. Je voulais raconter qu’il y a plus grave.
Est-ce que c’est venu rapidement dans tes compositions de vouloir l’aborder dans une chanson ?
Oui, c’est la troisième maquette que j’ai faite de ma vie. J’ai écrit la chanson il y a deux ans et demi. C’était un sujet qui me préoccupait parce que je sortais d’une année où j’avais eu pas mal de nouvelles taches qui étaient apparues. Et c’est vrai qu’il y a des moments où, quand tu n’as pas de copine, en sortie d’été avec la peau bronzée, ça se voit beaucoup plus et tu peux penser que ça peut jouer dans tes relations aux autres. C’est plus facile que de se remettre en question.
Comment as-tu construit cet EP autour de ces thématiques romantiques ?
Il s’est construit dans l’ordre chronologique. Quand j’ai rencontré le label, j’avais quatre maquettes. On a regroupé ces chansons qui tournaient autour des mêmes thèmes et qui avaient aussi la même ambiance musicale. Je suis parti à peu près des mêmes synthés à chaque fois. Je découvrais comment on faisait de la musique. Il y a pas mal d’instinct là-dedans. Je trouvais que ces musiques fonctionnaient assez bien ensemble et donnaient une première vision de moi assez honnête. Après j’en ai plein d’autres qui vont arriver.
Il y a ce morceau sur la jalousie, « Jaloux » qui est assez surprenant, car on a rarement abordé ce sentiment de manière aussi brute et sincère. Ce n’est pas évident d’avouer sa jalousie. C’était inévitable d’oser la chanter ?
Dans la vie comme dans mes chansons, je pense être assez honnête sur mes qualités et mes défauts. La jalousie m’a un peu pourri la vie dans mes relations passées. Je m’auto-pourrissais la vie dans les moments où je n’avais pas confiance en moi et où je me comparais aux autres. Ça m’amusait d’en parler avec des mots plus crus du quotidien. Dans toutes mes chansons, j’utilise des mots qui s’emploient facilement dans la vie. Parfois, dans la chanson française, je trouve que c’est peut-être un peu trop ampoulé avec beaucoup de métaphores, ça perd un peu en proximité avec les gens. Je me dis que de parler de la jalousie en disant : « J’ai toujours été jaloux et ça, t’y peux rien du tout », il n’y a pas de deuxième lecture, à part l’humour.
L’ humour est très présent dans toute ton écriture. Tu tournes tes sujets en dérision. C’est important pour toi de parler d’amour mais toujours avec légèreté ?
Je pense que c’est un trait de ma personnalité de faire des blagues. J’ essaye toujours de trouver des jeux de mots. Aujourd’hui, c’est un humour qui est un peu moqué mais je trouve que parfois, il y a des jeux de mots qui sont quand même très bons. C’ est une belle manière de faire de l’humour, parce que ça veut en dire beaucoup plus que ce que ça veut dire. Parler de ces choses-là avec humour, c’est toujours essayer de mettre un peu de recul par rapport à ces histoires d’amour. Finalement, on peut s’en remettre même si ça fait mal au moment où ça arrive. Tu as l’impression d’être plus bas que terre mais quand la vie reprend, tu reprends avec elle. C’est comme ça que moi je surmonte les choses.
Penses-tu que ce sont tous ces sentiments que tu ressens qui t’inspire dans l’écriture ?
Oui, mais après il y a la chanson « Parikia » qui est sur une île grecque. Je trouvais ça marrant d’en parler comme d’une femme. Ça fait des années que je vais sur cette île en Grèce et que j’en suis tombé amoureux. D’ailleurs, je vais voir une magnétiseuse de temps à autre, et elle me dit que quand je pars à Paros, ça s’ouvre en moi. Après on y croit ou pas mais c’est un endroit où je me sens vraiment apaisé et j’avais vraiment envie d’écrire une chanson sur cette île, et ça passe par l’amour. Mais est-ce que tous les aspects de la vie ne passent pas aussi un petit peu par l’amour ? Pas forcément le sentiment amoureux, mais l’amour que tu portes aux choses, aux gens, aux moments. Ça donne une gamme assez vaste de choses dont on peut parler.
Musicalement, il y a des sonorités assez vintage. Il y a ta voix qui rappelle le grain des chanteurs des années 70 de Christophe à Polnareff mais aussi l’utilisation des synthés. Pourtant l’ensemble est plutôt moderne. Est-ce qu’on peut dire qu’Édouard Bielle est un mélange de vintage et de moderne ?
Le côté vintage, je pense que c’est vraiment moi depuis longtemps, que ce soit dans les fringues ou dans les goûts. J’ai grandi avec la variété française des années 70-80 chez mes parents, les disques des Enfoirés des années 90 ou Polnareff, Michel Berger, Christophe… C’était ma culture musicale de base, et mon premier concert, c’était Polnareff, quand j’avais 13 ans, à Bercy. J’avais acheté la perruque, les lunettes, j’étais vraiment fan.
Pour les synthés que j’utilise, c’est vrai que ce sont des sons qui me parlent beaucoup et auxquels je suis assez sensible, les Roland avec des nappes un petit peu scintillantes, ça me fait vibrer. Pour l’aspect moderne, c’est quelque chose que j’essaye justement d’amener en plus avec de la réflexion, parce que je n’ai pas envie de tomber dans un pastiche des années 70-80. Dans l’écriture ou dans l’ajout d’instruments, je voulais apporter quelque chose d’ancré dans notre époque. Déjà que j’assume ce côté vintage avec mon style ou ma coupe de cheveux… j’essaie d’aller vers quelque chose d’actuel musicalement mais sans renier mes influences pour autant.
Est-ce qu’il y a l’envie de rendre hommage à ces chanteurs dont tu parlais et à la variété française ?
La variété française a souvent été un peu désavouée. Je vais à la rescousse des trucs ringards. Après, il s’avère qu’il y a eu pas mal de choses dans la variété française dont je ne suis pas fan dans les années 2000, et aujourd’hui encore, mais c’est une histoire de goûts. Mais la variété française par Michel Berger, Balavoine ou Polnareff, ce sont des chansons magnifiques, très bien écrites et construites, avec des auteurs et des interprètes très talentueux. Si je peux m’inscrire un tout petit peu dans cette veine-là, j’y vais à 100 % !
Et puis, il y a beaucoup d’histoires d’amour dans leurs chansons et une utilisation forte du piano. Je compose beaucoup au piano aussi. Un autre aspect qui me touche c’est leur sensibilité et une manière de chanter très androgyne. La société évolue, on accepte de plus en plus ces choses-là, eux étaient des précurseurs de ça. Ils s’en foutaient d’être androgynes ou efféminés. Moi, on m’appelle souvent « madame » et ça ne me tracasse pas plus que ça.
Tu as aussi une voix singulière et haut perchée. Est-ce que tu la travailles comme un instrument ?
Je sais placer ma voix car je fais du piano et chante depuis l’enfance. Là, ça va faire deux ans que je prends des cours avec une prof de chant lyrique. Elle m’aide à travailler surtout des techniques, à atteindre des notes que, parfois, tu n’oses pas forcément dans tes capacités vocales. Je sais que ma voix est un marqueur dans mes chansons. Et surtout, j’adore chanter, c’est ce que je préfère donc, c’est important qu’elle soit mise en avant et qu’elle soit bien travaillée. Et quand on me complimente sur ma manière de chanter, ça me satisfait plus que sur le jeu de guitare ou les synthés.
Quel était ton parcours musical enfant ?
Ma mère nous a inscrit au piano avec mes frères, quand on était petit. J’étais celui qui avait le plus la fibre musicale. J’ai fait du classique pendant sept à huit ans. Et après, j’ai fait de la guitare pendant ma période fan des Beatles, des Rolling Stones, des Pink Floyd, etc. J’ai commencé à chanter en même temps que la guitare. J’avais un petit groupe au lycée avec des potes pour s’amuser, on faisait seulement des répétitions. J’écrivais en anglais mais je sentais que pour eux ce n’était pas quelque chose de sérieux, alors que moi c’était mon rêve. Je l’ai mis de côté après le bac en faisant mes études, et c’est revenu. Je suis le plus heureux aujourd’hui car j’ai vraiment cru que ce rêve resterait de côté définitivement.
Est-ce qu’il a fallu, à un moment donné, t’autoriser à enclencher ce rêve de chanson pour le vivre ?
Il a surtout fallu me bouger. Je pense que c’est un peu le problème de pas mal de gens : réussir à se foutre un coup de pied au bout d’un moment. Moi, il s’avère que ce coup de pied-là, il a été aussi provoqué par mon ex-copine qui est partie. On a vécu trois ans et demi ensemble puis je me suis retrouvé seul. En plus, je venais de quitter mon travail. Je ne savais plus trop où aller ni qui j’étais. Je me suis mis à essayer de faire de la musique avec des logiciels. Dans des instants de détresse comme ça, tu fais sans trop réfléchir et c’est peut-être là où tu arrives à te dépasser un peu et à ne pas avoir peur de proposer quelque chose. Et après, les événements s’enchaînent et, pour l’instant, c’est très positif. C’est fou de pouvoir toucher du doigt un rêve !
Comment tu construis le live de ce premier EP ?
Je suis accompagné par un ami, Bastien Jorelle, qui, lui, fait de la musique depuis longtemps dans des groupes. On s’est rencontrés via mon label. Il a accroché rapidement à ma musique et m’a directement proposé de m’accompagner sur le live, si jamais j’étais amené à en faire. On s’est entendu tout de suite. Bastien est très fort techniquement sur pas mal d’aspects, là où moi, je ne savais pas trop faire. Je m’améliore mais, au début, j’avais l’impression d’être face à un grand vide. Il a mis en place le live même si on travaille ensemble.
J’ai le sentiment que tout s’est parfaitement aligné pour toi, non ?
Si tu me demandais où je voudrais être, je répondrais : exactement là où je suis aujourd’hui. Mais disons qu’avant, j’étais heureux en amour et malheureux sur le plan professionnel et ça s’est inversé. Je profite pleinement de cette inversion pour le moment !
Édouard Bielle sera en concert à La Maroquinerie le 14 février 2024.