CINÉMA

« Priscilla » – L’enfer du décor

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Adapté de l’autobiographie de Priscilla Presley, l’ex-épouse d’Elvis, Sofia Coppola signe un long-métrage doux-amer sur l’emprise. Dommage que la narration, non-linéaire, passe à côté de son propre dénouement.

Barbie n’est plus la seule à avoir des airs de poupée. Il faut voir Cailee Spaeny. Il y a ses grands yeux bleus, son visage poupon, certes, mais surtout son mètre cinquante, corrigé par d’amples brushings de « trad wife » à l’américaine, des robes droites sorties tout droit des années soixante et des escarpins colorés au bout de ses pieds d’enfant. Une véritable transformation en babydoll pour incarner Priscilla Presley, l’ex-épouse d’Elvis, dont la trajectoire a consisté à passer de femme-enfant à femme-objet. C’est ce destin de petite captive qu’elle racontait en 1985 dans son best-seller autobiographique Elvis & me. Ce récit est aujourd’hui repris en images par Sofia Coppola, dont tous les films ont pris soin, année après année, de s’attarder sur les existences de jeunes filles délaissées, ennuyées, enfermées.

Au début, on croirait presque à un conte de fées. Priscilla Beaulieu (son nom de jeune fille) a déjà le visage poupon, sans les artifices destinés à la vieillir. Tandis qu’elle est attablée seule au comptoir d’un bar, à seulement quatorze ans, un jeune américain en plein service militaire vient à sa rencontre. « Tu aimes Elvis Presley ? », l’interroge-t-il. « Qui ne l’aime pas ? », rétorque-t-elle à propos du « King », déjà gloire nationale à vingt-quatre ans. L’adolescente se retrouve ainsi invitée à une fête chez le chanteur. Les parents, inquiets, font de la résistance. L’ami d’Elvis vient en personne se porter garant de la sécurité de Priscilla.

La première rencontre est foudroyante. Elvis, campé par Jacob Elordi, apparaît du haut de son mètre quatre-vingt-dix face à la jeune fille. Il s’affole de leur différence d’âge, insiste pour la revoir, disparaît, réapparaît deux ans plus tard tandis qu’elle patiente, la demande en mariage. Priscilla Beaulieu est morte ; Priscilla Presley naît.

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Une captive

Avec Priscilla, tout passe par les détails. Tandis que la jeune fille est admise à Graceland – le nom donné à l’immense propriété d’Elvis, qui rappelle l’inquiétant Neverland de Mickaël Jackson -, Elvis poursuit son ascension. Son personnage et sa carrière passent régulièrement hors-champ. Priscilla, elle, se mure littéralement dans le silence : elle n’a personne à qui parler. Cette solitude est incarnée dans chaque détail : les bibelots kitschissimes à l’effigie du « King » partout dans la maison, le petit caniche qu’il lui offre pour lui tenir compagnie, l’immense canapé du salon pour son si petit corps.

En plus d’être quasi muette, Priscilla est littéralement dans l’ombre. Comme dans cette scène, cruelle et drôle, où, en fin de lycée, elle demande à sa rock star de mari de rester à l’extérieur durant la cérémonie de remise de diplômes. Sa notoriété occulterait l’important : les étudiants. Il accepte, patiente dehors. Lorsqu’elle quitte son austère établissement catholique, elle le trouve devant le bâtiment en train d’être photographié avec les bonnes sœurs, transies d’amour pour lui. Même lorsqu’il accepte de rester à l’ombre, Elvis prend toute la lumière.

Sofia Coppola documente cette relation abusive par petites touches, comme en douceur. Le « King » est l’amoureux dont toutes les filles rêvent puis, d’un coup, à la faveur d’un détail, l’illusion se brise. Il façonne Priscilla selon ses désirs. Il décide de la couleur de ses cheveux, de son maquillage, de ses vêtements. Et s’emporte à chaque fois qu’elle émet une opinion ou un désir. Bref, quelque chose qui laisse transparaître une personnalité, un début d’humanité.

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Vers la liberté

On se réjouit, il faut le dire, qu’Hollywood s’intéresse enfin aux laissées pour compte du rêve américain. Représenter Priscilla, c’est volontairement occulter Presley. Mieux encore, le représenter pour ce qu’il a aussi été : pédophile, manipulateur, parfois violent. Autant de « héros masculins » réduits en « figures grimées, empêchées, vieillies ou amochées », comme l’expliquait très justement la critique Lucile Commeaux sur les ondes de France Culture.

Pour autant, même si elle rend justice à cette oubliée de la grande histoire, Sofia Coppola loupe la marche de la fin de son film. En cause, la construction du récit, qui se revendique non-linéaire. Pour résumer : une longue partie sur « l’avant », jusqu’à la vie conjugale, une autre, toute aussi longue, sur l’existence à Graceland. Puis, tandis que Priscilla, devenue mère, devient peu à peu une amoureuse frustrée et trompée, l’émancipation advient sans aucune forme d’explication. Tandis qu’elle a passé toute sa vie en captivité sans fréquenter personne d’autre qu’Elvis et sa famille, Priscilla se met au taekwondo, lorgne sur son professeur, se fait quelques amies. C’est cette prise de conscience cruciale, ce petit détail anodin, que l’on espérait voir à l’écran. Ou comment l’on passe du statut de prisonnière à celui de femme libre. Toute l’histoire de Priscilla reposait dans ce petit moment, pourtant si grand.

Journaliste

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