Odyssée des filles de l’Est est le récit croisé de deux femmes bulgares récemment arrivées en France. Elitza Gueorguieva signe un roman sur l’exil, le langage et les clichés avec satire et humour.
Une histoire. Deux femmes. Deux trajectoires. Une étudiante et une prostituée. Elles ne se connaissent pas. Pourtant, toutes deux vivent à Lyon, partagent l’expérience de l’exil et subissent de plein fouet la violence institutionnelle et sociale. Comment ces destinées parallèles déjoueront-elles les lois de la géométrie pour se rencontrer ?
L’écrivaine Elitza Gueorguieva, née en Bulgarie, vit en France depuis plus de vingt ans. Elle a suivi des études de cinéma et de création littéraire et réalisé deux documentaires : Chaque mur est une porte et Notre endroit silencieux. En 2016, elle a fait paraître Les cosmonautes ne font que passer, un récit écrit du point de vue d’une enfant sur la chute du régime soviétique en Bulgarie. Odyssée des filles de l’Est, son deuxième roman, raconte le cheminement de deux femmes dont la mission est : « devenir libre ».
« Je suis là d’où je ne viens pas »
Nourri par des témoignages, le récit dévoile chapitre après chapitre la vie de ces deux êtres, leur migration, leur installation, leurs désillusions, leurs amitiés. La première, Dora, est une quarantenaire turque bulgare. Prise dans un réseau de prostitution, on lui fait miroiter que l’argent gagné sera envoyé à son fils. La seconde (double de l’autrice) étudie le cinéma et vit dans une colocation nommée chez les Trois Bulgares. En plus de faire et de capter des images en mouvement, elle réalise une recherche sur les mythologies contemporaines et notamment sur la « Fille de l’Est ». Qui est-elle ? Quels fantasmes l’ont fait naître ? Dès leur arrivée en France, l’une comme l’autre, si différentes, se trouvent assimilées à cette figure. Sans même les connaître, les gens leur attribuent des caractéristiques caricaturales infondées.
Dans ce livre, l’autrice s’emploie à démonter l’absurdité du fonctionnement tenace des préjugés. Pour cela, elle dessine l’histoire d’existences singulières mais expose aussi la double puissance, d’enfermement et d’émancipation, du langage. Car, notons que la force de ce récit tient dans l’étonnement heureux qui nait des jeux de mots et des quiproquos entre sa langue maternelle et le français. Elitza Gueorguieva dispose des dictionnaires dans ses pages, fait s’entrechoquer les langages, ausculte certaines expressions idiomatiques qu’elle prend parfois au pied de la lettre. Cultivant cet amour des mots, elle laisse affleurer les lignes de construction et de destabilisation du texte en travaillant sa forme. Apparaissent des classements, des listes (les différents types de passe, les nouveaux objectifs, les conditions où il est de mise de faire semblant) et même des pensées de personnages structurées en sous-parties.
Odyssée des filles de l’Est est un roman sur le déplacement, l’inconnu, les images et les mots mais aussi sur la violence étatique et les mouvements de solidarité. Il transparaît, en creux, ce que fut le gouvernement communiste bulgare et son processus de régénération de la minorité turque mais aussi ce que sont les conditions des travailleuses du sexe, les méandres administratifs de demande de séjour en France. Un livre qui interroge nos lieux communs et la manière dont nous pourrions les métamorphoser en des lieux d’expérience commune.
Odyssée des filles de l’Est, Elitza Gueorguieva, éditions Verticales, 17euros.