En octobre dernier, pendant l’édition 2023 du MaMa, nous avons pris le temps de rencontrer les Charlotte Fever, quelques semaines seulement avant la sortie de leur envoûtant premier album Paris cyclone. Rencontre.
L’année dernière dans leur EP, Embrasse coulée, les Charlotte Fever chantaient la fin de l’été avec « Septembre ». Pourtant, s’il y a bien un duo pop qui fait durer la saison estivale toute l’année, c’est Cassandra Hettinger et Alexandre Mielczarek. Difficile de savoir s’ils sont descendus du ciel, des profondeurs océaniques, des années 80 ou des mystères du futur. De leurs voix mélodieuses, telles des sirènes, ils convoquent un univers sensuel et nous font nous évader dans un voyage « érotico-psychédélico-organique ». Leur premier album Paris cyclone, sorti en novembre 2023, nous plonge encore plus profondément dans cet univers unique de la nouvelle scène francophone, comme le parfait remède au froid hivernal déjà bien installé.
Vous avez créé un véritable univers dans lequel vos chansons s’inscrivent au fur et à mesure des EP jusqu’à votre premier album, Paris cyclone. Dans cet univers, vous nous emmenez quelque part dans un été éternel tropical et sensuel. Comment avez-vous construit cette identité du projet Charlotte Fever ?
Alexandre : Pourquoi on parle beaucoup d’été, de soleil et de paysages idylliques ? Surtout parce qu’on a besoin de s’évader un petit peu même si on adore Paris. Il y a un côté un peu anxiogène. Il y a peu de verdure, pas la mer, ni les tropiques, et on a besoin de les imaginer. Souvent, quand on compose avec Cassandra, on a besoin de créer des paysages, aussi bien sonores que visuels, dans lesquels on se sent bien pour commencer à composer. Et c’est dans ce genre de paysages qu’on se sent le mieux. Alors, je ne dis pas que demain on va déménager sur une île déserte où le sable est blanc…Mais on en a besoin.
C’est donc un univers mental qui vous permet de composer ?
Alexandre : Oui, moi, je viens des Yvelines…
Cassandra : …Des Îles-velines. (Rires)
Alexandre : Et là-bas, il n’y a pas de sable blanc, il n’y a pas de palmiers.
Cassandra : Alors, moi, en plus, honnêtement, je ne suis pas une fan de chaleur. Mais par contre, j’aime ce que le paysage donne comme image aux gens. Le but, c’était d’emmener les gens ailleurs pendant un concert et dans un endroit plutôt agréable. Il y a des gens qui vont plus se projeter à se baigner et il y en a d’autres qui sont plus dans la contemplation d’une balade. Ça nous inspire énormément.
C’est assez osé. Dans la scène francophone actuelle, beaucoup d’artistes écrivent sur des sujets très concrets ou font des introspections. Et vous vous avez réussi à créer une identité originale. Est-ce qu’il y avait un besoin de se démarquer ?
Cassandra : C’était une vraie volonté, et c’est cool de le remarquer, mais c’est hyper dur, justement, pour moi, de ne pas écrire sur ce qu’on a vécu, et d’être complètement détachée, avec un espèce de message neutre. Certaines personnes s’y retrouvent, mais parfois, les gens peuvent aussi ne pas se sentir impliqués dans une chanson. Et par exemple, pour « Septembre », ce fut une petite prise de risque, parce que là, les gens pouvaient se projeter dans une histoire qui est un peu arrivée à tout le monde. Les lectures sont multiples. C’était quand même notre souhait de ne pas trop se retrouver dans les paroles, non plus et de créer ce paysage neutre.
Alexandre : Après, on s’y retrouve quand même un petit peu. Je vais parler pour moi, mais ce qui me fait fantasmer m’inspire. Donc, j’en ai besoin. Ma vie, elle est très cool, mais je pense que j’ai besoin de fantasmer les choses pour être inspiré : regarder des films, lire des livres, voyager dans ma tête.
À quel moment vous avez eu envie de parler de sexualité, d’érotisme et de sensualité aussi directement ? C’est sans doute la première fois que le mot cyprine est prononcé dans une chanson, non ?
Alexandre : Il y a une personne sur trois qui ne sait pas ce que c’est, je pense. Après, ça pourrait aussi être un prénom.
Cassandra : C’est poétique. On avait envie de parler de sexe, parce que de toute façon, tout le monde en parle. Mais dans la musique, c’est plutôt du côté du rap et d’une manière, pour nous, un peu trop violente. Et comme on avait envie de garder cette touche, on s’est attaqué à l’érotisme. Nous voulions transformer quelque chose d’érotique en quelque chose de pop. Faire de l’érotico-pop.
D’ailleurs, vous aviez sorti un recueil de nouvelles érotiques avec le deuxième EP. Comment est née cette idée ?
Alexandre : On a contacté une autrice de romans érotiques qui a été complètement motivée par le projet d’écrire une nouvelle érotique pour chacun des morceaux de notre deuxième EP, Erotico. L’idée, c’était qu’elle écoute le morceau, et elle écrive ce qui lui passait par la tête, ce que ça lui inspirait. Ce n’était pas forcément en rapport avec la chanson, ça pouvait être en rapport avec un élément précis ou un personnage. Et en plus de ça, chaque chanson et texte ont une illustration réalisée par des illustratrices différentes. On en est extrêmement fiers. C’est vraiment une chance d’avoir pu collaborer avec ces personnes dont on aime le travail.
Cassandra : On voulait que chaque artiste ait sa propre vision du morceau, on n’a pas donné de directives et elles n’avaient pas forcément lu le texte. Elles ont pu avoir une liberté totale et donner leur propre lecture. C’était hyper important, parce que notre univers s’inspire de choses visuelles : des illustrations, des photos, des films… Pour nous, c’est normal de travailler avec d’autres formats artistiques que la musique.
Cet univers, dont nous parlions, vous le poussez aussi visuellement dans les clips et les pochettes d’albums. Mais est-ce que vous mettez aussi en scène vos concerts ?
Alexandre : C’est l’idée. Après, on manque de moyens car on est encore un groupe indépendant. Personne n’a encore investi dans notre live. Par contre, on est plutôt débrouillards et motivés. Au début, on avait des coquillages gonflables de 2 mètres sur 3 sur scène. Et maintenant, on va avoir des néons. On va pouvoir un peu plus recréer notre univers.
Cassandra : Et surtout, comme on n’avait pas beaucoup de moyens, on se créait toujours des opportunités. Dès le début des lives, on a décidé de faire un vrai show malgré tout. Comme dans les textes, il y a toujours un petit côté loufoque et décalé, donc on a décidé de mettre des chorégraphies un peu partout dans les lives. Et quand les gens viennent souvent, ils arrivent à les reproduire et c’est drôle… Et surtout, depuis la dernière tournée on a mis en place un aquagym géant à la fin des lives. On essaye toujours de faire des changements de tenue. Quand le set est très court, on ne peut pas mais on finira toujours en maillot de bain, quoi qu’il arrive.
Vous êtes déjà un duo, mais il y a un aspect très collaboratif dans le projet Charlotte Fever. C’est important pour vous d’étendre ce que vous créez à d’autres artistes ?
Alexandre : Très. Enfin, moi, je suis fan de cinéma et d’illustration. Cassandra aime beaucoup l’illustration aussi et lire. C’est évident que justement, ce qu’on fait, nous, avec notre art et notre musique, ça peut nous permettre de collaborer avec des gens qu’on aime et qui nous inspirent, on y va à fond. Après, on va mettre du temps avant d’arriver à voir Nicolas Winding Refn pour un clip ou Gaspar Noé, évidemment.
Cassandra : Après, dans le processus de création, pour la musique, c’est quand même tous les deux parce que si tu commences à demander l’avis de tout le monde, c’est compliqué. Par contre, on s’inspire effectivement de tous les formats qui nous entourent. Et après, on a eu quand même de la chance de collaborer avec des artistes. Pour les clips, « In love de moi », par exemple, c’est un réalisateur Victor Hanotel d’une prod qui s’appelle Distortion. On avait vu ses réalisations et on lui a demandé s’il voulait collaborer avec nous.
Et alors, à deux, comment vous travaillez l’écriture et la composition ?
Alexandre : Déjà, on se voit régulièrement. On a un home studio qu’on partage tous les deux. En général, moi, je commence une prod’, je dessine un paysage sonore et une fois qu’on s’y sent bien, on compose des mélodies et on écrit des paroles dessus tous les deux
Cassandra : J’adore le live mais la composition c’est vraiment le moment où on est tous les deux en train de se marrer et c’est cool. En fait, il faut vraiment garder l’équilibre. Si on fait que du live, la composition nous manque.
Vous n’écrivez jamais des paroles ou une composition que vous proposez à l’autre ?
Alexandre : Si, ça arrive, mais comme il n’y a pas de règles, on ne compte pas les points. Cassandra peut faire une instru comme moi je peux écrire un texte ou vice-versa. Quelqu’un va être inspiré et ça peut se traduire par de la musique, des paroles ou une mélodie et ce n’est jamais la même personne. Ce n’est pas l’un ou l’autre qui s’attèle à telle tâche.
Cassandra : Il peut y avoir des morceaux où ce sera plus Alexandre ou plus moi. Mais, de ne pas le notifier, nous, ça nous permet de ne pas se mettre de barrières. Et puis, on sera frustré car on ne va pas aller plus loin dans la recherche et c’est vraiment dommage. Mettre une appellation sur un rôle ça ne te fait pas avancer.
Alexandre : Et diviser le travail, ça ne nous parle pas plus que ça. J’aime bien que cette force elle soit en binôme, un peu comme si on était une seule personne.
Comment vous avez trouver cette symbiose entre vous ?
Alexandre : En fait, j’avais un autre projet dans lequel Cassandra s’est greffée. On avait déjà eu le temps d’apprendre à se connaître artistiquement. Le groupe s’est arrêté et on a décidé de continuer tous les deux parce qu’on était sur la même longueur d’onde sur plein de points : artistiquement, humainement, professionnellement. Et on avait fait déjà beaucoup d’erreurs dans le milieu professionnel qu’on s’est dit qu’on ne réitérerait pas. On a une espèce de maturité qui fait que ça marche bien depuis un moment et ce n’est pas prêt de s’arrêter.
Cassandra : Je crois qu’on avait envie de la même chose. C’est beaucoup de sacrifices quand même de se lancer dans la musique. C’est du plaisir mais tu passes quand même tout ton temps avec ton pote. Aujourd’hui, on est une famille. On aime bien passer du temps ensemble même en dehors de la musique. Autour de nous, on voit des groupes qui s’arrêtent mais je pense que la clé, c’est de vouloir les mêmes choses. On va dans la même direction et on arrive à se dire quand ça ne va pas. Parfois, c’est dur, mais on y arrive parce qu’on est potes.
Alexandre : L’humain, c’est tellement important.
Musicalement vous avez une petite vibe années 80. Est-ce que vous avez le sentiment de vous inscrire dans la lignée des grands duos de cette décennie comme Niagara ou les Rita Mitsouko ? Est-ce que ce sont des influences pour vous ?
Cassandra : Oui, carrément. Niagara, je pense que toute la Terre le sait maintenant.
Alexandre : On a une reprise de Niagara qui s’appelle « Quand la ville dort ». À la base, c’est une initiative de Cassandra mais j’aime beaucoup ce groupe aussi. Et après, les 80’s, oui, le caractère des synthés, les voix, les reverbs, les machines. Ça nous inspire énormément. Il n’y a pas que cette décennie, en réalité.
Quelles sont ces autres influences ?
Alexandre : Il y en a plein, puisqu’on est influencés par tout ce qui nous traverse, mais si on devait mettre six personnes, je pense qu’il y aurait les Beatles, Kevin Parker et plus largement Tame Impala, Les Strokes, surtout, Julian Casablancas, parce qu’il a d’autres projets annexes et pour sa manière de composer et de faire des mélodies… Et puis après, il y a du Polo & Pan, du Cerrone…
Cassandra : On aime bien Sébastien Tellier, aussi. Après, il y a vraiment des chansons précises des années 80 comme « T’en vas pas » d’Elsa ou « Toute première fois ». Le duo homme-femme, il n’est pas forcément évident on essaye de faire en sorte que nos voix se croisent et se retrouvent sur le refrain. Et ça, c’est vraiment un truc des années 80.
Toutes ces influences placent votre projet dans une pop inclassable où se mêlent des sonorités électro ou disco. Est-ce que vous, vous arrivez à qualifier la musique que vous faites ?
Alexandre : Non, on ne sait pas trop se qualifier. On appartient à ces groupes français qui montent depuis dix ans, c’est-à-dire depuis La Femme. Ce sont eux qui nous ont décoincé sur le français et qui nous ont montré qu’on pouvait faire de très belles choses dans notre langue tout en s’éloignant de la variété. Je pense qu’on appartient à ce mouvement mais je n’ai pas envie de parler de genre musical. On dit qu’on fait de la pop caniculaire. (Rires)
Il y a de plus en plus de mélancolie dans vos chansons. Vous en êtes conscients ?
Alexandre : On a voulu essayer de faire quelques morceaux avec une couleur un peu plus mélancolique.
Cassandra : J’ai l’impression que les morceaux plus « légers » ou joyeux donnent des images aux gens mais la mélancolie touche directement dans le cœur une émotion particulière. C’est ce que je ressens avec la mélancolie qui sont les seules chansons tristes que j’accepte. C’était intéressant de se prêter au jeu et peut-être qu’un jour, on va faire une chanson triste parce que qu’on aura envie de savoir si on en est capable. Pourquoi pas.
Alexandre : C’était un peu un challenge pour moi de faire de la musique festive. Avant, dans mes projets, je faisais beaucoup plus de morceaux mélancoliques. Je composais tout seul dans ma chambre et c’est ce qui me venait le plus. Et quand on a commencé ce projet avec Cassandra, je me suis refusé à repartir là-dedans. Je me suis dit, mais non, il faut que j’aille explorer autre chose. Et Cassandra a cette énergie qui m’a permis d’aller vers une musique plus dansante, plus festive, plus colorée. En revenant à la mélancolie, mon cerveau était un peu bloqué. C’est pour ça qu’on a fait des choses mélancoliques seulement très récemment et je ne pense pas qu’on va continuer à en faire non plus.
On pourrait parler de mélancolie dansante. C’est important pour vous de faire danser les gens ?
Cassandra : Oui !
Alexandre : Je ne sais pas trop, c’est une bonne question.
Cassandra : C’est un truc de personnalité. Moi, je suis le public qui saute, qui danse et qui hurle. Et si mon public n’est pas pareil, j’ai l’impression d’avoir raté quelque chose. Et pourtant, je sais qu’il y a des gens qui nous adorent, ils viennent nous voir à la fin pour nous féliciter mais ils n’ont pas bougé pendant tout le concert. Ils sont seulement absorbés par la musique. On a pas le même ressenti selon quel public on est.
Alexandre : C’est vrai que c’est rassurant de voir les gens danser, ça signifie qu’ils rentrent dans ton concert. Après, est-ce que c’est vraiment important pour moi ? Surement, quand tu fais une musique dansante et que les gens ne dansent pas, c’est vrai que tu as le sentiment d’avoir raté.
Vous avez sorti votre premier album, Paris cyclone vous préparer la suite ?
Cassandra : Déjà on a hâte de la release party à la Maroquinerie. On est maudit depuis le début de carrière. À chaque EP, on devait avoir une release party qui a été annulée. La première release party de notre vie, c’était à la boule noire, pour l’EP précédent début 2023.
Alexandre : En fait, ça fait longtemps qu’on attend de sortir cet album. Ça prend du temps, même si les gens ont l’impression que ça a été composé hier, ce n’est pas le cas. Là, on a des ambitions de DJing aussi, d’explorer d’autres horizons. Mais oui, on a toujours des morceaux de côté qui vont sortir en single après l’album.
Cassandra : Oui, en fait, on ne s’arrête jamais vraiment totalement. On va rentrer dans la phase composition ensemble en studio. Mais, c’est un travail constant. Là, on a de l’avance pour la suite !